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point de perdre tout-à-fait la raison; si tu te rappelles encore nos soirées d'intimité; si tu te rappelles les caresses que tu prodiguáis au petit Horace, que tu te plaisais à tenir sur tes genoux; si tu te rappelles que tu devais être mon gendre, épargne une victime innocente; mais si ta fureur est celle du lion, viens nous prendre aussi, moi, Adèle (son autre fille) et Horace; viens nous déchirer de tes mains encore fumantes du sang de Camille. Viens, viens, et qu'un seul tombeau nous réunisse!» (Correspondance inédite, page 238.)

La mémoire de Camille fut réhabilitée par un décret du conseil des Cinq-Cents du 7 floréal an 4; et depuis, Louis-Philippe décida que son portrait serait placé dans le musée historique de Versailles.

NOTE. On lit dans la Jacobinéide, poème burlesque de Marchant, page 28 : « Lucile Duplessis, actuellement madame Desmoulins, est, suivant la chronique scandaleuse, fille naturelle de l'abbé Terray. Grande, belle et bien faite, elle est le parfait contraste de son mari. Celui-ci voulait l'épouser sur l'autel de la patrie au Champ-de-Mars; mais une pluie abondante qui survint le jour pris pour le mariage le força de se marier tout bonnement à l'église. » On y peint au même endroit Camille Desmoulins comme un malheureux toujours déraisonnant, toujours dénonçant, toujours calomniant, et dont l'âme est renversée sur la figure. «En le lisant, on le juge un forcené, en le voyant un sans-culotte, en l'écoutant un imbécile. »

M. Desmoulins père, dans une lettre à son fils qui menace de se venger de ces outrages, lui donne le conseil de mépriser la sanie et la bave de ces folliculaires, dont ils finissent par s'empoisonner eux-mêmes. (Voyez Correspondance inédite, page 105.)

OLYMPE DE GOUGES.

Celui qui se rappelle avoir vu passer, au commencement de cet ouvrage, la physionomie calme, tranquille et posée, mais fine et expressive, de madame Necker, bien que le plus souvent cachée derrière le rideau et presque inaperçue; et qui jette en ce moment un coup d'œil sur celle de la fougueuse Olympe de Gouges, ne pourra s'empêcher d'admirer leur jeu divers. Madame Necker, pleine goût, de réserve, de justesse et aussi de pénétration vive, tout en ne recevant, comme elle le dit, que des rayons réfléchis qu'elle trouve plus doux pour sa vue, fait quelquefois plus avec un

sourire, avec un demi-mot, que l'autre avec sa véhémence, avec ses emportemens toujours effrénés et quelquefois sublimes. L'une est le raffinement de l'esprit le plus exquis, la mesure dans tout, la force dans la retenue; l'autre est l'explosion, le débordement et la provocation même. La première sait qu'on la devinera, parce qu'elle veut qu'on étudie ses impressions, qu'on épie sa pensée; elle ne fait donc pas d'efforts; on écoute un signe, on entend un regard; un mot dit tout. Celle-ci, toute excentrique, a besoin de frapper, d'étonner, d'agir sur les masses par l'éclat de la voix, par la chaleur et la fougue du discours, par la puissance de l'élan et la rapidité des émotions; elle vous fait dévorer indifféremment les phrases les plus barbares et les conceptions les plus informes, à côté des périodes les plus magnifiques et des pages les plus entraînantes. On va en juger.

Marie-Olympe DE GOUGES naquit en 1755 à Montauban, d'une revendeuse à la toilette, selon plusieurs biographes, et d'un père célèbre dans la littérature, s'il faut l'en croire elle-même, mais dont le nom n'a point été révélé. On la prétendit fille de Louis XV (brochure de Léonard Bourdon). « J'avais des droits à la fortune et au nom d'un père célèbre, dit-elle dans son Testament politique, je ne suis point, comme on le prétend, la fille d'un roi, mais d'une tête couronnée de lauriers ; je suis la

fille d'un homme célèbre, tant par ses vertus que par ses talens littéraires. Il n'eut qu'une erreur dans sa vie, elle fut contre moi, je n'en dirai pas davantage.» (Voyez Compte moral rendu, tome II de ses œuvres.)

Son fils, dans une profession de foi que nous aurons l'occasion de citer, dit que du côté de sa mère, ses parens étaient laboureurs et fabricans de toile.

Dès l'âge de quinze ans, elle avait épousé un nommé Aubry, ancien maître traiteur à Paris, qui, ayant amassé quelque fortune, s'était retiré à Montauban, où la beauté de la jeune Olympe l'avait fixé. Restée veuve à seize ans avec un fils, et maîtresse d'une fortune d'environ soixante mille francs, elle vint à Paris dans la fleur de son âge, toute brillante d'imagination et d'attraits. Elle garda toujours, on ne sait trop pourquoi, son nom d'Olympe de Gouges. Il en fallait moins que le prestige d'une capitale enchanteresse pour agir sur cette tête méridionale. Avec ses idées aventureuses et romanesques elle fut bientôt jetée dans un tourbillon de galantes intrigues; elle devint l'âme de toutes les sociétés épicuriennes, et brigua l'honneur d'être nommée la Ninon du dix-huitième siècle. Elle aurait pu obtenir la même célébrité, dit M. Desessarts dans ses Procès de la Révolution, si les passions les plus ardentes et les plus impétueuses ne l'avaient pas flétrie de bonne heure.

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