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Quatre autres femmes figuraient parmi les accusés. Marie-Louise Adbin veuve Mounard, Jeanne Ansiot femme Breton, Nicole Poynot femme Martin, et Marie-Adélaïde Lambert. Celle-ci déclina la compétence de la haute cour comme sa camarade Sophie. Elle se fit remarquer par son énergie à la séance du 26 ventôse; et, lorsque l'accusateur national Bailly reprocha à Babœuf d'avoir préconisé les héros de prairial, et de les avoir appelés des patriotes purs, eux qui avaient applaudi à la téte sanglante du représentant Féraud, elle protesta avec indignation, et s'écria à haute voix : « Ce sont les royalistes qui ont tué Féraud! » Darthé l'appuya : « Oui, c'est le royalisme qui a assassiné Féraud! » Un des prévenus demanda que l'accusa

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teur public fût rappelé à l'ordre pour avoir provoqué les accusés; Germain rappela la loi qui condamnait à mort quiconque parlait mal de la constitution de 93. Enfin rien n'égalait la licence et l'audace des débats. Voici quelques traits qui donnent une idée de leur fougue orageuse L'accusateur public lisait ces derniers mots d'un diplôme délivré le directoire secret aux douze agens révolutionnaires: Paris, l'an IV de la république démocratique à venir. Babœuf. - Oui, elle est à venir la république!» Le même accusateur, continuant son exposé, Babœuf se lève brusquement « Président, je demande qu'on nous fasse grâce de ces horreurs, attendu qu'il est trois heures et demie. Plusieurs voix : Oui! oui!- D'autres: Non! non! Il faut le laisser achever; cela le condamne lui-même. Plusieurs voix : Il a été chercher le plaidoyer à Paris; c'est la société de Clichy qui l'a fourni....... C'est Isnard...... c'est Jourdan..... C'est sans talent! Amar: Non, il faut qu'on connaisse quel est l'esprit de l'accusateur public Viellart, sa haine contre le peuple, la liberté et l'égalité, les atroces injures qu'il a vomies contre le fondateur de la république (Robespierre) seront une accusation contre lui. Il faut que sa bassesse et sa lâcheté soient mises au jour, et nous lui répondrons : Des amis de la liberté ne craignent pas les esclaves de la tyrannie.....

Un autre jour, Amar se plaint qu'il y ait des places réservées dans l'auditoire. « C'est ici, dit-il, qu'on doit retrouver l'égalité. Une place réservée dans un tribunal criminel est une monstruosité. Il ne doit point y avoir de privilége. Pourquoi cet homme qui est-là devant moi, tirait-il des crayons de sa poche, et dessinait-il avec insolence nos figures, avec deux ou trois acolytes qui prenaient des notes? (On s'empresse de faire sortir les personnes assises aux places réservées.) Le commandant de la gendarmerie : — La municipalité doit-elle y rester? Les accusés : — - Non, non; nous ne reconnaissons pas de municipalité ici. C'est une municipalité de contre-révolutionnaires. Un accusé : — Il ne faut pas que ce commissaire des guerres reste là: il offusque notre vue. Un autre accusé : Voici un muscadin (1) qui est là ; il faut qu'il s'en aille, etc.

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L'inflexible Darthé fut le seul qui persista à récuser ses juges, et qui refusa constamment de se défendre. Voici le peu de mots qu'il prononça pour

(1) Les élégans de l'époque avaient reçu le nom de Muscadins, par allusion aux pastilles musquées qu'on appelait ainsi, et que les petites maîtresses étaient autrefois dans l'usage de manger pour se parfumer la bouche. Dans les anciennes comédies on donnait le nom de muscadins aux valets musqués. (Voyez la Fille Savante dans le théâtre italien de Ghérardi.) Il est probable que si les dandys du Directoire eussent connu ce fait, il n'auraient pas été charmés de l'épithète.

ainsi dire sur sa propre tombe : « Pour moi, si la Providence a fixé à cette époque le terme de ma carrière, je la finirai avec gloire, sans crainte et sans regrets. Que pourrais-je, hélas! regretter? quand la liberté succombe, quand l'édifice de la république se démolit pièce à pièce; quand son nom est devenu odieux; quand les amis, les adorateurs de l'égalité sont poursuivis, errans, livrés à la rage des assassins ou aux angoisses de la plus affreuse misère; quand le peuple, en proie à toutes les horreurs de la famine et de l'indigence, est dépouillé de tous ses droits, avili, méprisé, et languit sous un joug de fer; quand cette sublime révolution, l'espoir et la consolation des nations opprimées, n'est plus qu'un fantôme; quand les défenseurs de la patrie sont partout abreuvés d'outrages, nus, maltraités et courbés sous le plus odieux despotisme; quand, pour prix de leurs sacrifices, de leur sang versé pour la défense commune, ils sont traités de scélérats, d'assassins, de brigands, et que leurs lauriers sont changés en cyprès; quand le royalisme est partout audacieux, protégé, honoré, récompensé même, avec le sang et les larmes des malheureux; quand le fanatisme ressaisit avec une nouvelle fureur ses poignards; quand la proscription et la mort planent sur la tête de tous les hommes vertueux, de tous les amis de la raison qui ont pris quelque part aux grands et

généreux efforts de notre régénération; quand, pour comble d'horreur, c'est au nom de ce qu'il y a de plus sacré, de plus révéré sur la terre, au nom de l'amitié sainte, de la vertu, de la probité, de la justice, de l'humanité, de la divinité même, que les brigands traînent à leur suite la désolation, le désespoir et la mort ; quand l'immoralité profonde, l'horrible trahison, l'exécrable délation, le parjure infâme, le brigandage et l'assassinat sont officiellement honorés, préconisés et qualifiés du nom sacré de vertu; quand tous les liens sociaux sont rompus; quand la France est couverte d'un crêpe funèbre; quand elle n'offrira bientôt plus à l'œil effrayé du voyageur que des monceaux de cadavres et des déserts fumans à parcourir; quand il n'y a plus de patrie, la mort est un bienfait?

» Je ne léguerai à ma famille, à mes enfans, ni l'opprobre, ni l'infamie; ils pourront citer avec orgueil mon nom parmi ceux des défenseurs et des martyrs de la cause sublime de l'humanité. Je l'atteste avec confiance, j'ai parcouru toute la sphère révolutionnaire sans souillure; jamais l'idée d'un crime ou d'une bassesse ne flétrit mon âme; lancé, jeune encore, dans la révolution, j'y supportai toutes les fatigues, j'en courus tous les dangers sans jamais me rebuter, sans autre jouissance que l'espérance de voir fonder un jour le règne durable de l'égalité et de la liberté; uniquement oc

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