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retrouvent '!» Nous nous retirons en effet on cherche à rallier les troupes à l'abri des digues élevées qui encaissent le Musone et qui les garantissent assez bien des boulets; les Suisses montrent de la bonne volonté et se reforment à la voix de leurs officiers. Mais il n'y a qu'un cri dans toutes les bouches, qu'un pressentiment dans tous les cœurs. L'instinct du soldat le pousse vers Loreto, la déroute est désormais irrésistible.

Nous traversons lentement la plaine incessamment sillonnée par les boulets; car notre peloton, seul en ordre, sert de cible à l'ennemi. Ses deux pièces rayées nous font la conduite jusqu'au pied des hauteurs de Loreto, longtemps après que les autres sont rentrées dans le silence; mais la Providence veille sur nous, pas un seul projectile n'atteint notre peloton.

Il nous restait un devoir à remplir: retrouver le général. De toutes parts on assure qu'il s'est embarqué; sans entrer à Loreto, nous entrons à Porto-Recanati. Là, pas de nouvelles; des dragons qui reviennent par le bord de la mer ne l'ont pas vu. D'autres prétendent qu'il s'est embarqué vers Sirolo. Impossible de constater où ni quand il a quitté le champ de bataille. Mais, pendant que nous le cherchions, il avait fait ce qu'il fallait, et pris le seul parti qui convenait à une situation aussi désespérée, avec une promptitude de décision qui, dans les situations les plus désespérées, est le privilége de certaines âmes éprouvées par toutes les vicissitudes de la fortune. L'armée une fois débandée, la bataille perdue (et pouvait-elle ne pas l'être?), il ne restait pour le général de Lamoricière qu'un intérêt, qu'un devoir : défendre Ancône; et lui seul pouvait tenir quelques jours derrière ses remparts en ruine, ses redoutes à peine ébauchées et armées d'une manière pitoyable. Il a noblement couronné une entreprise impossible par une héroïque aventure; ce sera notre éternel regret à nous, si fiers du nom de ses guides, que les hasards du champ de bataille ne nous aient pas permis de le suivre.

Quant à nous, restés sans ordres, nous rentrons à Loreto au milieu des rumeurs les plus contradictoires et le désespoir dans l'âme.

Ainsi trois heures avaient suffi pour anéantir l'armée du SaintSiége 3. Ce n'était plus qu'une masse confuse sans chefs, sans âme, en

Il est impossible de rappeler tous les traits de courage de nos Franco-Belges, zouaves de vingt ans, soldats de trois mois, de quinze jours! Je voulais en citer quelques-uns. «Nommez-les tous, ou ne nommez personne, m'a dit le commandant Becdelièvre, ils se sont tous conduits comme des héros. >>

La batterie piémontaise est composée de six canons, dont deux rayés et deux obusiers.

Nos pertes sont et seront peut-être toujours inexactement connues; elles ont dû être considérables si l'on en juge par celles de l'ennemi: or nous tenons du général piémontais Cuggia que la brigade Regina, seule engagée, comptait cinq cent trente

complète dissolution, et désormais à la discrétion des Piémontais. Au colonel Goudenhoven échut la triste tâche de présider à son agonie. La nuit du 19 fut une nuit d'alarme et de hideux désordre; les zouaves, réduits de 280 à 88, auxquels nous nous étions joints, et le bataillon allemand de Wuksman, veillaient seuls aux postes les plus importants. Le sanctuaire de Loreto nous servait d'ambulance. Dans toute l'étendue de l'église on a disposé de la paille et des matelas; deux cents blessés, dont beaucoup n'attendent plus que la mort, y gisent dans ce calme et ce silence qui est le dernier devoir, le dernier point d'honneur du soldat; par une grâce de la Providence, il se trouve à Loreto quelques Sœurs de la Charité : ce sont des Françaises. Elles circulent dans ces funèbres files d'un pas actif, avec cette aisance qui ne se dément jamais, et la douce sérénité de leurs visages porte dans l'âme de nos blessés la résignation et l'espoir. Les chirurgiens ont établi leur laboratoire au chevet de l'église, tout contre la Santa-Casa; ils y travaillent dans une mare de sang. Mais le réduit sacré est resté libre; les messes s'y succèdent pendant toute la matinée, et une foule de soldats ne cessent d'en assiéger les portes. Pour qui a vu, le 19 septembre, ces pauvres Irlandais, ces enfants de la Bretagne encore couverts de boue, de sang, tout noirs de poudre, prosternés sur les dalles du sanctuaire, s'approcher humblement de la table sainte ; pour qui a entendu les paroles du prêtre, couvertes parfois par le cri d'un amputé, jamais Loreto, avec les splendeurs de ses trésors, les pompes de ses cérémonies, l'affluence de ses pèlerins, n'atteindra la majesté de ce funeste jour.

Peut-être l'armée aurait-elle pu échapper à la honte d'une capitulation. Sa retraite par le littoral sur les montagnes d'Ascoli était encore praticable. Mais, nous l'avons dit, il n'y avait plus de chef; le colonel Goudenhoven ne se croyait autorisé qu'à capituler; s'il restait quelques hommes énergiques, ils étaient peu soucieux d'assumer volontairement la responsabilité d'une tentative qui présentait à coup sûr plus de périls que de chances de succès. Une trouée même individuelle sur Ancône ne présentait aux imaginations les plus aventureuses aucune possibilité de réussite, tant les postes piémontais paraissaient serrés et sur leurs gardes. Nous ignorions encore le sort du général, qui, la veille, avait si audacieusement accompli ce que nous ne pouvions plus essayer.

Il ne nous restait donc qu'à capituler, et sans retard, car à chaque instant Suisses et Italiens surtout sortaient de la ville, isolément ou par bandes, et allaient se rendre aux Piémontais, dans l'espoir de

hommes hors de combat; d'autres rapports portent ses pertes à cent soixante-dix tués et sept cents blessés.

retrouver sur le champ de bataille leurs sacs, qu'ils avaient jetés la veille. L'armée ne comptait plus quatre mille hommes.

A quatre heures on nous annonçait que tout était signé, que nous avions obtenu ce que, par dérision sans doute, on appelle les honneurs de la guerre. La triste cérémonie devait s'accomplir à Recanati, où nous arrivons à dix heures. Une division piémontaise était en bataille sur un des côtés de la route et nous présentait les armes, au bruit de ses musiques et de ses tambours, à la lueur sinistre de mille flambeaux plantés dans les canons de fusil. A la porte de la ville, le général Leotardi recevait et nous rendait notre salut. Nous conservions nos armes et nos chevaux, comme tous les autres officiers; mais les soldats déposaient leurs fusils en un immense monceau. Quand nos zouaves jetèrent sur le tas leurs armes aux baïonnettes tordues et teintes de sang, ils lancèrent à leurs vainqueurs un regard qui dut faire rougir ceux qui se trouvaient à Palestro.

On nous enferma dans un couvent où nous dûmes, pendant deux jours, attendre que le cabinet de Turin eût disposé de notre sort. Enfin, le 22 septembre, nous recevons ordre de partir; on nous conduit en France; nous serons libres en touchant la frontière.

Une centaine d'officiers, Suisses, Allemands, Français, composaient notre triste convoi, marchant les uns à cheval, les autres dans ces indescriptibles voitures à volonté que les Italiens préfèrent de beaucoup aux services réguliers, aux diligences. Nous rapportions avec nous, sous la garde de Rainneville et de Ligne, le corps de notre jeune et brillant général. Grâce à sa mort héroïque, grâce aux zouaves si bravement tombés à ses côtés, la catastrophe de Castelfidardo ne sera pour la France ni sans larmes ni sans gloire.

Le passage à Macerata ne fut pas sans quelque danger; et plus d'un cœur qui n'avait pas faibli pendant le combat se troubla sous les imprécations et les menaces de l'ignoble populace. Dans notre longue retraite jusqu'à Livourne, nous avons eu le temps de nous y habituer, et, pour ma part, le mépris n'a jamais cessé d'avoir le dessus. A Camerino, cependant, la démonstration prit un caractère plus grave reçus à coups de fusil par les prétendus gardes nationaux de l'endroit, nous perdimes un cheval, frappé de trois balles sous Anselme. MM. les officiers piémontais de notre escorte doivent être bien honteux de leurs auxiliaires. Nous n'avons pas appris, cependant, que cet incroyable attentat contre le droit des gens ait été de leur part l'objet de la moindre répression.

Le 30 septembre, tristes et confus, nous rentrions en France, ne nous attendant guère à l'accueil si sympathique, aux remerciments que nous devions y trouver. Nous avons fait bien peu pour les mériter. Ils ne nous en sont pas moins précieux; ils nous prouvent qu'à

défaut de ses armes, le cœur et la conscience de la France étaient

avec nous.

Tandis que nous quittions d'une manière si inattendue cette terre d'Italie où nous avions espéré combattre plus longtemps et avec un tout autre succès, trois de nos camarades, de France, de Terves et la Peraudière, étaient assez heureux pour prendre part à la défense d'Ancône; Montmarin, qui se trouvait aussi à la suite du général, ayant eu son cheval tué sous lui, n'avait pu y arriver.

Des Dorides, attaché au major Chevigné, était dans les montagnes d'Ascoli; enfin de Legge et la Guiche, ce dernier arrivé trop tard pour nous rejoindre, combattent encore sur la frontière napolitaine avec le major de Mortillet.

J'ai dit ce que furent les volontaires à cheval. Me sera-t-il permis de dire ce qu'ils auraient pu et dû être? On pouvait faire mieux qu'un peloton de soldats de ces jeunes représentants de nos provinces, de celles surtout de la Bretagne et de l'Anjou, qui ont toujours du sang à prodiguer au service de la justice et du malheur. On pouvait tout leur demander, leur imposer une discipline plus sévère, un service plus régulier, des travaux sérieux. Mais il fallait mettre à leur portée les moyens d'instruction qui leur manquaient et leur ouvrir la perspective de quelques services véritables à rendre. C'est la seule récompense ambitionnée par ces jeunes gens qui se donnaient tout entiers, par ces familles qui donnaient leurs enfants et qui, après tout, représentent dans nos provinces la plus rare et la meilleure des aristocraties, celle de la conscience et du dévouement. P. DE TOURNON.

Montmelas, 20 octobre 1860.

MÉLANGES

LES DERNIÈRES LETTRES PASTORALES DES ÉVÊQUES

Ce sera un grand scandale, un jour, pour l'histoire, que le silence gardé par l'Europe en face des attentats qui se commettent aujourd'hui dans l'ordre politique et moral, Les principes du droit international sont violés, les lois qui de tout temps ont réglé les rapports des peuples entre eux sont foulées aux pieds, les traités à l'abri desquels reposaient les faibles sont déchirés par les forts. Aux procédés de la civilisation succèdent ceux de la barbarie. Des princes travaillent de compte à demi avec des flibustiers. L'honneur, la justice, la foi jurée, ne sont plus des liens pour les rois; la ruse, la duplicité, la violence, deviennent des moyens dont leur ambition ne rougit plus. Tromper ses alliés par d'artificieuses promesses, et, sans déclaration, sans manifeste préalable, envahir leurs provinces désarmées, insurger leurs sujets travaillés de longue main et se faire élever par eux sur le pavois, est une façon mérovingienne de s'agrandir qui semble revenir en usage. L'Europe est ainsi ramenée de quatorze siècles en arrière, et elle se tait! Ces rois que menace un tel retour aux pratiques de la vie sauvage, ces publicistes dont on insulte les doctes travaux, ces diplomates dont on détruit l'œuvre péniblement élaborée, semblent avoir perdu la voix; ils n'ont ni une réclamation à élever, ni une protestation. Le silence règne sur toute la ligne dans les chancelleries européennes.

Mais, si dans les régions de la politique la société se voit ainsi hon

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