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n'ayant pas accepté, et M. Aguirre Solarte se trouvant alors à Paris, des ministres par intérim furent nommés pour la guerre et pour les finances.

Les circonstances dans lesquelles ce ministère avait été formé annonçaient assez qu'il avait une mission de résistance; la nomination qui eut lieu, deux jours après, de M. Barrio-Ayuso, au département de la justice, fit voir qué l'intervention que ce député de Pampelune avait ouvertement réclamée dans la discussion de l'adresse, était aussi la pensée dominante du nouveau cabinet. D'ailleurs, il avait déjà annoncé dans une circulaire adressée à toutes les autorités du royaume, qu'il donnerait la plus grande extension possible au traité de la quadruple alliance. C'était l'équivalent de l'amendement proposé par M. le prince d'Anglona, dans la discussion de l'adresse des procérès.

fit

Si le cabinet Isturitz devait, à ces divers titres, obtenir toutes les sympathies de la cour, de la Chambre des procérès et du parti militaire, il ne pouvait par les mêmes raisons, manquer de se trouver en opposition flagrante avec la Chambre des procuradorès. Cette Chambre, en effet, ne pas attendre sa déclaration de guerre. Dès le 16, une proposition signée par 44 procuradorès, fut déposée sur le bureau; elle invitait la Chambre à déclarer séance tenante, 1° que les droits extraordinaires accordés au gouvernement par le vote de confiance avaient cessé depuis l'ouverture des cortès actuelles; 2° que si les cortès étaient dissoutes sans que le budget eût été voté, aucun impôt ne pourrait être exigé du peuple à partir du jour de la dissolution; 3° que tous les emprunts contractés sans l'autorisation des cortès seraient nuls. La lecture de cette proposition, qui portait le nom de protestation, fit naître une grande agitation dans la Chambre et dans les tribunes publiques. Deux fois consultée pour savoir si elle prenait la proposition en considération, et si elle voulait la discuter sur-lechamp, la Chambre répondit affirmativement. M. Isturitz

prit la parole: il exprima son étonnement de ce que les signataires de la proposition avaient arboré un drapeau hostile contre les hommes qui jouissaient aujourd'hui de la confiance de la reine. M. Olozaga, qui avait, disait-il, donné sa démission de gouverneur civil de Madrid, aussitôt qu'il avait appris que le précédent ministère s'était retiré, afin de pouvoir faire dans la Chambre une opposition pleine de franchise, et conforme à ses principes et à sa conscience, répondit en ces termes au préopinant :

« M. le président du conseil a paru étonné que les ministres, à leur première apparition dans le sein de la Chambre, fussent en butte à une attaque, eux qui possèdent la confiance de S. M. Je lui réponds, moi, que c'est précisément parce que le ministère possède la confiance de S. M., et parce qu'il l'a obtenue d'une certaine manière, que j'ai signé la protestation. Les ministres actuels appartiennent à la minorité de la Chambre, et à une minorité qui n'avait pas même l'avantage de la popularité. La minorité peut arriver au pouvoir d'une manière légale lorsque la majorité est discréditée; mais telle n'est point la position de la majorité de cette Chambre.

>> M. le président du conseil a fait entendre des paroles d'étonnement et même de blâme, mais je pense qu'il respecte trop les décisions de la Chambre pour s'imaginer que son opinion pourra diminuer la force des argumens qui militent en faveur d'une proposition signée par quarante-quatre procuradores que M. le président du conseil regarde, à tort, suivant moi, comme ayant arboré un étendard hostile.

» Comment une pareille déclaration serait-elle un acte d'hostilité envers le gouvernement? Il ne pourrait s'en offenser que dans le cas où il aurait l'intention de dissoudre les cortès. Peut-être le ministère n'a-t-il pas cette intention. J'aime à le croire; mais il a dû penser à gagner la majorité ou à dissoudre les cortès pour voir si de nouvelles élections lui seraient favorables. Le ministère actuel appartenait à la minorité, par conséquent il a dû prendre le parti de faire un appel au pays dans le cas où nous conserverions nos opinions.

Cette supposition n'a rien d'offensant; car il n'y a pas d'autre moyen de gouverner. Si les cortès sont dissoutes, faudrait-il que le peuple payât des contributions non votées par elles? et, dans le cas où le gouvernement promettrait de les faire approuver, serions-nous sûrs de revenir ici, messieurs? Les ennemis de la liberté sont nombreux et habiles; si vous les connaissiez, messieurs, vous les attaqueriez à force ouverte; car ils ont précédemment ombattu pour la liberté.

» Je connais et admire les antécédens des ministres actuels; ils ne m'inspirent aucune inquiétude; mais je crains qu'en voulant consolider la liberté, ils n'emploient des moyens opposés à leur but. S'il en était ainsi, du moins la liberté ne courrait pas le risque d'être étouffée par les ressources que nous aurions accordées au ministère. Je le dis avec franchise, telles sont mes craintes. » Le président du conseil a parlé d'une protestation, eh bien! qu'il s'explique nettement sur ce point; car je n'admets aucune intervention du gouvernement en matière de contributions.

» Peut-être M. le président du conseil a-t-il voulu faire allusion au droit qu'a le gouvernement de dissoudre les cortès. Je n'entends porter aucune

atteinte aux prérogatives de la couronne; mais c'est précisément par cette raison que j'ai signé la protestation. Les cortès peuvent être dissoutes; eh bien! qu'elles fassent leur devoir pendant qu'elles sont réunies.»

M. Isturitz demanda si c'était le vote de confiance qui devait cesser, ou si l'on prétendait attaquer des actes consommés; si, par le paragraphe 1o de la proposition, on voulait que le ministère ne pût disposer d'une somme qu'il aurait droit d'employer; et comme plusieurs voix s'écrierent non! non! le ministre accepta ce paragraphe au nom du gouvernement.

« Je n'ai point prétendu, ajoutait-il, contester à la Chambre le droit de voter ou de refuser le budget. Je serais le plus coupable des hommes si, dans le poste que j'occupe aujourd'hui, j'avais manifesté l'intention de restreindre les droits de la Chambre. Le préopinant a indiqué les moyens dont un gouvernement peut disposer pour abuser de son pouvoir. Sans doute l'abus est possible; mais nous saurons fidèlement respecter les prérogatives de la Chambre et soutenir celles de la couronne, et c'est dans ce sens que j'ai parlé de protestation. Je n'avais rien dit sur les deux autres paragraphes de la proposition; le préopinant a, par conséquent, posé des argumens pour avoir le plaisir de les réfuter. Il approuve les intentions du ministère; mais il se défie de sa capacité, parce qu'il croit que le ministère se liguera avec les ennemis de la liberté. Le gouvernement, messieurs, ne connaît d'autre ligue que la loi. C'est la loi à la main qu'il fera respecter les prérogatives de la couronne, sans jamais porter atteinte aux droits de la nation. »

Le ministre de la marine, M. Galiano, voulut intervenir dans ce débat; mais sur cette observation d'un membre, les décrets de nomination des nouveaux ministres ne que lui avaient pas encore été communiqués, la Chambre décida, au milieu d'une scène de désordre et de confusion, qu'ils n'avaient le droit ni de parler ni même de siéger en qualité de ministres. Trois membres seulement s'étaient levés pour épargner à M. Galiano l'avanie d'une expulsion. Il regagna son banc de procurador, et M. le duc de Rivas se retira, ce dont les tribunes marquèrent leur satisfaction en applaudissant, tandis qu'au dehors des acclamations retentissaient en l'honneur de M. Mendizabal. Bientôt, les décrets qui nommaient les nouveaux ministres ayant été lus par l'un des secrétaires, la discussion continua. M. Galiano déclara que le ministère voulait marcher dans le sentier

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de la légalité, et qu'ainsi il n'avait jamais compté sur le vote de confiance. M. Lopez se prononça énergiquement, au bruit des applaudissemens des tribunes, en faveur de la proposition, qui fut ensuite mise aux voix et adoptée à une immense majorité (96 contre 10). Dix membres s'étaient abstenus.

Le mécontentement populaire se traduisit, hors de la Chambre, en voies de fait exercées contre les maisons de MM. Galiano et Isturitz et du général Quesada; en cris de mort proférés contre les membres du nouveau cabinet,

M. Isturitz avait supporté ce premier choc en homme, qui n'était nullement disposé à reculer; mais de leur côté, ses adversaires étaient bien décidés à lui faire une guerre implacable. Dans la séance du 18, on allégua la baisse énorme des fonds publics qui avait eu lieu depuis deux jours, comme une preuve de la défiance des créanciers de l'état, et on s'efforça d'obtenir des explications positives sur les opinions du ministère, relativement aux décrets ayant pour objet la consolidation de la dette et la vente des biens nationaux. La réponse de M. Isturitz ne fut pas catégorique : le gouvernement adopterait quant à ces décrets le parti que sa conscience et les intérêts du pays lui suggéreraient; l'orateur croyait, au reste, qu'à cet égard, les ministres ne s'écarteraient pas beaucoup des opinions de leurs prédécesseurs.

Enfin, l'opposition résolut de ne plus laisser au ministère d'autre alternative que de se retirer, ou de dissoudre les cortès. Dans la séance du 21, une proposition signée par 60 procuradorès fut déposée sur le bureau; elle était conçue en ces termes : « Nous prions la Chambre de déclarer que les ministres ne jouissent pas de sa confiance. » Vainement le président du conseil invoqua le réglement pour prouver que la Chambre n'avait pas le droit de prendre sur-le-champ la proposition en considération; non seulement la Chambre passa outre sur ce point, mais encore elle décida que la discussion commencerait immédiatement. M. de Las Navas

protesta contre cette infraction au réglement; d'autres députés suivirent cet exemple, et une protestation fut effectivement insérée au procès-verbal. Quant à M. Isturitz, il déclara que les ministres ne restaient dans la Chambre pendant la discussion, que pour défendre les prérogatives de la couronne, si elles étaient attaquées.

Quelques membres de la minorité essayèrent cependant de combattre la proposition; mais ce fut inutilement : elle fut adoptée par 79 voix contre 29. Treize députés s'étaient

abstenus.

Ce vote décida du sort de la Chambre ; deux jours après, le 23, M. Isturitz porta aux cortès un décret, signé de la veille, qui les déclarait dissoutes. Dans la Chambre élective, à peine la lecture du décret royal était achevée, et la formule d'usage prononcée par le président, qu'une brusque explosion de clameurs discordantes eat lieu; les cris de viva et muera dominaient tous les autres. Ces démonstrations en sens divers ne durèrent qu'un instant, et l'ordre le plus parfait présida à l'évacuation de la salle. Le décret de dissolution fut reçu avec une faveur marquée par la Chambre des procérès.

Dans un manifeste adressé à la nation espagnole et publié le même jour (voyez l'Appendice), la reine régente développait longuement les motifs qui l'avaient déterminée à accepter la démission du précédent ministère, et à dissoudre la Chambre des procuradorès. La reine protestait qu'elle remplirait ses promesses solennelles; qu'elle procéderait à la révision des lois fondamentales conformément au décret du 28 septembre dernier. Pour réaliser cet objet, les circonstances forçaient de recourir à des moyens extraordinaires. Afin de sortir d'un cercle vicieux, elle adopterait des mesures provisoires pour que les nouveaux députés fussent l'expression la plus fidèle des voeux et des intérêts du pays, et cela en suivant le projet de loi électorale voté par la dernière Chambre des procuradorès.

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