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4 p... Or la banque avait alloué au trésor un crédit de 100 millions dont il n'avait pas usć. Refuserait-elle de les donner à 3 p. %, elle qui avait 187 millions d'écus dans ses caveaux? N'avait-elle pas 11 millions de bons du trésor, qu'elle avait demandé à renouveler à 2 172 p. %?

Le taux de la rente était le régulateur des placemens. Tant que l'état continuerait à payer 5 p. %, l'intérêt de l'argent ne décroîtrait pas, et un grand obstacle ralentirait l'essor de l'industrie. D'un autre côté, le revenu de l'état ne suffisait plus à ses besoins. Pour y obvier, il fallait une augmen tation d'impôt ou l'économie que produirait l'abaissement de l'intérêt de la dette. M. Humann avait indiqué le dernier moyen, parce qu'il le croyait à la fois juste, loyal, et profitable au pays tout entier. Au surplus, il voyait la question victorieuse; il était persuadé que il était persuadé que le gouvernement proposerait à la session prochaine la mesure que réclamaient les intérets généraux de la France.

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Ce résultat me suffit, disait en terminant M. Humann, je n'en ai point ambitionné d'autre; et maintenant j'attache peu d'importance à la forme et anx expressions qui résumerout votre délibération. La prise en considération me paraît moins nécessaire. (Mouvemens divers; longue interruption.) »

Ainsi, M. Humann, après avoir réfuté tous les argumens, de ses adversaires, concluait à peu près comme eux. Ce contraste singulier entre les prémisses posées par l'ex-ministre des finances et les conséquences qu'il en avait tirées inspira à M. Berryer une improvisation remarquable. Il se demanda' pourquoi le cabinet s'était séparé de M. Humann, puisque M. Humann, comme ses anciens collègues, votait pour l'ajournement. C'est qu'apparemment, pour les uns et pour les autres, le même mot ne signifiait pas la même chose. Alors M. Berryer faisait voir que le ministère voulait non l'ajournement, mais le rejet absolu de la proposition; que toutes les raisons données par le ministre de l'intérieur pour l'ajournement étaient, à les bien pescr, des raisons éternelles, un moyen qui pourrait toujours être reproduit, des arguAnn. hist. pour 1836.

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mens aussi valables en 1837 et en 1838 qu'aujourd'hui; et que toutes ces raisons attaquaient le fond même de la mesure. La somme des rentes passibles de la réduction ne sefait pas plus forte l'année prochaine que cette année. Admettant au reste les calculs du ministre de l'intérieur, qui ne portait qu'à 15 millions le bénéfice net de l'opération, M. Berryer soutenait qu'en présence d'une déclaration positive du ministre qui avait tenu le portefeuille des finances pendant quatre ans, qu'il y avait un déficit annuel, on ne devait pas négliger ces 15 millions.

Quant à la pitié dont on était touché pour le sort des rentiers, argument qui aurait aussi dans tous les temps la même valeur, M. Berryer avouait que non seulement il ne partageait pas à cet égard la pensée du ministre de l'intérieur, mais qu'il ne comprenait pas qu'une telle nature d'argument eût été présentée.

« Comment! s'écriait-il, on est très-effrayé, on est touché, et la sensibilité est excitée au plus haut point, parce que les rentiers n'auront que 4 p. 0/0 au lieu de 5! Mais, dans cette grande préoccupation des plus petites fortunes, des plus petites existences, M. le ministre n'a pas pensé qu'il réduirait le sort des rentiers au sort de nos meilleurs et de nos plus sages ouvriers, de ceux qui sont économes, dont on provoque de toute part le versement des économies dans les caisses d'épargne, et auxquels on ne donne que 4 p. 0/0! (Mouvement.)

L'orateur s'attachait ensuite à démontrer que le mode d'argumentation employé par le ministre de l'intérieur pourrait servir à faire repousser toutes les questions qui s'élevaient devant la Chambre, les décisions les plus salutaires, soit qu'il s'agit d'agriculture, d'industrie ou de commerce. Rien ne pouvait se faire dans un grand intérêt public sans froisser une multitude d'intérêts privés.

En définitive, il résultait de la discussion, de ce qui avait été dit par le ministre de l'intérieur et de ce qui avait été répondu par M. Humann, de la monstrueuse contradiction qui existait entre eux, du spectacle d'un cabinet dont les membres se donnaient à la tribune des démentis de chiffres aussi positifs, il résultait, suivant M. Berryer, une nécessité

pour la Chambre: c'était de prendre la proposition en considération, d'arriver à la formation d'une commission où tous les documens relatifs à cette grande question seraient soumis au plus scrupuleux examen, en un mot de délibérer.

Le ministre du commerce (M. Duchatel) protesta aved force contre l'interprétation que le préopinant avait donnée đés paroles du ministre de l'intérieur, et entreprit de réfuter les argumens par lesquels cette interprétation avait été appuyée. Si le cabinet eût pensé que la mesure devait être combattué au fond, il n'aurait pas hésité à la combattre devant la Chambré avec la même franchise, avec la même loyauté qu'il avait mise à dire que, bonne en principe, elle ne lui paraissait pas opportune. Il était naturel qu'avant de toucher å des intérêts considérables, le gouvernement hésitât, qu'il attendit et qu'il espérât du temps ce que le temps produit toujours, la résignation des intérêts, l'adoucissement de toutes les difficultés. Le cabinet n'avait pas songé un seul instant au fejet, parce que le rejet, ce serait la condamnation du prineipe, et le cabinet voulait qu'il restât entier, en désirant que l'application en devint opportune. Le principe étant sorti victorieux de la discussion, le ministre ne voyait aucun mo tif pour ne pas adopter l'ajournement.

Suivant M. Sauzet, trois partis étaient offerts à la Chambre: le rejet, l'ajournement, la prise en considération. Le rejet condamnait le principe du remboursement; la prise en considération le consacrait; l'ajournement le laissait indécis. Le rejet écarté, l'orateur comparait les effets de l'ajournement et ceux de la prise en considération. Si la Chambre ajournait, toutes les questions restaient entières, toutes les objections se reproduisaient. De toute part on les envenimerait, et il en résulterait jusqu'au moment de la décision du principe, un état d'agitation et d'incertitude fâcheux pour les rentiers, terrible pour le commerce, inquiétant pour lá vie politique du pays. La prise en considération n'était pas l'adoption de la mesure; elle n'était que la consécration du

principe, et une déclaration de l'importance qu'y attachait la Chambre. Le reste appartenait à l'avenir; le cabinet gardait sa dignité, sa situation, la liberté de son action.

Un dernier effort fut encore tenté dans les deux sens opposés. Le ministre de l'instruction publique (M. Guizot) soutint que l'ajournement était une reconnaissance du principe en même temps qu'une déclaration de son inopportunité actuelle, et que la prise en considération emportait la déclaration de l'opportunité actuelle, qu'elle liait dès aujourd'hui la Chambre et le gouvernement à un système. M. Dufaure soutint au contraire que par la prise en considération la Chambre ne déclarait que l'opportunité de l'examen, et que l'ajournement équivaudrait à un rejet, surtout qu'il avait été réclamé par des orateurs qui avaient appelé la mesure illégale, immorale et odieuse.

La discussion était si complétement épuisée, qu'elle n'avait guère laissé aux habiles orateurs qui avaient les derniers occupé la tribune, d'argumens nouveaux à présenter; aussi de toutes parts, après le discours de M. Dufaure, demanda-t-on à aller aux voix. La Chambre ayant été consultée sur le point de savoir si c'était la question de la prise en considération, ou la question de l'ajournement qui serait mise aux voix, elle accorda la priorité à celle-ci,et l'on procéda au milieu d'une extrême agitation, à l'appel nominal pour le vote au scrutin secret. Voici le résultat qu'il donna :

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Ainsi l'ajournement était rejeté à une majorité de 2 voix, c'est-à-dire à la majorité absolue.

Au sortir de la séance de la Chambre, tous les ministres se rendirent aux Tuileries, où ils déposèrent leur démission entre les mains du roi.

C'était donc une nouvelle crise ministérielle à traverser ;

la Chambre était clairement avertie, et sans doute elle eût pu l'éviter en donnant le lendemain un démenti à son vote de la veille, en rejetant la prise en considération, sur laquelle il lui restait encore à voter. Quelque chose de semblable fut essayé dans la séance du 6 février, par M. Félix Bodin, qui proposa un moyen terme, un ajournement motivé; mais cette tentative n'eut aucun succès, et la prise en considération, mise aux voix, fut adoptée par assis et levé à une assez forte majorité.

Par ce second vote, qui confirmait le précédent, la Chambre acceptait la démission du ministère.

Cependant, commè le cabinet n'était pas tombé sous le coup d'une réprobation éclatante et solennelle de la Chambre ; comme sa retraite n'était pas le résultat d'une lutte entre deux partis forts et compactes, qui ont chacun leurs opinions, leurs vues arrêtées, et leurs hommes tout prêts à saisir le pouvoir, l'intérim ministériel ne pouvait manquer de durer un certain temps. On allait avoir à former, non la combinaison qui était la plus sûre pour conquérir décidément la majorité, chose peut-être impossible dans la condition actuelle de la Chambre, mais la combinaison qui pourrait être le moins en dissentiment avec elle. Laissons donc le nouveau ministère se faire et se défaire cinq ou six fois suivant l'usage, au gré des intérêts de coteries ou des ambitions individuelles, et transportonsnous à la Cour des pairs, où se déroulait en ce moment un drame judiciaire qui disputait victorieusement l'attention et la curiosité des masses au drame politique.

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