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étonner qu'un pareil exploit de la diplomatie puisse être accompli. Nous ne sommes pas préparés à une semblable perfection. Nous croyons trouver une faute, un signe de faiblesse, la plus légère hésitation dans ce docu ment; mais non il ne faiblit pas un instant. Nous devons reconnaître là une grande puissance que tout le monde ne possède pas. Quelques personnes ont le don merveilleux d'affirmer avec un visage grave des choses dont leur interlocuteur (elles n'en sauraient douter) connaît toute la fausseté. Elles peuvent garder leur sérieux et faire taire jusqu'au moindre signe de leur conscience, comme si elles regardaient un tableau ou se livraient à quelque acte pieux. C'est vraiment de la force, c'est de la puissance. La pauvre nature humaine est généralement faible vis-à-vis d'elle-même; elle cède, elle hésite, elle se trouble sous son propre regard. Qu'elle ait à faire un exposé diplomatique, elle n'en vient pas à bout uniquement parce qu'elle a conscience de la vérité. Elle plie sous le poids de ce qu'elle sait et devant la protestation d'un témoin intérieur. Quand nous exprimons ce qui est un fait, nous faisons agir le levier assez facilement, parce qu'il repose sur son véritable point d'appui; quand le langage est séparé du fait, nous saisissons le levier par le bout le plus lourd, et il faut un effort qu'un géant seul peut accomplir avec la facilité et l'aisance nécessaires.

«Le comte de Cavour parait posséder cette puissance mécanique à un haut degré. Il enlève les paroles à la plus grande distance possible des faits avec le calme de la force véritable et l'œil assuré d'un athlète. « Quelques <«< bâtiments ayant des troupes à bord pour protéger les sujets sardes » sont arrivés juste à temps pour recevoir une Adresse de la municipalité de Naples « confiant à Victor Emmanuel la mission de reconstituer et de paci«fier l'Italie. » C'est vraiment magnifique, mais c'est seulement trop beau. Nous n'aimons pas les exploits inutiles. Ils peuvent être merveilleux, étonnants; mais, quand ils ne sont pas nécessaires, ils ne sont pas sublimes. Nous admirons les sorciers et ceux qui exécutent des mouvements étonnants sur la corde roide. M. Blondin fait des miracles; cependant ses exploits ne passent pas pour appartenir à un genre supérieur, et en général nous ne les encourageons pas. Il en est de même des exploits diplomatiques. Ils peuvent nous étonner et nous amuser; ils peuvent démontrer la force musculaire prodigieuse, la dextérité calme, le courage mental, nous n'osons dire moral, de l'éxécutant.

La Note au baron Winspeare nous paraît être pour le moins un acte impolitique, parce que c'est un acte gratuit et un acte insolent. Il était parfaitement inutile de l'écrire. Pourquoi donc jouer avec votre machine diplomatique quand elle n'a pas de travail sérieux à accomplir et qu'on pouvait la laisser reposer? Pourquoi insulter un homme tombé, en se moquant de lui? Pourquoi exhiber cette puissance diplomatique comme une simple bravade, pour prouver avec quelle facilité on peut émettre des assertions étonnantes? Après tout, cet art n'est pas très-honorable; il est plutôt considéré commne un mal nécessaire et comme un malheur pour la politique que comme un art noble qui profite au spectateur et qui soit glorieux pour celui qui l'exerce. Il faut admirer peut-être toute science, et la science du langage politique comme les autres, mais il faut laisser à un esprit italien le soin

d'en découvrir les lois cachées, et nous ne désirons pas que nos hommes d'État anglais en pénètrent à un tel point le secret et que la véracité diplomatique soit une fausseté savante. Nous croyons que l'invasion de Naples par la Sardaigne était nécessaire au salut de l'Italie. La nécessité est son excuse; il n'y avait ni nécessité ni excuse pour la Note au baron Winspeare.

Pour nous, qui ne croyons pas qu'il y ait jamais de nécessité pour le mal et que la nécesité excuse rien, nous ne cesserons d'appeler ces actes des iniquités et des crimes. L'obstination de Garibaldi avait rendu un premier service; la résistance vraiment héroïque du jeune roi de Naples, de ses frères et de ses braves soldats, rend un second service à la vérité. Elles ont forcé le Piémont à verser le sang au lieu de compter les votes; l'hypocrisie des annexions est tombée. L'imparpartiale histoire n'appellera pas l'unité de l'Italie un mouvement national, mais une conquête de la force servie par la ruse.

Cette conquête se heurte en ce moment à deux obstacles sérieux : elle rencontre à Venise des soldats, à Rome des consciences. Celles-ci tiendront plus longtemps que ceux-là.

Faut-il croire que le congrès de Varsovie, réuni en ce moment même, va faire entrer les affaires d'Italie dans une nouvelle phase? Nous l'ignorons et surtout nous en doutons. Certes, il n'est pas un des principes violés en Italie qui ne serve d'appui à tous les trônes, il n'est pas un des procédés employés qui ne les menace. Mais à la vigilance pour demain les hommes préfèrent en général le repos pour aujourd'hui, et, il est d'expérience qu'on voit tomber ses pareils sans croire qu'un même mal vous atteindra, et qu'aux injures d'autrui on prodigue plus de consolations que de remèdes. Si, après beaucoup de protestations, il est pris quelque grand parti à Varsovie, dans ce lieu mal choisi pour conférer sur l'indépendance des nations, ce parti sera peut-être dirigé autant contre la France que contre le Piémont. C'est pourquoi nous ne désirons rien et n'attendons rien de ce rendez-vous royal.

Quant à la France, elle est forcée de prendre un parti; présente à Rome, mécontente de ce qui s'est fait contre ses avis publics, elle peut s'en laver mais ne peut s'en délier les mains. On a dit que la fameuse brochure était réalisée; on se trompe, elle est dépassée, et M. de Ca. vour, en donnant rendez-vous dans six mois à Garibaldi au Capitole, ne brave pas moins l'Empereur que le Pape. N'ayant contribué en rien à amener cette situation compliquée, nous ne saurions indiquer aucun moyen de la résoudre, et nous attendons, l'honneur sauf et confiants en Dieu.

Pour nous encourager à la confiance, un des prélats les plus remarquables de l'épiscopat français, Mgr Landriot, évêque de la Rochelle,

a prononcé, le 27 septembre, à l'occasion du 200° anniversaire de la mort de saint Vincent de Paul, un discours touchant, éloquent et savant, dont la lecture attache, entraîne et fortifie. Nous nous permettrons cependant de demander respectueusement au vénérable orateur s'il n'y a pas dans son optimisme chrétien un peu d'excès et un danger d'abus, en ce moment surtout.

L'optimisme, c'est la confiance que Dieu bénira ce que nous faisons, ce n'est pas la confiance que Dieu suppléera à ce que nous ne faisons pas; c'est la confiance qu'il changera en épi, malgré le vent et la sécheresse, la semence que nous confions au sillon; ce n'est pas la confiance qu'il fera produire une terre que nous n'avons pas labourée. Nous sommes pour qu'on agisse toujours, même sans espoir; pour que les minorités se prononcent, malgré tous les obstacles. Lorsque le marquis de Brignole se lève seul, parle seul, vote presque seul contre la majorité qui veut sanctionner la spoliation de l'Église, au sénat sarde, ce courage augmente, s'il est possible, le respsct que ce vénérable chrétien nous inspire. Aux belles pages de Mgr Landriot, afin qu'on n'en abuse pas, surtout à une heure où le sommeil est si commode, ajoutons cette leçon spirituelle de M. de Maistre : « Il faut toujours agir comme si on pouvait tout et se résigner comme si on ne pouvait rien. Si vous tombez à l'eau, il n'est pas sûr que vous vous sauviez en nageant, mais il est bien sûr que vous vous noierez en ne nageant pas. >>

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L'UNITÉ DE L'ITALIE

Les affaires italiennes préoccupent à juste titre tout le monde civilisé.

La question religieuse a été traitée admirablement, la question politique est à peine effleurée; elle mérite cependant d'être approfondie. Je voudrais en quelques mots appeler sur ce grave sujet l'attention de tous les Français qui tiennent à conserver la grandeur de leur pays.

On veut que l'Italie soit libre jusqu'aux Alpes, que l'Italie soit aux Italiens; cela pouvait se faire par une confédération d'États italiens. Mais l'idée de cette confédération paraît abandonnée par ceux mêmes qui l'avaient mise en avant, et on marche rapidement à la formation d'un seul empire. La France laisse faire, toute l'opinion révolution naire et démocratique pousse à ce résultat et y applaudit comme à un triomphe éclatant; le Piémont est l'ambitieux instrument de cette idée d'unité absolue.

La Toscane, Parme, Modène, presque tous les Etats du Saint-Siége, enfin le royaume des Deux-Siciles, malgré la défense trop tardive d'une armée fidèle, sont annexés, et les chefs du mouvement annoncent que, dans quelques mois, les Autrichiens seront chassés de la Vénétie et que Rome sera la brillante capitale du royaume italien.

Toutes ces annexions se sont faites par des moyens que le droit public et la morale réprouvent, mais malheureusement, il faut le reconnaître, avec une facilité singulière. Dans ces États qui avaient

N. SÉR. T. XV (LIa DE LA COLLECT.). 25 NOVEMBRE 1860. 3′ LIV.

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une existence séparée, et qui, pour la plupart, l'avaient eue glorieuse pendant des siècles, il s'est rencontré une foule de gens, non pas des dernières mais des premières classes, qui ont applaudi, qui ont aidé à la fin de leur pays. Spectacle étrange, mais qui s'explique cependant. La France, depuis longtemps, exerce une sorte de fascination sur l'esprit des peuples et des gouvernements de l'Europe continentale. Ses idées, ses exemples, font de la propagande; on la craint et on l'admire, elle est imitée par ceux mêmes qui la détestent. Depuis surtout la guerre de Crimée et la guerre d'Italie, où on l'a vue si grande sur les champs de bataille, cette admiration, cette propagande, redoublent. Elle apparaît si puissante et si glorieuse au dehors, qu'on rêve partout des gouvernements forts, de grands États centralisés comme la France, et on s'imagine qu'on aurait aussi de la gloire militaire, des victoires, des ducs de Malakoff et de Magenta; quant au bonheur des peuples, on ne s'en occupe guère, on le méprise. En Italie surtout, cette fièvre d'admiration et d'imitation est devenue épidémique; on est encore dans le transport causé par ces paroles célèbres Soyez d'abord soldats, vous serez ensuite citoyens d'un grand pays libre.

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D'un autre côté, dans les divers États de l'Italie, les gouvernements ont, sans s'en douter, singulièrement aidé à la propagation de ces idées et à leur propre ruine. La politique intérieure adoptée par les souverains depuis trois siècles, et perfectionnée par la Révolution française et Napoléon, a partout prévalu, c'est-à-dire le gouvernement se chargeant de tout faire un souverain, une armée, des fonctionnaires, puis une multitude d'administrés, c'est très-simple. Lorsque Napoléon vaincu laissa échapper l'Italie qu'il étreignait depuis des années dans sa main de fer, les souverains s'applaudirent de voir leurs États débarrassés des restes de ces institutions libres et vivaces du moyen âge qui avaient autrefois créé des foyers si ardents de vie, d'action, de patriotisme. Ils furent heureux de trouver une machine administrative bien organisée, bien commode, bien obéissante, et roulant sans obstacle sur un sol parfaitement nivelé; et ils crurent que Napoléon leur avait rendu au moins, bien que sans le vouloir, un éminent service.

Le résultat de ce système de gouvernement, nous le voyons aujourd'hui. Au moyen âge, il y avait en Italie des États où s'agitait une vie puissante, où l'idée de la conquête et de l'absorption de la patrie par un autre État aurait fait frémir tout le peuple d'indignation et fait courir aux armes nobles et plébéiens, riches et pauvres, pour empêcher ce désastre et ce déshonneur. Aujourd'hui nous voyons jusqu'à des capitales comme Florence, Palerme, Naples, voter, ou du moins laisser s'accomplir une absorption qui doit les réduire à n'être que des

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