Page images
PDF
EPUB

LUCILE DESMOULINS.

Lucile fut l'enfant perdu de la révolution: gracieuse, espiègle et naïve, elle crut, pour ainsi dire, pouvoir jouer avec; et, jeune fille pétulante et légère, lutiner ce monstre gigantesque dont les embrassemens étouffaient. - Elle naquit en 1771, à Paris, d'un ancien commis des finances et d'une des plus belles femmes du temps, dont les traits avec l'âge prirent un caractère imposant et noble, qui lui fit donner par ses enfans le nom de maman Melpomène. Le journal de la cour et de la ville, appelé aussi le Petit Gauthier, dans son numéro

du 1er janvier 1791, imprima que cette dame avait été la maîtresse de l'abbé Terray, l'ancien ministre des finances, et que Lucile était leur fille (1). Mais ce bruit fut énergiquement démenti, ainsi qu'on peut le voir page 103 de la Correspondance inédite de Camille Desmoulins.

Lucile reçut une éducation cultivée; très-jeune encore, elle était excellente musicienne. Le hasard voulut qu'elle et sa mère (Lucile avait à peine douze ans) fussent rencontrées au jardin du Luxembourg, où elles se promenaient le soir fort assidument, par un jeune homme d'une assez modeste apparence, qui ne semblait pas autre chose qu'un étudiant, et qui, en effet, venait d'obtenir son diplôme de maître èsarts, et postulait celui de bachelier en droit. Ce fut d'abord la beauté de la mère qui frappa celui-ci. Quelques politesses d'usage de la part de l'écolier, l'habitude de se revoir parvinrent à ébaucher la connaissance; et quoique le jeune homme bégayât quelque peu, il fut trouvé aimable et spirituel; insensiblement la liaison se forma. De la conformité entre lui et ces dames dans certaines idées qui commençaient à fermenter alors, et que, malgré le léger défaut dont nous venons de parler', Camille Desmoulins, car c'était lui, exprimait avec chaleur, acheva l'intimité; l'accès de la maison lui

(1) Voyez la note à la fin.

fut ouvert. Il n'avait point encore manifesté ses sentimens, si ce n'est dans les termes de la galanterie ordinaire; et lui-même ne les distinguait que confusément, ou plutôt il s'aperçut bien vite que sa flamme se détournait de son premier objet pour se concentrer toute entière sur la petite Lucile, dont les charmes naissans, l'esprit fin et enjoué et les talens délicieux lui gagnèrent le cœur. Il ne vit plus que sa chère Lucile, et dès lors il employa toutes les ressources de son esprit et de son âme à lui inspirer l'amour qu'elle avait fait naître. Lucile ne resta point insensible, ainsi qu'on peut le voir dans une lettre de son père écrite depuis à celui de Camille: «< Ma fille a pris pour votre fils un attachement égal au sien. » Et dans une autre lettre de Camille, enfermé au Luxembourg, à sa femme: « Ma destinée ramène dans ma prison mes yeux sur ce jardin où je passai huit années de ma vie à te suivre. Un coin de vue sur le Luxembourg me rappelle une foule de souvenirs de nos amours. » ( Cor·respondance, pages 97 et 214.) Lucile arrivait à l'âge où le sentiment qui pénètre le cœur d'une jeune fille la tourmente doucement et se réfléchit de mille manières dans les rêves de ses nuits. Elle en fit un charmant que sa plume enfantine se plut à retracer avec une naïveté qui ne laisse pas même soupçonner qu'elleen connût ni la cause ni l'effet. Ce manuscrit se trouve en ce moment dans nos mains,

et nous croyons, en le transcrivant, faire plaisir à nos lecteurs. « Un soir, c'était dans l'été, accablée de chaleur, je me traînais du bosquet à la maison, et ne pouvais pas me soutenir ; je me serais laissée aller si chaque arbre ne m'avait pas servi d'appui. J'arrivai donc à mon piano; il faisait nuit, tout-à-fait nuit ; je cherchai en tâtonnant mon clavier. Voyons, me dis-je, il faut que je touche un air bien gai. J'avais beau faire aller mes doigts bien vite, mon piano ne poussait que des sons étouffés et plaintifs; je m'abandonnais à cette douce mélancolie; un coup sourd et éloigné de tonnerre augmenta encore les sons lugubres que je faisais sortir de mes touches. De temps en temps le ciel était en feu. Enfin, accablée de sommeil, je m'endormis, et mes doigts étaient toujours sur le piano. Je dormis long-temps; je faisais des songes! ah! des songes délicieux! Je rêvais que je voyais une pluie de fleurs sous mes pieds; je vis un nuage s'y former;

je

me sentis soulever; enfin, ce nuage m'éleva bien haut, mais bien plus haut que l'imagination ne peut se le figurer. Je me trouvais bien heureuse, couchée dans un nuage. Oh! quel plaisir! je vis le séjour de l'Éternel. Il n'y avait point ce que l'on m'avait dit que l'on voyait, de l'or, des rubis, des diamans; il n'y avait rien de tout ce que l'homme désire tant sur la terre et qu'il espère trouver un jour dans le ciel. Je vis un miroir (je nomme ainsi

« PreviousContinue »