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Après s'être attaché de nouveau à prémunir ses amis contre un trop grand sentiment de confiance en eux-mêmes, et de dédain pour les vaincus; après les avoir avertis qu'ils ne devaient pas rester en contemplation devant leur œuvre, ni oublier que les sociétés, comme les individus, avaient autre chose à faire, dans ce monde, que de veiller à leur conservation; après avoir invité le ministère à se souvenir que, pour que la pensée du gouvernement parvînt pure et claire aux populations; il fallait qu'elle leur fût transmise par des hommes qui la comprissent et qui l'adoptassent, l'honorable membre rêvenait au projet d'adresse, et déclarait qu'à l'exception d'une phrase, dont il croyait avoir rétabli la véritable signification, il trouvait, dans ses divers paragraphes, une expression suffisante de ses opinions et de ses sentimens politiques.

Abordant la politique extérieure, il se tenait pour satisfait de ce que le système de guerre tant préconisé par l'op position n'avait pas prévalu. Il pensait qu'on pouvait se reposer sur le gouvernement du soin de défendre au dehors les intérêts de la France.

Dès lors, continuait l'orateur, il y a, selon moi, prudence et conve hance à se renfermer dans des termes qui, sans rien abandonner, ne poussent rien à l'extrême; dans des termes qui prouvent que la Chambre sait qu'en matière de politique extérieure surtout, rien n'est absolu, rien n'est irrévocable. Et si dans des intentions dont j'apprécie toute la loyanté, quelqués uns de nos collègnes voulaient aller au-delà, je leur demanderais jusqu'à quel point il est digne d'un pays comme la France de parler sans agir, et de menacer says être prêt à soutenir ses menaces. Je leur demanderais jusqu'à quel point il est convenable de jeter dans un acte aussi grave quelques phrases sans conséquence, et qui n'ont d'autre but que de donner à des sentimens honorables une satisfaction platonique. »>

L'orateur, avant de descendre de la tribune, demandait soumettre à la Chambre une dernière réflexion; et c'était encore pour signaler les efforts que faisaient les adversaires de son parti, afin de le diviser. Mais c'est à nous, disaitil, à rendre vaines toutes leurs tentatives, c'est à nous à répondre à leurs prophéties de désunion par une union plus intime, plus inébranlable que jamais; c'est à nous, quand,

à notre grand regret, quelques uns de nos alliés nous quittent, à serrer nos rangs, pour les rouvrir aussitôt que désabusés ils voudront y revenir.»

Après avoir reconnu que la situation intérieure de la France présentait une grande prospérité matérielle, dont il ne faisait point honneur au système du gouvernement, M. Bignon ajoutait que ce bonheur physique ne suffisait pas pour un pays où la civilisation est arrivée à un haut degré, où l'homme a la conscience de sa dignité et de ses droits. Il était des besoins moraux, ou, selon l'expression de l'adresse, des intérêts moraux, qui marchaient de pair avec les intérêts positifs, et auxquels il ne pouvait être satisfait que par un heureux accord des sentiments du pays avec ceux des dépositaires du pouvoir. Or M. Bignon avait lieu de douter que cet accord existât entre la nation et le ministère.

Parmi tous les faits nouveaux qui s'étaient produits, le plus affligeant, suivant l'honorable membre, avait été de voir le ministère, cinq ans après la révolution de juillet, déclarer à la nation française, qui, même sous l'ancienne monarchie, faisait gloire d'être gouvernée par le sentiment de l'honneur, que le seul régime qui pût la maintenir dans l'ordre était celui du gouvernement par la crainte. En ce moment le ministère paraissait sentir qu'il était temps de revenir à d'autres idées qu'aux idées mal sonnantes d'intimidation. Un mot consclant avait été jeté dans le discours du trône. L'adresse y répondait en invoquant une politique généreuse et conciliatrice.

« Nous aimons à penser, disait l'orateur, que, de la part de la Chambre comme de la part du ministère, les demi-mots appellent autre chose que des demi-mesures. Quand on a voulu de grandes mesures en fait de rigueur, on doit en vouloir de pareilles en fait de conciliation. Il faut donc un acte décisif qui tue toutes les factions en les accablant toutes d'un pardon commun; il faut l'amnistie appliquée à toutes les opinions sans réserve, à tous les partis sans préférence, appliquée à tout, hors à l'assassinat. (Murmures.) Sans l'amnistic, on ne terminera tien, on ne calmera rien. La France l'a demandée, elle la demande encore par des vœux timides, à la vérité; mais c'est qu'en ce moment où il n'y a rien de normal, où les vieilles doctrines du gouvernement représentatif ont fait place à des doctrines nouvelles, tout a dû se resscutir de nos fluctuations; les vœux sont timides, les désirs in

certains, les volontés indécises. Cette situation est affligeante. Si le ministère en est satisfait, je l'en félicite. Cependant, qu'il ne s'y trompe pas, l'attiedissement de la pensée publique est plus apparent que réel, l'assoupissement n'est que passager, et la France saura toujours se réveiller au jour du besoin. .

Passant à l'examen de la situation extérieure, M. Bignon trouvait que toute la conduite du ministère dans la question américaine n'avait été qu'une série de fautes. Maintenant le message américain devait avoir fait comprendre au ministère que, pour être de quelque utilité, il fallait donner à la médiation de l'Angleterre une autre direction que celle à laquelle on avait pu songer d'abord.

Messieurs, ajoutait l'orateur, vous l'avez lu ce message américain : quelle habile et impitoyable accusation contre notre ministère ! et cette accusation, il la place tout entière dans la simple exposition des faits. Jamais flagellation plus sanglante put-elle être infligée à la maladresse d'un cabinet par celuila même qui l'a exploitée à son profit? Avec quel art cruel le président a tiré parti des vélléités quasi-aristocratiques du ministère, manifestées par l'omission de la réserve du droit des Chambres dans le traité, et par la forme donnée à la ratification? Est-il obligé, lui, gouvernement étranger, de se souvenir qu'il y a en France des Chambres dont la sanction est indispensable aux mesures financières, quand le cabinet français affecte lui-même de mettre en oubli et le droit des Chambres et jusqu'à leur existence; quand la forme de da ratification du traité représente le pouvoir royal de 1830 avec les attributs de l'ancienne monarchie? Et lorsque, plus tard, les Chambres ont révélé leur existence par le rejet de la loi des 25 millions; lorsque le gouvernement américain eût dû, si une autre marche eût été suivie, se croire obligé d'entrer dans une négociation nouvelle, l'assurance qui lui a été donnée aussitôt que, malgré le rejet de la loi, le traité recevrait son effet, n'a-t-elle pas dû lui faire croire que les Chambres françaises, si elles existent, ne sont qu'un instrument à la disposition du cabinet, instrument rebelle un jour peut-être, mais que l'on est bien sûr de rendre docile le lendemain? Aussi, avec quelle hanteur de langage le président demande-t-il une convocation immédiate de ces Chambres pour remplir la vaine formalité qu'on attendait d'elles, et, quand on n'a pas osé obéir à la sommation, avec quel accent de colère ne se plaint il pas du ministère français ?

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» Messieurs, le message américain, quoiqu'au fond ce soit surtout un amer persifflage du ministère, serait aussi un outrage pour la royauté et pour la nation française, s'il n'y avait dans son ensemble une grande leçon d'un peuple libre à un peuple qui ne sait pas l'être. >>

A ces mots, de vives réclamations et des cris à l'ordre! s'élevèrent sur les bancs de la majorité. Le président rappela à l'orateur que ce n'était pas une leçon d'un peuple à un peuple, mais une communication d'un gouvernement à un gouvernement. M. Bignon rectifia les expressions qu'on voulait lui faire rétracter et dit ; » C'est une leçon d'un peu

ple libre à un peuple dont le gouvernement comprend mal la liberté. >>

« La leçon, continuait-il, n'aura pas été trop forte, si elle apprend à notre cabinet que tout pouvoir qui, à l'intérieur, foule aux pieds les institutions nationales, ne recueille au dehors qu'affront et dédain, juste salaire de sa propre révolte contre la loi fondamentale du pays. Quelle que soit l'adresse avec laquelle le président américain s'efforce d'atténuer son insulte envers la nation française, cette atténuation, qu'il jette d'une manière indirecte et bénévole dans le récit de ce qui s'est passé, ne l'empêche pas de finir par declarer solennellement qu'il ne donnera pas les explications demandées par la France comme condition du paiement de l'indemnitė. »

Dès lors il n'y avait plus qu'un moyen, suivant l'honorable membre, de trancher la difficulté ; c'était d'en venir à une transaction qui déclarerait nul et non avenu tout ce qui avait eu lieu depuis 1830 au sujet de l'indemnité, substituerait à un titre ancien un titre nouveau daté de 1836, accorderajt aux Américains une somme au dessous de 25 millions et ferait disparaître toutes les contestations.

Au reste, quoi qu'il pût advenir de la question américaine, les dangers sérieux aujourd'hui n'étaient pas dans le Nouveau-Monde; ils étaient dans les affaires de l'Orient et de la Pologne. Le discours du trône se taisait sur ces questions. M. Bignon ne blâmait pas ce silence; « mais, disait-il, nos devoirs sont différens de ceux du ministère, et il peut n'être pas inutile au gouvernement lui-même que nous fassions usage de l'initiative qu'il nous a laissée.» En conséquence, l'orateur annonçait qu'il proposerait un amendement en souvenir de la nationalité polonaise. En d'autres temps il aurait rappelé tous les titres de la Pologne à la vieille affection de la France; mais cet effort de sa part n'était plus nécessaire.

« Il est, disait-il, un orateur plus puissant que nous tous; il est une voix plus puissante que toutes les tribunes de France et d'Angleterre, qui a fait un appel à tous les peuples en faveur de la nation polonaise, un appel à tous les cabinets pour le maintien des traités dont elle a proclamé la compléte annulation; cette voix, c'est celle qui, des bords de la Vistule, a retenti, comme un son funèbre sur le monde civil sé. Quel est celui de vous, messieurs, dont l'âme n'en soit pas encore émue? Quel est le partisan le plus zélé du système d'intimidation tel que nous l'entendons en France, qui n'ait frémi d'im système d'intimidation d'une telle nature, et sur une si grande échelle? A Var

sovie, la haute cour de judicature, c'est une forteresse; les canons, messieurs, ce sont les juges. Si la grande voix qui nous a frappés tous n'avait pas été bien comprise, il faudrait que la politique n'eût plus d'intelligence, que le genre humain n'eût plus d'entrailles, que le sentiment de la pitié fût éteint dans tous les cœurs. Ce n'est pas vous, messieurs, qui balancerez à faire maintenant ce qui a été fait dans toutes les sessions précédentes, ce que vous-mêmes vous avez fait dans la session derniere; et ce n'est pas une satisfaction platonique à donner à des imaginations ardentes, c'est une satisfaction sérieuse que nous devons donner aux principes éternels d'humanité et de justice, et surtout à l'honneur comme aux plus grands intérêts de la France. (Mouvement d'approbation à gauche.—Agitation prolongée.)

M. Merlin (de l'Aveyron) fit l'éloge de la marche du gouvernement, et l'invita à rallier par une politique généreuse tous les factieux autour des institutions qu'ils avaient voulu détruire. Il déclara en outre qu'il était temps que les lois municipales et départementales fussent complétées, l'organi sation judiciaire perfectionnée, et celle de l'instruction pus blique fixée sur les bases positives que la constitution luj assignait. M. Salverte approuvait le passage de l'adresse sur la question américaine, parce qu'il laissait toute la responsabilité de cette affaire au gouvernement. L'orateur espérait que la Chambre serait fidèle à ses précédens et réclamerait le maintien de la nationalité polonaise; il plaidait ensuite avec chaleur pour l'amnistie, en témoignant le désir que ce mot reparut dans l'adresse comme expression du vou de la majorité des Français.

Alors une voix éloquente, qui devait faire d'autant plus d'impression qu'elle sortait des rangs ministériels, s'éleva de nouveau en faveur d'une noble cause, celle de la foi des traités violée et de l'humanité outragée dans la malheureuse Pologne. M. Saint-Marc Girardin y arriva après avoir montré en quelques mots le développement de puissance que la Prusse avait acquis par ses traités de commerce, et l'abandon qu'elle avait fait de la belle et haute mission qui l'appelait à être le centre de la liberté allemande et à la protéger contre les envahissemens de la Russie, pour se rattacher à la politique du cabinet de Saint-Pétersbourg.

L'abandon volontaire, disait l'orateur, que la Prusse semble faire de son

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