Page images
PDF
EPUB

moins orné. L'auteur, il est vrai, nous dit lui-même qu'il s'est proposé avant tout un but littéraire; mais ce but, selon nous, dans un travail comme le sien, ne devait être ni prédominant, ni unique; une figure aussi grave que celle de Théodulfe demandait, ce nous semble, à être peinte d'une façon plus mâle et avec cette couleur ferme et sobre que demande la vérité historique. A cela près, le livre de M. l'abbé Baunard se recommande par toutes les qualités solides. Mgr l'évêque d'Orléans l'a ainsi jugé sans doute, lorsqu'il a permis à l'auteur de le publier sous ses auspices et de lui en offrir la dédicace.

P. DOROGHI.

DERNIÈRES ANNÉES DU RÈGNE ET DE LA VIE DE LOUIS XVI, par M. FRANÇOIS HUE; troisième édition, revue sur les papiers laissés par l'auteur, précédée d'une Notice sur M. Hue, par M. RENÉ DU MÉNIL DE MÉRICOURT, son petit-gendre, et d'un Avant-Propos, par M. H. DE L'ÉPINOIS. Paris, Henri Plon, 1860. ¡

[ocr errors]

Nous devons à M. Henri de l'Épinois une nouvelle édition des Mémoires de M. Hué. Le testament du roi martyr a pour jamais consacré le dévouement de ce fidèle serviteur. Le récit que vient de nous rendre M. de l'Épinois nous fait vivre dans la prison du Temple, et même nous introduit dans le cachot solitaire de la Conciergerie, où Marie-Antoinette attendait l'échafaud. Souvenirs déchirants et consolants tout ensemble! Déchirants, 'car jamais tant d'infortune n'accabla tant de grandeur, jamais égale perversitė ne se déploya contre pareille innocence; consolants, car la magnanimité des victimes surpasse encore l'atrocité des bourreaux, et le spectacle qu'un témoin sincère met sous nos yeux fait penser, avec le comte de Maistre, « qu'il peut y avoir eu dans le cœur de Louis XVI, dans celui de la célesté Élisabeth, telle acceptation capable de sauver la France. »>

Une Notice sur M. Hue écrite par son petit-gendre; un Avant-Propos où M. de l'Épinois nous montre dans l'oubli de Dieu et le mépris de l'Église la cause dominante qui a fait évanouir les espérances de la liberté et triompher les crimes de la terreur; la reproduction du Testament de Louis XVI et de Marie-Antoinette; une bonne traduction de l'Allocution du pape Pie VI, décernant à Louis XVI le titre de martyr; enfin quelques notes inédites tirées des papiers de M. Hue, voilà ce qui achève de rendre excellente cette édition nouvelle d'un livre à jamais précieux.

C. DE MEAUX.

- La brochure de M. de Falloux: Antécédents et Conséquences de la situation actuelle, est toujours vivement recherchée. Aussi nous empressons-nous d'annoncer que, pour répondre au vœu des personnes qui désirent la propager, la librairie Douniol vient d'en publier, à prix réduit, une édition populaire en petit format. La même librairie annonce une brochure de M. Gervais intitulée : Le Pape-Roi, dont le titre seul accuse l'intérêt.

LES ÉVÉNEMENTS DU MOIS

22 novembre 1860.

Les événements de ce mois sont des documents. Telle est la puissance de l'opinion, que les rois et les ministres dirigeants viennent tour à tour faire leur rapport à cette souveraine invisible. Nous avons eu ce mois-ci des discours, des rapports, des proclamations, des dépêches, des circulaires, des articles. La presse devient ainsi comme une colonne où l'affiche du spectacle politique est apposée chaque matin, elle est comme une fenêtre par laquelle les hommes publics parlent aux particuliers, elle est comme un dialogue établi entre quelques-uns et tout le monde. Il est vrai, l'opinion n'a pas en tous pays le moyen de répondre, de contrôler ce qu'on lui dit et de regarder derrière les paroles pour découvrir les intentions ou pour expliquer les actions. Il en résulte que, si l'on excepte le grand nombre de ceux qui croient tout et le petit nombre de ceux qui ne croient à rien, si l'on met à part la crédulité béate et la défiance obstinée, l'immense masse des lecteurs demeure avant tout indifférente, endormie, distraite, à moins qu'un document particulier, tranchant sur tout le reste par des caractères irrésistibles, ne vienne, comme une lumière vive, enlever de force l'attention. Il y a dans le regard de l'honnête homme une certaine transparence, il y a dans son accent une assurance modeste et ferme, qui obligent à s'écrier, quand il parle : « Voilà la vérité! >>

Tel a été l'effet de la publication du rapport du général Lamoricière 1. Dans ce morceau, plus long que ne l'est d'ordinaire le rapport d'un général en chef, parce que le général a eu seul tout à dire, comme il avait eu presque seul tout à organiser, tout à faire, pas de phrases, pas de vaines excuses, pas de reticences; rien de caché, d'omis ou d'exagéré; sans chercher à plaire ou à déplaire, à se grandir où à se diminuer, le général a dit avec une måle modestie, avec une scrupuleuse exactitude, la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Tous les récits particuliers doivent désormais s'effacer et dispa

Le rapport du général de Lamoricière, revu, augmenté et enrichi de trois cartes géographiques, sera publié sous peu de jours à la librairie Douniol en un volume in-8°.

raître devant cette page, qui sera l'histoire. Un petit gouvernement, entièrement inhabile à la guerre, destiné, résolu à ne jamais la faire, dirigé par un souverain qui est, par excellence, le prince de la paix, s'est vu jeté tout d'un coup entre la révolution et la conquête. Un Français, valeureux et croyant, a réuni en quelques mois des soldats sans expérience et quelques volontaires d'un incomparable dévouement; dénué de ressources, mal secondé par des administrateurs peu préparés à ce genre de besogne, il a pu fortifier une ville, maintenir les populations, tenir en respect les bandes garibaldiennes, et donner le temps à l'Europe, si elle l'avait voulu, de prendre ses résolutions. Le secours n'est pas venu d'où il pouvait l'attend re l'attaque est venue d'où il ne devait pas la prévoir. Assailli par une armée régulière, sur une frontière où il croyait avoir pour rempart le devoir et la parole d'un roi, il n'a pas craint d'affronter un combat, puis de soutenir un siége, et dans ces luttes, rendues plus inégales encore par bien des fautes, dans ces luttes entre quelques hommes et une armée, qui ressemblent plutôt à des duels qu'à des batailles, il a satisfait et sauvé l'honneur. Qu'on tourne et qu'on retourne tant qu'on voudra les phrases du rapport, qu'on fasse selon sa fantaisie la part des fautes et celle des malheurs, que les ca tholiques sincères du Constitutionnel ou les fameux capitaines du Siècle ramassent dans des mots détachés des arguments contre un pouvoir qui a mérité un tel défenseur, ou contre une campagne qui a laissé plus de gloire aux vaincus qu'aux vainqueurs, toutes ces misères sont de peu d'importance. Il n'est pas dans l'armée française, il n'est pas en Europe, un homme de cœur qui n'honore profondément celui qui a si généreusement accompli, si sincèrement raconté cette héroïque entreprise, et la postérité tiendra le même langage que notre reconnaissance tient dès à présent. Nous ne donnerons pas autant de place aux proclamations par lesquelles Victor-Emmanuel et Garibaldi ont annoncé, l'un qu'il conquérait Naples par conscience, l'autre qu'il se retirait sous sa tente. Ils sont entrés, l'un assis près de l'autre, dans la ville de Naples. On a vu la révolution monter dans les carrosses du roi, le roi s'efforcer de la retenir, et la révolution, plus fière, se refuser aux honneurs et donner congé à la royauté pour quelques mois. Au printemps prochain, Garibaldi promet qu'un million d'Italiens sera debout. Le Courrier du Dimanche prête à M. de Cavour ce mot spirituel : « Il aura peut-être un million d'Italiens, mais cela ne fera que cent cinquante mille soldats. » Le nombre est encore respectable, et tout ce que peut dire M. de Persigny dans les diners du lord-maire, avec des intentions sincèrement pacifiques, n'empêche pas que l'Italie arme, l'Autriche arme, l'Angleterre fortifie ses flottes, les souverains, petits et grands, de l'Allemagne arment de leur côté, et ces mouvements militaires impriment à l'opinion un effroi que ne calment pas des paroles. Si M. de Cavour est trop prudent pour ne pas redouter les hasards de la guerre, il est aussi trop habile pour ne pas sentir que la pensée de la guerre a l'avantage de mettre les

Italiens d'accord, en donnant à l'inquiétude et à l'élan du patriotisme le pas sur les divisions qui éclateront quand il faudra organiser politiquement l'unité de l'Italie. Il a promis qu'il résoudrait la question de Venise par la persuasion. C'est ce dont M. de Montalembert l'a défié, en exprimant généreusement ses sympathies pour Venise à côté de la réprobation que lui inspire la politique piémontaise, et en répétant à M. de Cavour Vous pouviez être le libérateur de Venise, vous vous êtes condamné à n'en approcher qu'en donnant le signal déplorable d'une conflagration européenne.

S'il faut en croire lord John Russell, l'Angleterre elle-même s'opposerait å la conquête de Venise. Il est vrai que lord John Russell a écrit deux dépêches, à deux mois de distance. Comment les accorder?

L'une pourrait être affichée sur la frontière de l'État vénitien, l'autre sur la frontière de l'État napolitain. La première se résume ainsi : Défense au Piẻmont d'intervenir à Venise; et la seconde : Défense à l'Europe d'empêcher le Piémont d'intervenir à Naples. Ici, défense de violer le traité de Zurich, là, défense de faire respecter le traité de Vienne. Et pourquoi n'aurait-on pas le droit d'aller au secours d'un peuple qui se révolte? L'exemple de l'Angleterre est bon à suivre.

Les Vénitiens ne comprennent pas très-bien comment ce principe ne leur est pas applicable. On admire aussi que lord John Russell soit d'accord avec le Pape pour réprouver le principe de non-intervention. En effet, le Pape, dans l'allocution du 28 septembre, a fortement blâmé l'abus de ce principe, qui devient l'impunité, la non-intervention de la justice; il a sollicité l'intervention de l'Europe. Lord John Russell veut que le Piémont annexe la Sicile, l'intervention est légitime; il ne veut pas qu'on annexe Venise, l'intervention est illégitime.

Il n'y a que lord Palmerston qui soit assez habile pour concilier ces cóntradictions; il s'en est chargé, et, dans le banquet donné par la corporation des sauniers, il a déclaré que son mobile collègue avait blamé l'expédition de Venise pour le moment, qu'il avait calmé momentanément l'ardeur des Italiens, mais par un simple ajournement. Des deux dépêches, c'est la seconde qui est la bonne. Consoler l'Autriche, mais soutenir le Piémont, donner le temps à l'une d'avoir épuisé ses ressources, à l'autre d'avoir terminė ses préparatifs, c'est la politique de l'Angleterre.

Cette politique est très-populaire, elle flatte deux passsions dominantes du peuple anglais : le Pape est amoindri, un puissant voisin est donné à la France. Aussi jamais les journaux n'ont été mieux d'accord avec les ministres. Leur thème est tout fait les gouvernements italiens étaient tyranniques, les peuples italiens s'en débarrassent par un mouvement national; les premiers étaient dans leur tort, les seconds sont dans leur droit. Ce n'est pas tout à fait ainsi que s'est passée l'histoire: la conquête violente et la mauvaise foi y ont plus de part que l'élan national. Les journaux anglais ne souffrent pas qu'on le leur rappelle. Ils ont été piqués au vif et

jetés dans un grand accès de colère par la lettre de M. de Montalembert à M. de Cavour; ils la saluent sur toute la ligne par une décharge d'invectives. Un homme qui aime la liberté, qui a défendu l'Angleterre, qui ne cache pas même ses sympathies pour Venise, les embarrasse beaucoup quand il réprouve de toute son énergie les procédés odieux couverts par l'appui de l'Angleterre. Le Times cherche en vain, dit-il, en quoi la cause de Rome se distingue de la cause de Venise; c'est demander en quoi l'œuvre de Charlemagne diffère de l'œuvre de Campo-Formio. Quatorze siècles d'une indépendance recouvrée et défendue il y a douze ans encore forment le droit de Venise. Dix siècles de souveraineté sont, à part de plus hauts motifs, le titre du pouvoir temporel du Pape; voilà pourquoi Venise méritait d'être délivrée, et le Pape d'être respecté, comme prince italien. Mais ni le Pape n'est respecté, ni Venise n'est délivrée, voilà pourquoi M. de Montalembert a raison d'accuser la politique de M. de Cavour, raison de distinguer les deux causes, toutes deux compromises par la même ambition, Le Times, le Morning-Post, le Saturday-Review, répondent tous: Les Italiens sont libres de faire ce qu'ils veulent.

Dans un article de l'Italie, journal français qui paraît à Milan (14 novemvre), madame la princesse Belgiojoso répond à la lettre de M. de Montalembert par la même raison : ce sont les populations, qui ont voulu ; le Piémont n'a fait qu'obéir. Quoi ! l'action du Piémont n'a-t-elle pas partout précédė, préparé, interprêté, dirigé, la volonté des populations? Est-ce que les Lombards ont gagné la victoire de Solferino? Est-ce que les Ombriens ont été vainqueurs à Castelfidardo? Est-ce que les Napolitains ont pris Capoue? Quand donc, où donc s'est produit un mouvement national pleinement spontané ? Les Italiens ont voté; d'autres ont combattu; ils ont été du parti de la victoire.

[ocr errors]

Les raisons des journaux anglais ne sont pas des raisons; ils le savent bien, car ils accumulent les injures. Le journal de lord Palmerston, le Morning-Post, compare M. de Montalembert à Gracchus, à Mirabeau, à Kossuth, ȧ Thersite, et à la courtisane Phrynė (numéro du 30 octobre).

Le Times seul aborde la thèse sur la liberté de l'Église, les autres journaux ne s'y frottent pas. Le Times est d'accord avec le Siècle pour déclarer que l'État ne serait plus libre si l'Église était libre, et, subtilisant, il concède la liberté de la religion, mais non la liberté de l'Église : c'est comme s'il accordait la liberté des opinions, sans la liberté de la presse. Pendant qu'un parti impie proclame ainsi qu'il ne tolérera jamais la liberté de l'Église, à l'opposé, d'autres journaux, en Belgique, en Espagne, en France, répètent que l'Église seule a droit à la liberté. Quel excès des deux côtés ! et comment espérer jamais un régime raisonnable entre ces deux extrémités? Heureusement les faits, l'expérience, et cette force des choses à laquelle il faut bien céder et revenir tôt ou tard, démentent à la fois les deux systèmes, et rapprochent les sociétés de la formule exprimée dans la lettre

« PreviousContinue »