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A l'exemple de nos anciens jurisconsultes, il se délassait des fatigues du barreau et des assemblées politiques, non-seulement par de remarquables travaux de jurisprudence, mais aussi par des études littéraires estimeés. C'est ainsi qu'il a traduit pour la collection des auteurs latins publiés par Panckoucke (1832), le Traité de la clémence de Sénèque ; il a fait précéder cette traduction d'une préface fort intéressante dans laquelle il réfute l'opinion de Diderot, qui avait vu dans ce traité une courageuse protestation contre la cruauté de Néron; il y voit au contraire une apologie des premières années du gouvernement de cet empereur, et se résume ainsi.

« Le Traité de la clémence est un bel ouvrage on aimerait, je le conçois, à y voir aussi une belle action; mais les faits le permettent-ils? Le lecteur a sous les yeux les éléments de solution de la question; c'est à lui de juger. Un trait de courage, d'indépendance, de vertu, sous le despotisme! rien ne serait plus consolant pour l'humanité. Mais quelle masse de preuves il faudrait pour croire à ce phénomène! Sénèque avait adressé à Polybe, affranchi de Claude, un Traité de la consolation plein de flatteries envers ce misérable. Depuis il traça l'apologie du parricide; il fit dire à Néron, dans sa lettre au sénat à l'occasion de l'assassinat d'Agrippine, que la mort de cette princesse était un bonheur public (publica fortunu extinctam). Le Traité de la clémence prend place par sa date entre ces deux écrits. On examinera si ce rapprochement favorise l'opinion de Diderot ou la mienne. »

Avons nous besoin de rappeler aux lecteurs de cette Revue les articles que M. de Vatimesnil y a publiés sur M. Hyde de Neuville, son collègue au ministère, sur Madame de Créquy, et, en dernier lieu, le bel exposé de l'Action du Christianisme sur les lois? Douloureusement atteint, il y a deux ans, dans ses affections domestiques, par la perte de la digne compagne de sa vie, M. de Vatimesnil vit avec la résignation d'un philosophe chrétien sa santé décliner peu à peu. Lorsque des événements trop connus vinrent ébranler l'autorité du Saint-Siége, le catholique fervent se retrouva sur la brèche. Ceux qui entreprenaient de servir Pie IX, trahi et abandonné par les puissants du monde, ne s'adressèrent pas inutilement à lui, et il mit à leur disposition son expérience, sa science et son dévouement. Nul mieux que lui ne savait fixer les limites dans lesquelles l'autorité spirituelle est souveraine et doit refuser de partager son pouvoir avec quelque puissance que ce soit. Le clergé français se sentait encouragé par ses conseils respectueux mais fermes, et se confiait à ses lumières et à son zèle éprouvés.

Le Barreau, l'Église, les partisans d'une politique conservatrice et libérale, peuvent, maintenant surtout, apprécier quel vide laisse derrière lui M. de Vatimesnil. En réfléchissant à cette vie d'étude, de

dévouement, d'aspirations généreuses, de fidélité politique et de piété fervente, notre pensée se reporte vers ces lignes qu'écrivait ici même en 1857 notre illustre et à jamais regrettable collaborateur :

<< Honneur à ceux dont les bras ne se sont pas arrêtés un instant, et qui n'ont pas été vaincus par les flots!

« Aujourd'hui, pour fortifier notre courage, nous avons besoin de contempler dans le passé ces exemples de constance et d'énergie. Puisque le mal existe, il faut le combattre. Au matérialisme pratique, qui tend, pour emprunter une éloquente expression, vers une barbarie savante, on doit opposer les grandeurs du spiritualisme, les satisfactions nobles, pures, inaltérables, que l'âme trouve dans l'accomplissement du devoir et dans les efforts mêmes de la lutte contre les mauvais entraînements de la société environnante. Les modèles de ce genre de courage, le plus rare de tous, méritent de devenir pour nous un sujet d'étude. Ainsi fixons nos regards sur les personnages vertueux de toutes les époques; mais fixons-les principalement sur ceux dont les vertus contrastent avec les mœurs et les principes de leur temps. Peut-être parviendrons-nous ainsi à nous préserver des défaillances du nôtre. »

HENRY MOREAU,

Avocat à la Cour impériale de Paris.

BIBLIOGRAPHIE

f

LE MINISTÈRE PUBLIC ET LE BARREAU, avec une Introduction de M. Berryer. Paris, in-8°, Jacques Lecoffre, éditeur.

Nous voudrions pouvoir insérer dans les colonnes de notre Revue les passages les plus saillants de l'admirable lettre de M. Berryer qui sert d'avantpropos au livre le Ministère public et le Barreau. Ceux de nos lecteurs qui ont lu ou qui liront ce document si intéressant à tant de titres s'expliqueront sans peine les motifs d'une abstention qui nous coûte plus que nous ne saurions l'exprimer. En feuilletant ces belles pages, on échappe difficilement à de glorieux mais amers souvenirs. Pourquoi la voix du puissant orateur ne retentit-elle plus en dehors des débats judiciaires? Pourquoi à ceux qui admireront ce magnifique morceau, à ceux qui liront avec émotion cette nouvelle préface, nous allions dire ce discours, devrons-nous répondre: Quid si ipsum tonantem audivissetis?

La lettre de M. Berryer a produit une grande sensation en France; mais l'admiration générale ne s'est guère manifestée, si nous en exceptons quelques articles de journaux, que d'une façon discrète et intime. A l'étranger, par un contraste dont nous ne voulons pas rechercher la cause, l'approbation s'est fait jour de la façon la plus éclatante dans la presse et dans les réunions publiques. Les organes les plus accrédités de l'opinion anglaise, le Times et le Saturday Review, ont consacré à ce sujet des articles remarqués. Enfin, au banquet du lord maire, après les discours de M. de Persigny et de lord Palmerston, un jurisconsulte éminent, un homme d'Etat célèbre, l'un des plus illustres représentants du barreau et de la magistrature anglaise, lord Brougham, au milieu de l'adhésion d'une assemblée imposante, a félicité M. Berryer d'avoir noblement soutenu les priviléges de sa profession, et d'avoir revendiqué la liberté de la défense, cette garantie

essentielle de tous les droits, ce dernier cri, comme l'a si éloquemment dit d'Aguesseau, de la liberté mourante.

Quant à l'ouvrage même qui se présente au public sous un tel patronage, son auteur ne veut, croyons-nous, et n'accepte d'autre éloge que celui d'avoir provoqué la lettre de M. Berryer. Celui qui a écrit le Ministère public et le Barreau s'est attaché à établir aussi nettement qu'il lui a été possible les droits et les devoirs respectifs des avocats et des magistrats du ministère public, à l'audience des tribunaux de répression. Il s'est efforcé de prouver qu'il y avait dans la lutte judiciaire une égalité parfaite de droit entre ceux qui s'y mesurent, et il a considéré comme un outrage pour les membres du parquet l'opinion qui prétendrait que ces derniers ont besoin de l'avantage des armes pour être à même de combattre leurs adversaires.

L'auteur ne s'est pas contenté de cette démonstration, il l'a en quelque sorte rendue inattaquable en la plaçant sous l'égide des autorités les plus compétentes. Il a invoqué notamment l'opinion de MM. Dupin, Daviel, Mesnard, Pascalis, Pinard, Delangle, Chaix d'Est-Ange, en un mot de tous les hommes considérables, vieillis dans l'expérience des affaires et de l'administration, que l'on ne peut suspecter de se passionner contre le pouvoir, de méconnaître le principe d'autorité, ou d'ignorer les nécessités du gouvernement.

Toutefois, quand la conviction de ces hommes si autorisés s'exprimait avec trop de vivacité, de sages réserves ont été faites. Ainsi l'on a fait remarquer avec raison que MM. Daviel et Dupin allaient à la fois trop loin lorsqu'ils croyaient que les avocats étaient asservis, et lorsqu'ils leur prêchaient presque l'insurrection comme le plus saint des devoirs.

A l'exception d'un chapitre qui traite de l'indépendance de la profession d'avocat, l'Appendice s'adresse particulièrement aux magistrats et ne saurait être accueilli par eux, ce semble, qu'avec le plus vif intérêt et la plus grande faveur. Le chapitre des Rapports des magistrats et des avocats à l'audience renferme de piquants détails dont l'utilité ne sera méconnue par personne. Nous en dirons autant de la partie intitulée la Magistrature et la Politique. L'obligation où est le juge d'affranchir son esprit de tout intérêt de parti y serait démontrée de la façon la plus éclatante, si une discussion sérieuse pouvait s'élever sur ce point. En effet, si les préoccupations de la politique ne sont pas absolument écartées des délibérations des magistrats, la dignité de la justice est sérieusement compromise, et l'ordre social profondément troublé. Sous un gouvernement fort, les droits les plus sacrés pourront sembler privés de garanties réelles, et de malheureuses adulations abaisseront celui qui les prodigue sans relever celui qui les reçoit; sous un gouvernement débonnaire, les mêmes magistrats croiront racheter leur docilité passée par une opposition sans danger et par conséquent sans mesure, et rechercheront, au grand détriment du pays, une popularité de mauvais aloi. La magistrature et la politique doivent donc rester étrangères l'une à l'autre. Heureux le pays où l'on n'aura pas le droit de dire: Res olim dissociabiles.

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1 Siam servi si, ma servi ognor frementi. Ce vers du poëte italien a encore inspiré récemment M. Dupin dans la dernière discussion du Sénat sur les affaires d'Italie.

L'Appendice renferme un curieux chapitre sur la Magistrature en 1814, d'après M. Dupin. Ici encore l'auteur fait remarquer que jamais amant jaloux n'a poussé plus loin ses ardeurs que l'amant de la légitimité en 1814. M. Dupin avait le droit de juger l'Empire avec sévérité, même avec défaveur, si telle était alors sa conviction; mais il eût fait acte de bon goût en s'abstenant d'invectives ou même d'injures envers un pouvoir déchu et en laissant aux esprits vulgaires le triste privilège d'outrager le lion terrassé. M. Dupin, nous nous empressons de le reconnaître, a, du reste, dans les éditions postérieures de ses œuvres, retranché les passages les plus durs à l'endroit du gouvernement impérial et de ses serviteurs.

D'après cette courte analyse, on peut voir que le Ministère public et le Barreau offre une lecture attrayante pour d'autres encore que les jurisconsultes ou les hommes politiques, du moins si nous en jugeons par nous, qui ne sommes, à notre grand regret, ni l'un ni l'autre.

P. DOUHAIRE.

DE LA LIBERTÉ DE L'HISTOIRE, par M. AMÉDÉE LEFÈVRE-PONTALIS, avocat à la cour de Paris. Douniol, 1860. LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE, par M. ANTONIN LEFÈVRE-PONTALIS, auditeur au conseil d'Etat. (Revue des Deux Mondes, 15 août 1860.)

L'arrêt de la cour de Cassation intervenu après le procès dirigé par le Siècle contre Mgr l'Évêque d'Orléans a soulevé, de la part de juriconsultes distingués, des objections nombreuses. Il a été, dans ce recueil, étudié avec un rare talent par M. Henry Moreau. M. Lefèvre-Pontalis a traité de nouveau la même question dans un écrit véritablement excellent. "C'est un résumé clair, complet, pris de haut, animé sans passion, savant sans lourdeur; nul n'a mis avec plus d'art et d'exactitude impartiale tous les arguments en ligne, toutes les conclusions en saillie. On sait la difficulté. La diffamation envers les morts est-elle punie? Non, ce serait prohiber l'histoire. Mais la volonté de nuire aux vivants en diffamant leurs auteurs est-elle impunie? Non, ce serait détruire la paix des familles. Mais comment est-elle punie? Comme tout dommage, par une réparation civile. Voilà, aux yeux de M. Lefèvre-Pontalis, la vraie doctrine. En droit, la loi pénale n'a pas voulu atteindre la diffamation envers les morts. En principe, elle a bien fait de ne pas le vouloir, car il est bon que le jugement de l'opinion suive la mort, afin que la crainte de ce jugement améliore la vie, ou que ses sévérités l'expient. Tel est le droit, le but, l'effet de la liberté de l'histoire, qui précède la justice de Dieu.

Si les morts ne sont plus libres, les vivants ont besoin de l'être, et toutes les constitutions proclament à l'envi la liberté individuelle. Nos constitutions sont comme les préfaces: elles promettent ce que les chapitres du livre ne tiennent pas toujours. Nos lois, en effet, ne protégent que d'une manière insuffisante la liberté individuelle. M. Antonin Lefèvre-Pontalis vient de le démontrer dans une analyse très-habile de tous les textes de nos Codes sur la détention préventive et sur la détention illégale. Sans doute il n'y a presque plus de lois d'exception. Sans doute encore l'esprit de la magistrature est

NOVEMBRE 1860.

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