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rôle d'état allemand et de sentinelle avancée de l'Europe, rend plus regrettable que jamais, vous le sentez tous, la disparition de la Pologne, de cette autre gardienne de l'Europe, et qui l'a si glorieusement gardée contre la barbarie; témoins Vienne et Sobieski, quand la barbarie venait de Constantinople. »

Il y avait dans l'histoire une grande et immortelle Pologne, c'était celle qui avait été démembrée en 1772; celle-là, M. Girardin n'en parlait pas. La Pologne d'aujourd'hui, celle pour laquelle on avait le droit réclamer, c'était la Pologne du traité de Vienne.

« C'était, je le sais, disait-il, une Pologne humble et modeste que la Pologne de 1815, un reste de Pologne; mais ce reste était honoré du respect même de l'empereur Alexandre, qui parlait à la nation polonaise un langage digne d'elle et de lui; mais il y avait encore là une patrie et un patriotisme (ce sont les paroles d'Alexandre); il y avait des institutions garanties par les traités ( ce sont encore ses expressions); il y avait une diète, composée de deux Chambres; il y avait la liberté individuelle, la liberté de la presse; il y avait enfin une tribune polonaise; et quant à moi, c'est là ce qui me semble la barrière la plus puissante opposée à la Russie. Non, je ne comptais pas tant encore pour contenir la Russie et pour lui servir de digue, je ne comptais pas tant encore sur la vieille haine qui divise la Russie et la Pologne que sur cette tribune nouvelle élevée à la porte de la Russie, et faisant sentinelle contre elle. Les haines des peuples s'effacent, les rancunes nationales s'éteignent; mais dans ces institutions représentatives, dans cette liberté et dans cette tribune polonaise, si discrète qu'elle fût, je voyais une jeune et vivace Pologne, une Pologne libérale, et c'était là la barrière la plus forte que l'Europe pût trouver contre la Russie. ( Vif mouvement d'adhésion.) Partout où il y aura une tribune, partout où il y aura des institutions libres, si timides qu'elles soient, la Russie craindra de mettre le pied sur ce sol brûlant. Il y a incompatibilité entre la Russie et la liberté, et c'est pour cela que la liberté est la meilleure frontière contre la Russie. (Nouvelle adhésion.) Où est cette frontière aujourd'hui, où est cette borne posée par le congrès de Vienne? »

L'empereur Nicolas l'avait détruite seul et de son autorité privée par le statut organique du 26 février 1832. Par ce statut, tout était devenu semblable en Russie et en Pologne, et la frontière de la Russie s'était avancée de cent lieues au cœur de l'occident. Aussi ce statut ne regardait pas seulement la Pologne, à qui il enlevait ses institutions; il était une agression contre l'Europe. Il fallait donc qu'une protestation annuelle vint réserver un grief et un droit évident, interrompre la prescription que voulait établir le vainqueur, avertir la Pologne qu'elle pouvait encore espérer, et inquié

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ter ainsi et retenir la Russie impatiente de s'élancer sur le Bosphore.

Ici l'orateur traçait un tableau animé des dangers que l'ambition de la Russie faisait également courir à l'Europe en Orient, et arrivait à cette conclusion, que la scule manière d'empêcher les Russes d'entrer à Constantinople, c'était d'en être aussi près qu'eux. A ce propos il rappela l'occupation d'Ancône, qui avait eu lieu pour soutenir l'indépendance nominale du pape contre la prépondérance de l'Autriche.

Tant que l'Europe occidentale n'aura pas son Ancône en Orient, il faut craindre, messieurs, disait-il, car le sultan n'est guère plus fort que le pape ( rire général ); il est à la merci de qui veut le secourir, et la Russie est pour Constantinople une voisine du même genre que l'Autriche pour les légations. (Sensation.) »

M. Girardin terminait en déclarant, au milieu de nombreuses marques d'approbation, qu'il appuirait tout amendement ayant pour objet d'engager le gouvernement à continuer de concert avec ses alliés, à surveiller l'état de l'Orient, et à maintenir l'équilibre européen qu'avait compromis l'atteinte portée en 1832 aux institutions garanties par le traité de Vienne.

Le préopinant avait dit encore que les discussions qui s'étaient élevées sur la marche suivie par le gouvernement depuis cinq ans étaient choses finies; que c'étaient des procès terminés. M. Glais-Bizoin protesta contre ces paroles, en ajoutant qu'il n'y avait jamais chose jugée pour l'iniquité. Mais l'opposition deviendrait très-bénigne, le jour où l'amnistie serait adoptée, surtout si le ministère accordait dans cette session les lois sur les chemins vicinaux, sur les attributions départementales et municipales, et si le ministre des finances présentait aux Chambres un projet de réduction du 5 p. .. M. Leyraud approuvait dans l'adresse tout ce; qui tendait à calmer les esprits, espérant qu'un autre systême, celui de la douceur, de la tolérance, allait succéder à celui de l'exclusion, de l'obéissance passive; qu'on ne copierait plus les mauvais

exemples de la restauration, et dès lors qu'on respecterait l'indépendance des fonctionnaires civils. L'honorable membre, arrivant ensuite à la question américaine, insistait principalement sur la nécessité pour la Chambre de veiller à ce que le ministère exécutât loyalement l'obligation qu'elle lui avait imposée l'année dernière, d'exiger une satisfaction à l'honpeur national. Enfin, M. Fulchiron vint clore la discussion générale, en s'élevant vivement contre toute interprétation de ces mots de l'adresse : « Politique généreuse et concilia>>trice, qui tendrait à établir que le système du gouvernement avait manqué de générosité et de conciliation, et que ces mots appelaient l'amnistie.

Plusieurs amendemens étaient proposés pour le paragraphe relatif aux relations extérieures ; celui qui fut mis en discussoin avait été présenté par M. le marquis de Mornay ; il consistait à placer après le passage qui parlait de l'état satisfaisant de ces relations, la phrase suivante :

<< Cette heureuse harmonie nous donne l'espoir que, d'accord avec la Grande-Bretagne et les puissances dont les intérêts sont liés aux nôtres, vous pourrez, sire, rétablir l'équilibre européen si nécessaire au maintien de la paix, et que le premier gage en sera la conservation de l'antique nationalité polonaise consacrée par les traités. »

Le président du conseil que nous avons déjà vu s'opposer dans la Chambre des pairs à toute mention de la Pologne, argumenta contre cet amendement avec une nouvelle force. Il reprit la question polonaise à partir de la chute de Varso. vie, et déclara que le gouverement français, qui seul en Europe n'avait rien négligé pour prévenir ce sanglant dénouement, pour ménager entre les parties belligérantes une transaction honorable et salutaire, prévoyant toutes les conséquences d'une victoire déplorable, avait pris sur-le-champ position. Il avait notifié au cabinet de Saint-Pétersbourg, qu'à ses yeux l'insurrection de Varsovie ne dégageait pas l'empereur de Russie des obligations que lui imposait l'acte du congrès de Vienne, et qu'à ses yeux aussi l'établissement politique fondé postérieurement par l'empereur Alexandre,

faisait partie, moralement du moins, des stipulations de cet

acte.

« Ainsi donc, continuait le ministre, dès avant la promulgation des lois de 1832, le gouvernement francais avait fait ses réserves; il les renouvela lorsque ces lois furent promulguées, et depuis, en 1833, la question s'étant engagée de nouveau, et le cabinet de Saint-Pétersbourg ayant dans un art cle placé en tête de la Gazette officielle, contesté aux puissances signataires de l'acte du congrès de Vienne, à l'exception toutefois de l'Autriche, de la Prusse et de la Russie, le droit de se porter garant des stipulations de cet acte; ayant de plus établi hypothétiquement que l'insurrection de Pologne avait déchiré cet article du congrès de Vienne, et qu'il eût été libre au cabinet de Saint-Pétersbourg de pousser jusqu'à ses dernières conséquences les droits de la victoire; le gouvernement francais, répondant au journal officiel de Saint-Pétersbourg dans le journal officiel de France, fit insérer au Moniteur un article qui déniait l'une après l'autre toutes les assertions du cabinet de Saint-Pétersbourg, et qui rétablissait dans leur plénitude les droits et les faits.

• Telle est aujourd'hui, messieurs, la situation des choses, et les Chambres se sont associées à cette marche du gouvernement.

⚫ Maintenant cette situation a-t-elle changé depuis 1833? nous ne le pensons pas. En effet, quoi qu'on ait pu dire d'un document récemment publié, document dont, nous gouvernement, nous ne pouvons prendre officiellement connaissance puisqu'il n'est émané d'aucune des chancelleries de Saint-Pér tersbourg, puisqu'il n'a reçu aucune publicité authentique et officielle quelque portée qu'on attache à ce document, en supposant que les phrases qu'on y a relevées s'y trouvent réellement, ces phrases ne sont, après tout, que des paroles, et il serait impossible de les transformer en actes, en lois, en decrets qui aient changé quelque chose à l'état préexistant. »

Gela posé, que voulait-on désormais? protester une fois de plus en faveur de la nationalité polonaise? Cette protestation ne donnerait aucun embarras au gouvernement. Mais y avait-il avantage à renouveler sans cesse les protestations, quand la situation n'avait pas changé? Cela était-il conforme à la dignité d'un grand pays? Loin de là, le ministre croyait qu'en multipliant les protestations on les affaiblissait, Il résultait, en outre, de ces protestations répétées une prédisposition naturelle dans les puissances auxquelles le gouvernement devait s'adresser, à ne pas accueillir les réclamations qui leur étaient faites. D'un autre côté, était-il bien prudet, bien généreux d'entretenir dans les Polonais des espérances que l'on ne pouvait réaliser, de réveiller en eux des illusions qui pourraient devenir funestes ?..... Telles étaient les réflexions le ministre avait à soumettre à la Cham

que

bre.

« C'était un devoir pour moi, ajoutait-il, de vous dire, dans la sincérité de ma conscience, que, si j'avais l'honneur de siéger sur ces bancs, attachant un aussi haut prix que qui que ce soit au maintien des traités, portant à la Pologne et aux Polonais autant d'intérêt que qui que ce soit, je ne croirais servir ni la cause des traités, ni la cause des Polonais en donnant mon suffrage à l'amendement qui vous est proposé. »

M. Odilon Barrot s'empressa de se porter le champion de l'amendement ainsi attaqué. Dans la session précédente, la Chambre avait adopté, avec l'assentiment du ministère, un amendement qui mettait la nation polonaise sous la garantie des traités et de la sollicitude du gouvernement français. Ce que le ministère avait alors accepté, il le combattait aujourd'hui. Que s'était-il donc passé depuis cette époque? A cette question qu'il faisait lui-même, l'honorable membre répondait en ces termes :

Je ne sais pas quels sont les droits de la diplomatie. Il est possible que pour la diplomatie il n'y ait que les documens transcrits dans les protocoles, dans les traités officiels, qui existent; mais pour une nation un document qui a retenti dans toute l'Europe, qui, loin d'être dénié, a été avoué hautement, qui a passé dans les feuilles officielles de toutes les nations, ce document qui a tout le caractère d'une haute certitude, s'il n'existe pas pour la diplomatie, il existe pour nous. ( A gauche. Très-bien! )

» Eh bien! je ne vois qu'un mot dans ce document; c'est que l'empereur de Russie a proclamé, à la face de l'Europe, que la nationalité polonaise est une criminelle chimère; qu'il était bien résolu de l'étouffer dans le cœur de tous les Polonais; il l'a dit, en réponse à ces paroles de la couronne : « La nationalité polonaise ne périra jamais. » Il l'a dit, lui qui n'a pas de tribune, lui qui représente à lui seul toute sa nation; il l'a dit, en réponse à vos protestations annuelles. Il a déclaré que ce que vous vouliez garantir n'existerait plus. Et c'est alors que vous vous taisez' ( Sensation. )

» Et vous parlez de dignité nationale! (Réclamations au banc des ministres.) Eh mon Dieu! je ne vous en fais pas l'injure. Mais ne craignez-vous pas qu'à l'instant, toute cette partie de la France, si sympathique à la Pologne et en qui vibre si fortement le sentiment de la dignité nationale, ne dise : Ah! puisqu'on ne parle plus de la Pologne, puisque dans la représentation nationale on repousse une protestation par cela que la Pologne y est nommée, et qu'on se tait après le discours de l'empereur de Russie, il y a donc adhésion implicite, nécessaire à cette condamnation fatale jetée par l'empereur de Russie sur la Pologne. ( Approbation aux extrémités. )»

Etait-il vrai que la Chambre nuisait aux négociations en faveur de la Pologne ? Mais quel avait été le résultat de ces négociations? qu'en avait-on obtenu pour le passé?' qu'en espérait-on pour l'avenir ? Le ministère lui-même n'avait pas foi à ces négociations. Au contraire, les protestations de la Chambre avaient leur efficacité, elles troublaient la posses

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