Page images
PDF
EPUB

vous les violez toutes à la fois : la première en supprimant le pouvoir temporel du Pape, la seconde en dispersant les communautés, la troisième en violentant les évêques, la quatrième en confisquant leur patrimoine.

Comment voulez-vous donc que la religion soit d'accord avec une liberté qui commence par supprimer la sienne?

Êtes-vous prêt à rendre au Souverain Pontife sa souveraineté temporelle, une souveraineté qui lui assure assez de puissance et assez de ressources pour qu'affranchi de toute pression et de toute obligation, il n'ait à tendre les mains que vers Dieu ?

Êtes-vous prêt à accepter l'entière liberté de l'Église dans vos États agrandis?

Êtes-vous prêt, dans les six mois que vous voulez bien nous accorder, à demander aux souverains de l'Europe de garantir cette liberté dans leurs États, en France, en Russie, en Prusse, en Autriche, en Angleterre?

Alors, vous pourrez parler de réconcilier la religion avec la liberté.

Mais, au lieu de cela, depuis dix ans, vous avez violé, sans autre prétexte que le droit du plus fort, tous les traités, tous les engagements solennellement contractés entre le Piémont et le Saint-Siége. De plus, vous avez dénoncé le Souverain Pontife au Congrès de Paris, vous avez calomnié ses intentions, vous avez travesti ses actes, vous avez exilé ses évêques, vous avez bravé ses sentences, vous avez violé ses frontières, vous avez envahi ses États, vous avez emprisonné ses défenseurs, vous avez insulté, écrasé, bombardé ses soldats; vous donnez à Garibaldi rendez-vous dans six mois sur le tombeau des apôtres! Puis vous dites aux catholiques : « Je suis la liberté, et je vous tends la main. »

Non, non, vous n'êtes pas la liberté, vous n'êtes que la violence! Ne nous condamnez pas à ajouter que vous êtes le mensonge! Nous sommes vos victimes, soit : mais nous ne serons pas vos dupes. Vous pouvez annexer au Piémont des royaumes et des empires, mais je vous défie bien de rallier à vos actes une seule conscience honnête. L'accord bienheureux et nécessaire de la religion et de la liberté aura son heure; mais, si elle est, hélas ! pour longtemps retardée, ce sera votre faute et votre éternel déshonneur.

La Roche en Breny, 22 octobre 1860.

CH. DE MONTALEMBERT.

L'EXPÉDITION DE ROME EN 1849

ARTICLE PREMIER

LA POLITIQUE FRANÇAISE A ROME SOUS LE ROI LOUIS-PHILIPPE

I

Je devrais commencer à l'avénement de Pie IX l'histoire de notre expédition de Rome, il y a onze ans. Rien de plus naturellement lié, en effet, que le souvenir des premières années de ce règne et l'entreprise qui fut la consécration, par la France, de la glorieuse popularité du nouveau Pape. Sans doute, ce n'est pas seulement le Pontife réformateur que nous avons prétendu défendre et relever; nous obéissions, j'espère bien le prouver, à l'impulsion d'une pensée plus haute et d'un devoir mieux compris. Mais comment oublier que l'opinion publique s'était prononcée pour le Pape, bien avant que le gouvernement eût à songer à la papauté ?

Opinion publique et gouvernement ne faisaient d'ailleurs que suivre la pente de nos exemples les plus récents comme de nos traditions les plus anciennes. Jamais la France n'a pu se montrer indifférente aux destinées du Saint-Siége. Logique des principes posés, engagements de situation, danger de guerre au dehors, colère des partis au dedans, nous avons vu tout plier, tout s'évanouir devant cette nécessité suprême de la foi et de l'intérêt d'un grand peuple. Certes, si jamais pouvoir semblait peu obligé par son origine au rôle de paladin

de l'autorité pontificale en Italie, c'était celui qui naissait, il y a trente ans, à Paris, d'une révolution faite en haine du clergé plus encore qu'en haine de la légitimité. Jalouse de rompre tout de suite en visière avec la sainte-alliance sans se commettre dans les excès et les périls de la propagande révolutionnaire, la monarchie de Juillet comprit que le principe de la non-intervention, obligatoire pour tous, était le seul par lequel l'Europe pût être tout à la fois satisfaite et contenue. Proclamé, en effet, comme une garantie et comme une menace par M. Laffitte, modifié bientôt en un sens plus conservateur par M. Casimir Périer, ce principe devint et resta la base de notre politique extérieure pendant dix-huit ans.

Cependant une révolution, fille de la nôtre, venait de lever en Italie notre propre drapeau contre le drapeau du Pape; les Romagnes, soustraites à son autorité, s'étaient constituées en gouvernement provisoire, et les proclamations des vainqueurs de Juillet répondaient à l'appel de leurs frères de l'autre côté des Alpes menacés par les Suisses et par l'Autriche. L'émotion était vive dans notre France encore bouillante d'une fièvre d'émeute. Désigné à ce moment pour l'ambassade de Rome, un des hommes qui ont le plus honoré notre diplomatie vint demander, non sans défiance, au chef du cabinet, ce qu'on attendait de lui dans ce poste. « Vous aurez, lui répondit fermement M. Laffitte, à défendre contre les factieux l'autorité spirituelle et l'autorité temporelle du Pape 1. »

On se rappelle que les troupes pontificales, aidées souvent des populations, suffirent en peu de jours à ce soin; mais il n'est pas moins curieux d'apprendre que les insurgés de 1831, vainqueurs de Grégoire XVI, auraient succombé, comme ceux de 1849, sous l'épée de la France.

Peu de mois après, l'homme d'État qui avait remplacé M. Laffitte et qui avait dit, au risque de trop rassurer l'Europe, que le sang des Français ne devait couler que pour la France, jouait la paix du monde sur le rocher d'Ancône pour protéger contre l'occupation autrichienne le Pontife que son prédécesseur aurait voulu défendre contre la révolte de ses sujets. De ces temps à ceux qui ont immédiatement précédé la chute du dernier règne, il y a loin sans doute; mais la politique reste la même. C'était quelque chose sans doute pour Pie IX que la solennité des adhésions parlementaires, l'envoi de 12,000 fusils à la garde

(Discours de M. de Saint-Aulaire à la Chambre des pairs du 12 janvier 1848). Comme l'honnête diplomate insistait sur sa crainte que le ministère ne fut tôt ou tard forcé de prendre fait et cause pour les révolutionnaires d'Italie, M. Laffitte ajouta «Ne vous laissez pas troubler par rien de ce que vous entendrez dire, et tenez pour certain que, tant que moi, Laffitte, je serai ministre du roi, la France ne fera pas la guerre en Italie. »

:

civique de Rome, la visite officielle du prince de Joinville, la coopération active de la France incessamment offerte par un ambassadeur qui devait mourir son ministre. Il y eut plus et mieux que tout cela, ou plutôt, des dispositions si clairement manifestées eurent leur conclusion logique dans un fait peu connu jusqu'à présent, car nous n'avons pas vu qu'on l'ait rappelé en 1849. Prévoyant que le gouvernement du Pape serait attaqué par l'insurrection et menacé dans son existence, M. Guizot avait proposé et fait adopter en conseil la résolution de le défendre efficacement. Tout était prêt pour l'exécution: 5,000 hommes étaient réunis et en mesure de s'embarquer, 2,500 à Toulon et 2,500 à Port-Vendres. Le général qui devait commander l'expédition était nommé, c'était le général Aupick, que la république envoyait peu de temps après comme ambassadeur à Constantinople. Non-seulement il était nommé, mais il avait déjà reçu ses instructions secrètes et savait la conduite qu'il aurait à tenir. Non-seulement tout cela était résolu et préparé, mais le Pape en était informé : « Nos troupes sont disponibles, écrivait le 27 janvier 1848 M. Guizot à M. Rossi; au premier signal elles s'embarqueront pour CivitaVecchia'. >> Ainsi l'on peut dire de notre expédition de Rome en 1849 qu'elle avait été conçue par l'illustre chef du dernier cabinet de la monarchie de 1830, avant d'être lancée par le général Cavaignac et menée à fin sous la présidence du prince Louis-Napoléon.

La République de février avait débuté aussi par une solennelle déclaration de désintéressement à main armée dans les affaires des autres peuples. On se rappelle l'éloquent manifeste de M. de Lamartine cachant un sens prudent sous des phrases altières. A partir de ce jour, disait sincèrement le poëte, les traités de 1815 sont considérés comme n'existant plus, mais la république juge inutile de l'affirmer autrement que par sa parole; tous les peuples sont libres, mais la république ne se charge pas de leur procurer la liberté ; les nationalités opprimées ont droit de revivre, mais par leurs propres efforts et non par l'invasion de nos armes. Seulement, si ces efforts, ces aspirations, ces droits, affirmés par nous, sont refoulés par la violence et que les victimes en appellent à la France libre, la France libre répondra! C'était là, comme on s'en aperçut bientôt, trop dire ou dire trop peu, s'engager au delà de toute prudence ou ne s'engager à rien. C'était nous mettre à la merci de la moindre émeute de Lucques et de Cracovie,

1 Cette détermination, croyons-nous, venait de loin, car nous lisons dans une autre dépêche de M. Guizot à M. Rossi du 27 septembre 1847 : « Ne laissez au Pape aucun doute que, dans le cas d'une intervention étrangère, nous le soutiendrions efficacement, lui, son gouvernement et sa souveraineté, son indépendance et sa dignité. » On voit qu'il ne s'agissait pas encore de borner notre protection à la personne du Pape et à la ville de Rome.

ou nous soustraire par une équivoque peu digne au difficile devoir de la solidarité républicaine. La révolution, qui devinait dejà que la guerre lui serait propice, prétendit avoir entendu l'appel de la Pologne; on le lui nia le 15 mai 1848; l'appel de l'Italie! on le lui nia le 13 juin 1849. Mais le danger du Saint-Père avait été noblement deviné et secouru par le général Cavaignac; mais la voix du réfugié de Gaëte devait être entendue, et ceux-là même qui lui opposèrent la nouvelle constitution de la France et le suffrage des populations romaines comprirent qu'ils engageaient inutilement la logique de la révolution contre l'entraînement d'un sentiment national.

Il y eut même plus à cette époque qu'une simple intervention de la France, il y eut, comme nous l'exposerons bientôt, l'action combinée des quatre principales puissances catholiques pour rendre à Pie IX la plénitude de sa souveraineté et l'intégralité de ses États. Le 30 mars 1849 la France, l'Autriche, l'Espagne et Naples signaient à Gaëte une convention diplomatique et militaire en vertu de laquelle leurs armées devaient entrer sur le territoire pontifical pour y opérer séparément, chacune dans les provinces qui leur étaient assignées.

Ainsi la république, comme la royauté parlementaire, se trouvait avoir rempli vis-à-vis de Rome les mêmes obligations que la monarchie traditionnelle. Liées toutes deux à la non-intervention par prudence comme à un abri, par dignité comme à une mise en demeure de l'Europe, elles ont l'une et l'autre tout oublié pour défendre le domaine temporel de la papauté.

Nulle cause plus française en effet depuis les origines de la monarchie. Bien que l'esprit des croisades soit le signe généreux de notre race, et que notre temps lui-même en ait vu l'un des plus touchants miracles, nous comprenons qu'il ne suffit pas à tout expliquer, même les croisades. En se portant le champion historique de la souveraineté pontificale, la France accomplissait sans doute une œuvre catholique, elle se préoccupait sans doute de la liberté de sa conscience et de la dignité de sa religion; mais elle faisait en même temps un acte essentiellement politique; elle obéissait, sciemment ou à son insu, à un instinct de préservation personnelle. En contact sur le Rhin avec les grands peuples belliqueux de la Germanie, il lui importait de n'être pas si dangereusement avoisinée du côté des Alpes. C'est assez des séductions qui lui sont toujours venues de ce côté, sans y joindre des menaces! Que l'Italie devint un fief autrichien ou une province espagnole, nous risquions d'être pris entre deux feux et de trouver à Turin le même ennemi qu'à Mayence. Qu'elle parvint, par miracle, à se constituer en une seule grande puissance militaire et maritime, le péril ne serait pas moindre; car un royaume d'Italie, allié possible de l'Allemagne sur le continent, vassal obligé de l'Angleterre sur la Méditerranée, enlè

« PreviousContinue »