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avait été solennellement invité à accepter l'hospitalité de la France. Le ministre des cultes fut même envoyé à sa rencontre jusqu'à Marseille, avec un large crédit à mettre à la disposition du Pape et des cardinaux. Un savant et pieux évêque avait béni la République du haut de la tribune. Le nonce adressait de touchants remerciments au président de l'Assemblée constituante, et l'ancien rédacteur en chef du National lui écrivait à son tour: « L'Assemblée a répondu aux sentiments de la nation entière, en faisant éclater les témoignages de sa vive et profonde sympathie pour le SaintPère. » Jamais les rapports entre la France et la cour pontificale n'avaient été empreints de plus de déférence et de tendre empressement. S'il fallait en croire les apologistes maladroits du gouvernement tombé le 10 décembre, il y aurait eu, sous ces élans dignes des siècles catholiques, toute une politique renouvelée de Machiavel. On voyait le moment venu et l'occasion propice de séparer définitivement le spirituel du temporel. Sans soumettre Pie IX aux avanies de la prison impériale de Fontainebleau, on comptait le dégager complétement de l'influence des cardinaux, et le décider à opérer dans le catholicisme les mêmes réformes qu'il avait essayées dans ses États. On espérait surtout en débarrasser l'Italie, qui se trouverait ainsi avoir recouvré sa pleine liberté d'action. Pauvres inventions de l'esprit de parti que ces plans prêtés après coup au général Cavaignac! Nous voyons, quant à nous, trois raisons bien catégoriques de n'y pas croire. D'abord, il n'y avait pas lieu pour le moment de contraindre le Pape à donner des libertés à ses sujets, car le statut était en pleine vigueur; c'est en l'invoquant que Rossi, Rossi venait d'entrer au ministère et d'être frappé. Que pouvions ous mander de plus à Pie IX que le Statut? Qu'il déclarât la «*** Non sans doute, puisque nous étions médiat die. En second lieu, l'Europe, qui déjà n' pta pas avec psir notre simple intervention de garantie personnelle au Vatican, n'y aurait point laissé arriver sans résistance un programme de gouvernement porté au bout de nos baïonnettes. Oublie-t-on que la crainte de notre propagande révolutionnaire était à l'ordre du jour des puissances, et que la moindre démonstration irréfléchie de notre part devait infailliblement les rallier contre nous? C'était donc la guerre, la guerre pour imposer la république aux États de l'Église, quand nous l'avions refusée pour défendre l'indépendance de l'Italie du Nord! Si l'on osait être franc, on avouerait au contraire que le seul désir de rassurer les grandes monarchies avait dicté les restrictions excessives mises à la mission de notre envoyé extraordinaire. Enfin, il nous sera permis de faire observer que si la république avait eu Réellement la honteuse pensée d'exercer la moindre violence morale sur son auguste protégé,

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à atriche? Lombar

paix

elle n'aurait pas pris pour agent un homme non moins connu pour ses lumières que pour sa filiale affection envers Rome. De tout temps, on ne l'ignore pas, les caractères à la hauteur de pareils services ne sont pas rares. Veut-on savoir quels sont ceux qui doivent se réjouir de cette nouvelle interprétation du dernier acte politique de M. Cavaignac? Ce sont ses ennemis qui n'y voulurent voir alors qu'un misérable calcul électoral 1.

Heureusement pour la mémoire du noble vaincu du 10 décembre, nous aurions à citer à sa justification mieux que les écrivains de sa couleur, nous aurions le général Cavaignac lui-même. Le 25 novembre, le jour même où étaient arrivées les nouvelles de Rome, Cavaignac, descendant de la tribune, où il avait été obligé de rester longtemps, pour se disculper d'avoir sauvé la société en juin, et, tout frémissant encore de l'émotion de ce combat toujours nouveau pour lui, vint trouver à son banc un ami de jeunesse dont il avait plus d'une fois entendu, sans oser les suivre, les conseils également dévoués à l'Église et à la cause libérale, et, l'entraînant à part, lui dit : « Le moment est venu; il faut voler au secours du Pape !... » Voler au secours du Pape, n'était-ce pas, en un mot du cœur, toute la politique de l'expédition romaine? M. de Corcelles partait le lendemain, emportant comme le vrai secret de ses instructions ce cri d'un soldat et d'un honnête homme.

LEOPOLD DE GAILLARD.

1 La Chambre des députés de Rome n'avait pas deviné non plus les récentes explications de M. Jules Bastide sur un fait qui la touchait de si près, car elle votait, le 6 décembre, la proposition suivante, présentée par M. Mamiani, le remplaçant de Rossi : «Le cont députés s'associe au ministère pour protester contre les projets exposes p Cavaignac dans la séance de l'Assemblée nationale de France du 28 noves ed

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M. OCTAVE FEUILLET

AUTEUR DRAMATIQUE

Dalila.

- Le Roman d'un jeune homme pauvre. La Tentation. ·

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Rédemption.

y a deux ans, lorsqu'un engouement excessif accueillit le Roman d'un jeune homme pauvre, récit très-attrayant sans doute, mais incapable de résister à la plus indulgente analyse, nous crûmes devoir indiquer ce qu'il y avait, selon nous, de dangereux pour M. Octave Feuillet dans ce succès même, au moment où l'ingénieux écrivain semblait disposé à exagérer sa manière. Pour ses admirateurs de plus en plus nombreux et fervents, ses qualités exquises, venues presque des défauts, ne perdaient rien de leur charme, bien au contraire! Elles s'accentuaient davantage; elles con.ractaient je ne sais quel arome particulier, subtil et pénétrant, l'odeur des tubéreuses, plus enivrante, mais moins saine que celle des violettes. A nos yeux, cette tendance visible de son talent, se combinant avec sa vogue toujours croissante, amenait dans sa vie littéraire ce que lui-même, en son aimable langage, a appelé une Crise; car les intelligences délicates ont leurs crises comme ces âmes féminines dont il a si fineme..t étudié les évolutions et les nuances. Jusqu'alors, en effet, la physionomie de M. Octave Feuillet, volontairement voilée dans une sorte de lointain et de clair-obscur, offrait de réelles analogies avec ces intérieurs paisibles, ces amours honnêtes, ces poésies du foyer domestique, dont il décrivait avec tant de grâce les sécurités et les douceurs. On l'avait intitulé, avec plus de malice que de justesse, le Musset des familles; il

eût été plus exact de l'appeler le Musset de province, dans la meilleure acception de ce mot, qui ne sera jamais sous notre plume ni une injure, ni une épigramme. Plus d'estime que de bruit, plus de sérénité que d'éclat, un contentement intime, le rayonnement d'un bonheur égal dans une imagination apaisée, tout cela se retrouvait dans le genre de succès et d'existence choisi par l'auteur lui-même, comme dans les œuvres qu'il nous présentait, comme dans les sujets où il semblait se complaire. Pour nous, au milieu de ces ardents tumultes qui font trop souvent ressembler la littérature actuelle à un marché en rumeur ou à un théâtre en plein vent, nous ne connaissions rien de plus salutaire et de plus charmant que l'exemple donné par ce poëte, recueilli et abrité dans une vieille ville normande, rêvant et travaillant à ses heures, savourant ces félicités tranquilles dont il s'était fait le panégyriste, nous envoyant de temps à autre quelque delicieux ouvrage, et heureux d'obtenir de loin le suffrage du petit nombre, le sourire mouillé dont parle Homère, l'hommage reconnaissant des femmes d'élite et des jeunes cœurs. Nous redoutions d'avance pour lui tout ce qui l'éloignerait de cet idéal, tout ce qui lui déroberait quelques-uns de ces discrets avantages, même pour lui donner en échange des ovations plus retentissantes et de plus riches couronnes : c'est pour cela qu'au milieu de son succès le plus éclatant nous osâmes exprimer nos affectueuses alarmes.

Deux ans se sont écoulés, et nos prévisions n'ont été que trop justifiées. Voilà M. Octave Feuillet en plein Paris, en plein théâtre, occupant les cent bouches de la renommée, tenant l'affiche, faisant recette, héros de premières représentations comme M. Dumas fils ou M. Barrière. Le propice demi-jour qui lui servait d'auréole s'est dissipé à la corrosive clarté du gaz. Aux fuyantes perspectives, aux complaisants paysages qui s'harmoniaient si bien avec ces personnages un peu artificiels, avec ces sentiments un peu quintessenciés, ont succédé les tons crus des décorations, l'horizon borné de la toile de fond, les contours inflexibles de l'optique théâtrale. Sur ce nouveau terrain, plus dangereux pour lui que pour tout autre, M. Octave Feuillet a cherché, non pas un renouvellement, une seconde manière, mais l'application de sa première manière, en y ajoutant ce verre grossissant du théâtre, qui ne sied pas à tous les visages. Enfin, comme pour préciser encore plus et compléter cette défection imprudente, le voilà exploitant, avec récidive, ce sujet qui traîne depuis dix ans sur toutes les planches dramatiques, ce sophisme, frotté de lieu commun, de la courtisane réhabilitée par l'amour; circonstance d'autant plus aggravante que ce drame de Rédemption, quoi qu'en ait dit une critique amie, nous semble, à commencer par son titre, plus choquant, plus paradoxal, plus inadmissible, et, pour tout dire, plus immoral

que les chefs-d'œuvre du genre, les Dame aux Camellias, les Diane de Lys et les Demi-Monde.

Telle est aujourd'hui la situation de M. Octave Feuillet. Qu'a-t-il gagné, qu'a-t-il perdu à cette métamorphose? C'est ce qu'il convient d'examiner. Mais, avant de parcourir les quatre grandes pièces qu'il vient de faire jouer en trop peu de temps, qu'on nous permette quelques réflexions générales.

Si l'on nous demandait quels sont les deux plus grands ennemis de la littérature contemporaine, nous répondrions sans hésiter : le théâtre et l'argent; non pas que nous songions à nous étonner ou à nous plaindre que la littérature dramatique, si populaire en France, si favorable au contact immédiat de l'auteur avec le public, ait plus de séductions que toute autre pour les imaginations bien douées; non pas que nous demandions aux écrivains modernes de résister à tous les courants du siècle, de s'accommoder du brouet noir et du grenier classique, de trouver bon que des intrigants et des imbéciles s'enrichissent en quelques jours, pendant que se continuerait la tradition séculaire des beaux esprits crottés et des poëtes à l'hôpital. Non, nous ne sommes pas aussi puritain que cela! Ce que nous voulons dire, c'est que, d'une part, la question d'argent dominant partout et toujours la question d'art, de l'autre le théâtre offrant de plus grands bénéfices que le livre, les talents les plus exquis et les plus purs peuvent, à un moment donné, être fatalement amenés à violenter leur vocation, à méconnaître leurs aptitudes, à grossoyer ou à pousser au noir leurs délicatesses, pour se porter de préférence du côté où les applaudissements se traduisent en beaux écus sonnants. Ce que nous voulons dire encore, c'est que le théâtre, avec ses éblouissements et ses rumeurs, avec la vie tout en dehors qu'il implique et qu'il impose, avec les affinités qu'il crée entre l'auteur et les comédiens, finit par devenir, à notre époque, non-seulement un genre littéraire, mais une habitude de l'existence, une sorte d'état normal où les sensations, les sentiments, les idées, les pudeurs de l'âme et du cœur, prennent involontairement des formes plus accusées, mieux ajustées en vue du public, où la plupart de nos illustres, prodigues de confidences, jaloux d'attirer les regards, aimant à renouveler sans cesse le bruit qui s'attache à leurs pas, arrivent à être des personnages, dans le vieux sens latin du mot, à ressembler constamment à des acteurs en représentation. Des tempéraments dramatiques, tels que MM. Dumas, par exemple, aguerris de bonne heure au feu de la rampe, nourris dans le sérail dont ils connaissent les détours, n'y perdent rien; ils y rencontrent au contraire un excitant qui double leurs forces. De cet accord parfait entre cette atmosphère et le jeu de leurs poumons peuvent résulter des œuvres, sinon très

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