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N'est-ce pas là le plus sûr, le meilleur des trésors dans les mobiles trésors de ce monde?

Dans les longues soirées d'hiver, ils se réunissent les uns chez les autres, et s'asseyent en cercle autour de la cheminée. Les hommes font divers ouvrages en bois ; les femmes teillent le lin ou le chanvre, et, en travaillant ainsi, on cause amicalement, ou l'on narre des histoires. Les guides disent quels difficiles trajets ils ont faits; les jeunes gens qui ont été chercher à la cime des rocs escarpés des morceaux de cristal; les chasseurs qui ont poursuivi au bord des abîmes les chamois, disent les diverses péripéties de leurs audacieuses entreprises; puis une vieille femme prend la parole et raconte une pieuse légende, ou une terrible histoire de revenants.

A la fin de la soirée, la maîtresse de maison apporte sur la table une cruche d'eau et un plat de pommes de terre bouillies. C'est la collation qu'elle doit offrir à ses hôtes, le frugal souper que ses voisins lui présenteront à leur tour, dans d'autres veillées.

La cloche de l'église sonne le couvre-feu. Les bonnes gens s'étonnent que le temps ait passé si vite, et se séparent en se disant : A demain. A demain, cette douce parole de confiance et d'affection. Chacun reprend le chemin de son logis. Mais peut-être qu'à cette dernière heure de la journée, en dépit du vent et de la neige, un jeune homme ralentit le pas pour répéter à une belle jeune fille une tendre promesse qui bientôt sera consacrée par le curé de la paroisse.

Dans ce même temps, les beaux messieurs et les belles dames qui ont employé les loisirs de leur été à visiter la vallée de Chamouni sont rentrés dans leurs demeures, à Londres, à Paris, à Berlin, et en ces mêmes soirs d'hiver sont invités à un bal ou à un raout. Les hommes, qui aimeraient mieux s'en aller fumer un cigare au club, gémissent de ce qu'ils appellent leurs fastidieuses obligations; les femmes sont mécontentes de leur toilette. On part pourtant, on court dans trois ou quatre salons, et l'on revient après avoir jeté çà et là quelques compliments et reçu d'un air poliment attentif quelque nouvelle publiée le matin dans tous les journaux.

De ces pompeuses veillées des grandes villes, et des rustiques veillées de Chamouni, quelles sont les plus heureuses? Bien entendu, ce sont celles des grandes villes. Ne m'accuserait-on pas d'abuser du paradoxe, si j'osais seulement émettre un doute à cet égard?

X. MARMIER.

L'EXPÉDITION DE ROME EN 1849

DEUXIÈME ARTICLE

LA POLITIQUE FRANÇAISE A ROME SOUS LA RÉPUBLIQUE

(24 février – 10 décembre 1848)

Je sais que les partis révolutionnaires sont arrogants; je sais qu'ils font bon marché de la religion, du catholicisme, de la papauté; qu'ils se figurent qu'ils enlèveront tout cela comme un torrent en le poussant devant eux. Ils l'ont essayé plus d'une fois; ils ont cru qu'ils avaient emporté ces vieilles grandeurs des sociétés humaines elles ont reparu derrière eux! (Sensation.) Elles ont reparu plus grandes qu'eux. Ce qui a surmonté le pouvoir de la Révolution française et de Napoléon surmontera bien les fantaisies de la jeune Italie! (M. GuiZor, séance de la Chambre des députés du 20 janvier 1848.)

<< Pie IX travaille sur le vide... » avait dit un jour le roi Louis-Philippe. Ce mot d'un vieux politique n'avait pas plu. Une fois montée à un certain diapason, l'opinion publique ne souffre plus d'être ostensiblement contredite ni même dirigée. Elle voyait dans les réformes de Pie IX l'éclatante justification de ses répulsions et de ses espérances; peu lui importaient les craintes et les défiances des gouvernements. Peut-être entre-t-il une trop forte dose de scepticisme dans la clairvoyance des diplomates pour que les foules ne méritent pas longtemps encore de passer pour aveugles. Que redoutait-on le plus à la fin de l'année 1847? Une explosion révolutionnaire de l'Italie contre l'Autriche? Mais cette explosion avait eu lieu dans les consciences dès

le fait de Ferrare, et l'on ne pouvait espérer que la sanglante répression des troubles de Milan eût calmé les esprits comme la rue.

Les cabinets n'en étaient pas moins dans leur rôle en multipliant les efforts pour préserver la paix européenne. « Le Pape, mandait M. Guizot à M. Rossi, a un grand intérêt à vivre en paix et en bonnes relations avec l'Autriche, parce qu'elle est une grande puissance catholique en Europe et une grande puissance en Italie. La guerre avec l'Autriche, c'est l'affaiblissement du catholicisme et le bouleversement de l'Italie. Le Pape ne peut pas en vouloir1... » Le Pape n'en voulait pas non plus, et les raisons qu'il en donna dans sa célèbre allocution du 29 avril 1848 sont précisément les mêmes que devinait six mois à l'avance ce grand esprit protestant. Habitué à porter dans la politique courante les vues générales de l'histoire, l'intérêt dominant de la question italienne ne lui semblait être ni l'indépendance de la péninsule ni l'amélioration législative de ses divers gouvernements: c'était, comme il ne craignit pas de le proclamer à la tribune, la réconciliation sincère de l'esprit religieux avec les mœurs, les idées, les institutions de notre époque. L'appui le plus énergique de la France était acquis au Pontife qui avait entrepris une telle œuvre ; mais nous ne devions pas permettre qu'on fit de son nom un drapeau de guerre contre l'Autriche; nous ne devions pas laisser entrainer notre politique, notre action, notre honneur, dans une voie pleine de déceptions et de périls. Eh quoi! la guerre pour l'indépendance de l'Italic, lorsque nous ne l'avions pas faite en 1831 pour la frontière du Rhin! La guerre, un contre quatre, pour donner la Lombardie au Piémont, quand nous n'avions pas voulu jouer cette partie pour accepter la Belgique! Qui oserait prendre la responsabilité d'un tel conseil ?

Ce n'était pas plus M. Thiers que M. Guizot. Bien que portant la parole de l'opposition contre le cabinet, le chef populaire de la gauche se prononçait nettement contre le parti de la guerre. Entre la propagande de nos idées par la force et leur expansion sur le monde par la paix et la liberté, l'historien de la Révolution avait appris à faire son choix. «Non, disait-il avec sa vive éloquence, plus de liberté portée au bout de nos baïonnettes! Que le génie de la France soit partout en Italie, sa main nulle part. Ni perfidie ni violence; contentons-nous d'être tout simplement la France de 89, le peuple qui, avant cette ère de rénovation, avait produit Montesquieu, Voltaire, Pascal, Descartes, ces sublimes agitateurs de la pensée humaine! Cela nous suffit. Ce n'est pas nous qui avons nommé Pie IX pape, ce n'est pas nous qui avons décidé aux réformes le grand-duc de Toscane, les

1 Dépêche du 27 septembre 1847.

rois de Naples et du Piémont... » Mais cette situation que nous n'avions pas faite matériellement, M. Thiers la considérait comme nôtre moralement, et montrait la France comme obligée à la développer et à la défendre.

Entre ces deux fractions parlementaires se plaçait la petite armée catholique, petite en effet dans les Chambres et le pays légal, mais puissante sur l'opinion. Qu'est-ce qu'un parti catholique dans une nation catholique? Ce phénomène, qu'on n'eût pas compris sous le régime de la religion d'État, venait de se produire comme une création spontanée de nos temps d'indifférence. La Révolution avait trouvé le clergé intimement lié à l'ancien régime; elle les avait fait monter l'un près de l'autre sur le même échafaud. Mais, si l'ancien régime devait tomber pour ne plus revivre, il n'en pouvait êtr ainsi de l'Église de France. Retrempée dans le sang de ses martyrs, maintenue contre la persécution par la foi des peuples, elle avait été rattachée par le Concordat à la société issue de 89. Bientôt l'Empire, sacrifiant de son plein gré la gloire du Consulat au stérile calcul de renouer à son profit les plus détestables traditions gallicanes, essaya de faire du nouveau clergé, au besoin contre Rome elle-même, un instrument de despotisme. Cette tentative marqua, comme on sait, la fin des prospérités de Napoléon. On était trop près des ruines et des épouvantes de 95 pour que le retour des Bourbons, «< ces princes pieux qui nous aimaient et que nous aimions, » comme disait naguère une des grandes voix de l'épiscopat, ne prît dans les imaginations, et, malgré la Charte, dans quelques actes, l'apparence d'une revanche de la Providence contre les démolisseurs. Les opinions se développèrent dans ce sens avec la vigueur d'une foi sincère et l'intempérance d'une contradiction acharnée. 1830 vint renouveler, non pas, Dieu merci! les excès, mais les excitations des plus mauvais jours contre l'Église.

Ce fut contre cette situation et surtout contre ces antécédents que voulut réagir une école qui tenait d'abord tout entière dans un bureau de journal, mais où l'on vit bientôt de grands noms s'élever à côté du grand nom qui lui avait donné naissance. Combattu à son origine par toutes les opinions, puisqu'il se séparait de toutes, le parti catholique débuta par où les autres finissent, par les divisions et les luttes intérieures. M. de Lamennais, son vrai fondateur, devenu d'ultra-royaliste ultra-républicain, s'efforçait de l'entrainer, avec ou contre la papauté, à la suite de ce qu'il appelait l'esprit nouveau. Sans différer trop sensiblement du maître dans sa profession de foi démocratique, l'abbé Lacordaire s'était cramponné dès le premier jour au roc de l'Église. Invariablement fidèle aussi à la foi de ses pères, le comte de Montalembert mêlait toutes les aspirations mo

dernes à ce fonds d'idées aristocratiques et libérales que nous voyons se transmettre avec le sang dans les grandes races de l'Angleterre et qui furent trop imparfaitement représentées en France par les Boulainvilliers, les Fénélon, les Saint-Simon, les Montesquieu, les Montlosier. La monarchie parlementaire, quelle que fût d'ailleurs la source de son droit, semblait lui suffire.

Enfin, en dehors de ces brillantes personnalités, restaient une foule d'esprits, graves aussi, dévoués aussi à la cause de la religion, nullement obsédés par les illusions ou par les rancunes de partis, mais ralliés aux puissantes théories de M. de Bonald, non moins qu'effrayés des prédications de M. de Lamennais. Ceux-là se demandaient avec inquiétude ce qu'allait devenir, au milieu de nos bouleversements incessants, un clergé détaché de son ancienne foi politique. En vain répondait-on qu'on devait prendre soin de lui en insuffler une nouvelle. Illusion! Les époques d'instabilité ne sont pas de celles où peuvent naître les convictions: tout concourt, au contraire, à les énerver et à les détruire. Aussi, non-seulement signalait-on de ce côté comme d'un fâcheux exemple la répudiation du principe de la légitimité monarchique par les gardiens de la morale et du droit; non-seulement un parti encore tout entier debout, quoique vaincu, s'indignait de la défection d'un allié pour lequel il venait, disait-il, de tout risquer et de tout perdre; mais il se trouvait des prophètes de malheur pour déplorer le sort de l'Église de France, livrée sans boussole politique au flux et reflux de nos agitations. Dans l'exagération de leurs regrets, quelques-uns allaient jusqu'à prétendre que le clergé ne pourrait désormais refuser son banal hommage à aucun pouvoir, fût-il anarchie aujourd'hui et despotisme demain.

Ces dissentiments, dont la vivacité s'était d'ailleurs amortie, n'avaient pas empêché les catholiques de se constituer et d'entrer en scène. L'esprit religieux communique à tout ce qu'il touche ce quelque chose d'en haut dont il vit lui-même. Ce parti ne semblait-il pas, d'ailleurs, le précurseur légitime de Pie IX? Le premier, n'avait-il pas appris aux catholiques à parler la langue des idées modernes, à défendre, au lieu de les attaquer sans espoir, des institutions regardées alors comme nécessaires au progrès et à la dignité de la société nouvelle? Au dehors, deux peuples asservis, deux clients illustres et délaissés, la Pologne avec ses héros, l'Irlande avec ses martyrs, lui donnaient accès au cœur des masses. Au dedans, la question du libre enseignement, c'est-à-dire du droit des pères sur l'âme de leurs enfants, lui livrait le cœur des familles chrétiennes. Des journaux ardents alors à réclamer l'extension des droits de la conscience et des libertés constitutionnelles, le corps presque entier des évêques, engagé dans une lutte à fond contre l'Université, qui dissimulait ha

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