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- Le lendemain elle vint chez moi, encore pour me répéter la même chose. Madame Lacombe, car ce n'est pas une citoyenne, m'avoua que ce n'était pas M. Rey, mais son neveu, qui l'avait touchée; (On applaudit.) Moi, qu'on accuse de me laisser mener par des femmes, lui dis-je alors, je ne ferai jamais ce que vous font faire des hommes; et toutes les femmes de la terre ne tireront jamais rien de moi de contraire au bien public. C'est parce que j'aime les femmes, que je ne veux pas qu'elles fassent corps à part, et qu'elles calomnient la vertu même. Elles ont osé attaquer Robespierre et l'appeler monsieur. Je demande que vous preniez envers ces femmes révolutionnaires des mesures violentes propres à réprimer cette manie insensée qui les a saisies; je demande qu'elles se purgent de toutes les intrigantes qu'elles ont dans leur sein, et qu'elles y soient invitées par une lettre. »

Un autre membre : « Hier, comme vous savez, on célébra, à la section de la Montagne, l'inauguration des bustes de Lepelletier et de Marat; une femme parla, et dit d'excellentes choses; mais ensuite elle a attaqué les autorités constitutionnelles, et a tiré à boulets rouges sur les Jacobins et sur la convention. Elle est fort dangereuse, parce qu'elle est fort éloquente. »>

A ces mots, Rose paraît, coiffée du rouge éleuthêre, et s'élance à la tribune pour ré

pondre; mais l'assemblée s'agite, et le tumulte force le président à se couvrir. Ce n'est ·que lorsque le calme est rétabli que l'assemblée décrète : 1° Qu'il sera écrit à la société des citoyennes révolutionnaires pour l'engager à se purger, par un scrutin épuratoire, de toutes les intrigantes qu'elle renferme; 2° que le comité de sûreté générale serait invité à faire arrêter toutes les femmes suspectes; 3° et qu'il serait nommé des commissaires chargés de dénoncer au comité de sûreté générale Rose Lacombe et Leclerc. (Voyez Journal de la Montagne, page 760, tome Ier; et Gazette française, par Cerisier, page 1341.)

Il paraît que cette dernière disposition n'eut pas de suite à l'égard de Rose Lacombe; et, bien que la feuille de Salut public et la Gazette française, après elle, eussent annoncé son arrestation, elle était toujours demeurée libre. C'est ce que prouve la lettre gaillarde qu'elle écrivit à ce dernier journal le 25 septembre suivant, où elle termine ainsi : « Je vous ferai voir que mes bras sont aussi libres que mon corps, car ils se font une fête de vous distribuer une volée de coups de canne, si dans la feuille de demain vous ne vous rétractez pas ; et je suis de parole. ROSE LACOMBE, présidente. » Mais, hélas! si pour elle-même l'arrêté n'eut pas de résultats bien fàcheux, il en eut de terribles pour ses malheureux amans; l'infortunée Rose ne

put, malgré toute l'influence qui lui restait encore, les arracher à la hache révolutionnaire, qui sembla trancher avec leurs jours la plus grande partie de la trame de son existence, ou du moins qui n'y laissa plus que le découragement et l'hor

reur.

Dès lors l'agitation de son esprit, portée à son comble, eut le pouvoir de remuer toutes les socié– tés de femmes, sur lesquelles sa turbulence ne tarda pas à attirer la foudre qui devait les frapper du coup mortel. Dès le 28 brumaire 1793, elle avait excité une troupe de femmes, coiffées de bonnets rouges, à forcer l'entrée de la séance du conseil général de la commune. De violens troubles s'élevèrent à leur vue; on demanda leur rappel à l'ordre. Le président se couvrit, et quelque silence ayant succédé, le procureur-général Chaumette, dit Anaxagoras, croyant saisir la pensée de Robespierre, fit entendre l'improvisation suivante : << Je requiers mention civique au procès-verbal des murmures qui viennent d'éclater; c'est un hommage aux mœurs, c'est un affermissement de la république! Eh quoi! des êtres dégradés, qui veulent franchir et violer les lois de la nature, entreront dans les lieux commis à la garde des citoyens, et cette sentinelle vigilante ne ferait pas son devoir! Citoyens, vous faites ici un grand acte de raison : l'enceinte où délibèrent les magistrats du peuple

doit être interdite à tout individu qui outrage la nation! - Non, s'écrie un membre du conseil, la loi leur permet d'entrer! - Qu'on lise la loi, répond Chaumette; la loi ordonne de respecter les mœurs et de les faire respecter or ici je les vois méprisées. Et depuis quand est-il permis aux femmes d'abjurer leur sexe, de se faire hommes ? Depuis quand est-il d'usage de voir les femmes abandonner les soins pieux de leur ménage, le berceau de leurs enfans, pour venir sur la place publique, dans la tribune aux harangues, à la barredu sénat, dans les rangs de nos armées, remplir des devoirs que la nature a départis à l'homme seul? A qui donc cette mère commune a-t-elle confié les soins domestiques? Est-ce à nous? nous a-t-elle donné des mamelles pour allaiter nos enfans? a-t elle assez assoupli nos muscles pour nous rendre propres aux soins de la hutte, de la cabane et du ménage? Non; elle a dit à l'homme : Sois homme! les courses, la chasse, le labourage, les soins politiques, les fatigues de toute espèce, voilà ton apanage. Elle a dit à la femme: Sois femme! les soins dus à l'enfance, les détails du ménage, les douces inquiétudes de la maternité, voilà tes travaux. Mais tes occupations assidues méritent une récompense : eh bien! tu l'auras; et tu seras la divinité du sanctuaire domestique; tu régneras sur ce qui t'entoure par le charme invincible de la

beauté, des grâces et de la vertu! Femmes imprudentes, qui voulez devenir des hommes! n'êtes-vous pas assez bien partagées? que vous faut-il de plus? Vous dominez sur tous nos sens; le législateur, le magistrat sont à vos pieds; votre despotisme est le seul que nos forces ne puissent abattre, puisqu'il est celui de l'amour, et par conséquent celui de la nature. Au nom de cette même nature, restez ce que vous êtes; et, loin de nous envier les périls d'une vie orageuse, contentez-vous de nous les faire oublier, au sein de nos familles, en reposant nos yeux sur le spectacle enchanteur, de nos enfans heureux par vos tendres soins! (Ici les femmes quittent leurs bonnets rouges et remettent leurs coiffes.) Ah! je le vois, continue l'orateur, vous ne voulez pas imiter ces femmes hardies qui ne rougissent plus; je rends hommage à votre sensibilité; mais je dois vous faire voir l'abîme où vous plongeait un instant d'erreur. Rappelez-vous ces femmes audacieuses, payées par les puissances étrangères, qui nous donnèrent le bizarre spectacle d'un vêtement de soie avec un bonnet de laine sur la tête, et qui, pendant le jugement des traîtres à la patrie, excitaient des troubles funestes dans les marchés de Paris. Rappelez-vous cette femme hautaine d'un époux sot et perfide, la Rolland, qui se crut propre à gouverner la république, et qui concourut à sa perte. Rappelez-vous cette virago, cette

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