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et redoubla d'énergie pour faire voir qu'elle l'avait conservée tout entière.

Cependant elle accusa les émigrés, les Anglais, les Italiens et les royalistes d'être les secrets instigateurs de la révolte; elle ajouta même qu'on avait répandu de l'argent, et que le but du complot consistait à s'emparer du fils de Louis XVI, alors renfermé au Temple et à le proclamer roi ; révélations imaginaires, faites dans l'intention de redoubler les haines contre un parti qu'elle avait en horreur, par cela seul que sa famille que sa famille y était autrefois atta

chée.

Le jury ayant déclaré Aspasie coupable, le tribunal la condamna à mort, par jugement du 24 prairial an iv. Elle l'entendit prononcer avec un imperturbable sang-froid, et déclara même aux jurés qu'ils avaient fait leur devoir. Elle ne voulut pas d'abord se pourvoir en cassation, disant qu'il était inutile de prolonger son existence; toutefois, de retour à la prison, on la pressa tellement de fiter de ce recours, qu'elle y consentit par complaisance; mais le tribunal de cassation ayant trouvé la procédure régulière, elle fut livrée à l'exécuteur. Elle montra, en allant au supplice, la même impassibilité qu'elle avait conservée pendant le cours des débats, et mourut à vingt-trois ans.

pro

Il y a des esprits qui semblent destinés à subir d'irrésistibles impulsions, qui en sont les esclaves

soumis, qui leur obéissent aveuglément; et, parce qu'ils ont été lancés fortuitement dans une voie fatale, n'agissent qu'au gré des invisibles ressorts qui les y font mouvoir; esprits néanmoins impatiens du joug, idolâtres de l'égalité et qui représentent parfaitement sur la terre l'effort de ces archanges rebelles, à qui rien ne coûtait, et dont l'orgueil s'humiliait sous le despotisme des chefs les plus terribles dans l'espoir instinctif d'arriver à la conquête de la république céleste. Telle est l'idée qui perce dans le poème de Milton, et qui tourmentait ce grand génie. C'est elle qui explique beaucoup de choses en apparence inconciliables dans la destinée d'un grand nombre de femmes et même d'hommes célèbres de la grande palingénésie révolutionnaire.

SOPHIE LAPIERRE.

La convention avait résigné ses pouvoirs et léguait à la France le directoire et la constitution de l'an III. Le gouvernement ne devait plus résider dans les mains d'une assemblée unique; on associait au conseil des Cinq-Cents, institué pour proposer les lois, le conseil des Anciens, chargé de les sanctionner. Le directoire était le pouvoir exécutif. Les ambitions s'agitèrent, et toutes s'imaginèrent tirer parti de ce nouvel ordre de choses; mais elles se trouvaient bridées par une mesure qu'elles avaient en vain combattue : ce fut celle qui composait la nouvelle législature des deux tiers de

la convention. Les royalistes voyaient bien qu'une majorité d'hommes qui avaient tant fait pour la révolution, ne pouvait pas agir contre elle. Ils se plaignaient de ce qu'on avait conservé au pouvoir les mêmes individus qui avaient couvert la France d'échafauds, à l'exclusion de ceux qui étaient restés purs de tout crime : C'était, disaient-ils, perpétuer l'autorité dans les mains de la convention. Beaucoup d'autres, tels que les publicistes, les hommes de lettres et ceux qui, ayant espéré des élections et des places, voyaient ainsi presque toutes les portes fermées pour eux, criaient partout : A bas les deux tiers! Et le 13 vendémiaire, où domina la bannière insurgée des émigrés et des chouans, avait mis à deux doigts de sa perte la république, sauvée cette fois par la vigueur et la résolution du même homme qui devait plus tard la ruiner à jamais.

Après ce rude assaut, le directoire avait enfin pris place. Conduira-t-il à pleins bords son pavillon politique inauguré au milieu d'une pareille bourrasque? Mille écueils l'environnaient : une foule de prêtres et d'émigrés subrepticement rentrés à Paris, entretenaient mille foyers de discorde; le parti montagnard s'irritait de la rigueur avec laquelle on reprenait la poursuite des massacres de septembre, et de la mollesse dont on usait à l'égard des conspirateurs de vendémiaire. Il s'était élevé

des nuées d'agioteurs, de fournisseurs d'armée et de sangsues du peuple, dont l'opulence insultait à la misère publique. On voyait avec dépit le papiermonnaie de la république, ce puissant moyen d'action pour le gouvernement, perdre de sa valeur de jour en jour, sans que le directoire osât recourir aux mesures de terreur qui en 93 l'avaient ramené au pair. Enfin l'expulsion des jacobins de la salle du Panthéon, dernier asile où ils s'étaient réfugiés pour tenir leurs séances depuis la clôture de leur club, acheva d'exaspérer leur parti, que la création d'un ministère de la police tint encore plus en échec. Les emplois publics leur étaient retirés pour passer dans les mains des royalistes, en faveur desquels le gouvernement semblait pencher.

Ils n'étaient pourtant pas demeurés spectateurs froids et oisifs de tant d'injures. Ils avaient monté, eux aussi, un directoire secret dit de salut public, à l'instar du vrai directoire; puissance invisible qui ne se communiquait que par l'intermédiaire de douze agens chargés de transmettre les volontés, sans faire connaître le centre mystérieux d'où elles partaient; et qui, de cette manière, aboutissait à des sociétés affiliées et répandues dans tout Paris, et dans les principales villes de France, ayant pour mot d'ordre bonheur commun, et pour journaux propagateurs : le Tribun du peuple et l'Éclaireur. On y prêchait les doctrines démagogiques les plus

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