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tant d'enthousiasme; elles seraient restées sourdes aux excitations des révolutionnaires et des émissaires étrangers. Le Pape, inébranlable sur son trône, aurait pu donner à ses sujets des institutions politiques et administratives conformes aux sentiments paternels de son cœur, si noblement manifestés à une époque de magnanime confiance. Il n'aurait pas besoin d'armée, puisqu'il n'aurait d'ennemis possibles ni à l'extérieur ni à l'intérieur. Un corps de gendarmerie pour le maintien de l'ordre lui suffirait. Ce pontife-roi, qui repousse toute espèce de faste et vit comme un religieux, aurait la possibilité, tout en diminuant les impôts, d'employer chaque année de fortes sommes à des travaux d'utilité publique. Aucun sceptre ne serait plus doux que le sien; aucun peuple ne jouirait de plus de sécurité et de bienêtre que celui sur lequel il règne. Tels seraient les effets immédiats d'une convention par laquelle toutes les puissances catholiques s'engageraient à maintenir intacte la souveraineté temporelle du Pape. Dans une telle situation, aucune attaque ne pourrait venir du dehors, aucune sédition ne pourrait éclater au dedans la pensée que deux cents millions de catholiques se seraient chargés de réprimer l'une et l'autre suffirait pour les prévenir.

Dans cette glorieuse et salutaire confédération, le premier rang appartiendrait nécessairement à la France.

S'il fallait m'expliquer sur le principe de non-intervention, j'aurais plus d'une réflexion à faire.

Je conçois le principe absolu de non-intervention dans le système de cette politique égoïste et étroite qui a pris pour devise: Chacun

chez soi.

Je le conçois plus difficilement, lorsque j'entends dire que la France fait la guerre pour une idée. N'est-il pas à peu près inévitable que les guerres faites pour des idées conduisent à des interventions?

Si le principe de non-intervention eût été appliqué d'une manière inflexible, la Grèce n'aurait pas été délivrée en 1828; s'il l'était à l'avenir, tous les chrétiens d'Orient pourraient être massacrés par les musulmans, en face des nations chrétiennes frémissantes de leur impuissance.

Des révolutionnaires marchent au secours des Siciliens rebelles ; incontestablement, c'est bien là une intervention de la pire espèce; car elle est faite par des hommes sans aveu, et dont le but immédiat est le renversement d'un pouvoir régulier, et le but ultérieur, la destruction de l'autorité temporelle et spirituelle du Pape. Néanmoins cette intervention s'effectue aux applaudissements de deux partis, l'un clairvoyant, l'autre aveugle. Si une puissance régulière avait le

généreux et salutaire courage d'intervenir pour s'opposer à de coupables desseins, quelles clameurs ces mêmes partis ne proféreraientils pas? Ne sont-ce pas là de bien graves objections contre le principe absolu de non-intervention? La saine doctrine en cette matière ne serait-elle pas celle-ci :

Il en est des nations comme des individus ; ceux-ci ont le droit de faire ce qui leur plait, mais à condition de ne pas troubler la paix publique. De même chaque peuple est libre d'établir ou de conserver chez lui les institutions qui lui conviennent, pourvu qu'il ne menace pas la sécurité de ses voisins. L'intervention ne se justifie donc pas par cela seul qu'un pays paraît mal gouverné. Mais, si l'esprit révolutionnaire se développait chez un peuple, au point d'organiser une propagande effrénée qui deviendrait un danger pour d'autres États, ceux-ci seraient fondés à intervenir pour faire cesser ce péril; et alors on ne pourrait en réalité les considérer comme agresseurs, mais comme usant du droit de légitime défense.

L'humanité ne veut-elle pas qu'on aille plus loin et qu'on reconnaisse la légitimité de l'intervention, lorsqu'elle a pour but de mettre un terme à des massacres et à des actes de barbarie, comme ceux qui désolaient la Grèce en 1828, ceux dont les chrétiens de la Cochinchine et du Tonquin sont victimes, ceux qui viennent d'éclater en Syrie? Comment! cette belle parole d'un poëte païen Homo sum, nihil humani a me alienum puto... serait-elle répudiée par des chrétiens?

Je ne fais qu'effleurer la question d'intervention, parce que, ici, elle est superflue. Encore une fois l'action des puissances catholiques pour conserver au Souverain Pontife les États soumis à son autorité ne serait pas une intervention étrangère, mais un légitime recours aux armes, pour la défense de leur intérêt et pour l'accomplissement de leur devoir.

L'accord de tous les États catholiques à l'effet de garantir l'intégrité du pouvoir pontifical aurait un caractère de grandeur pacifique et morale qui les honorerait tous, et la France plus que tout autre, puisqu'elle serait, par le fait, à la tête de cette majestueuse alliance. Les conseils de la politique tracent ici la même voie que les inspirations du sentiment religieux. Si l'on était conduit par celles-ci, le mérite serait plus grand; ce serait l'application de cette divine parole « Cherchez le royaume de Dieu, et le reste vous sera donné par surcroît. » Mais, quelle que soit l'impulsion déterminante, résultat sera beau.

le

Quel rôle grandiose pour la France, que d'établir dans son sein la liberté de conscience sans restriction, d'employer son ascendant pour la faire triompher partout ailleurs, de protéger l'œuvre sainte et civi

lisatrice des missions, de défendre des populations cruellement opprimées par des gouvernements barbares, de mettre des digues à l'invasion du flot révolutionnaire, et de prendre l'initiative de la réunion des États catholiques en un faisceau de défenseurs de l'indépendance du chef de l'Église!

DE VATIMESNIL.

LE COMTE

ANDRÉ METAXA

ET LE PARTI NAPISTE EN GRÈCE

Π y a dix-sept ans, le public français s'occupait beaucoup de la Grèce. C'était alors par toute l'Europe le beau temps du gouvernement représentatif; la parole, ce don le plus sublime que Dieu ait accordé à l'homme, régnait en maîtresse souveraine. Un souffle de liberté avait passé sur presque tous les pays du monde. La Grèce en avait ressenti les atteintes. Après quelques années d'interruption sous la régence bavaroise et dans les premiers temps du règne personnel du roi Othon, la tribune, qui avait jeté un si grand éclat aux jours les plus solennels de la guerre de l'indépendance hellénique, s'était relevée dans la cité de Démosthène et d'Hypéride. Le peuple grec, dans la journée du 3/15 septembre 1843, avait donné ce grand et noble exemple, bien peu imité depuis lors dans les autres parties de l'Europe, d'une nation se levant tout entière pour réclamer de son souverain les garanties de liberté qui lui avaient été promises et qu'on lui déniait; puis, une fois ces garanties obtenues, se retirant paisiblement dans ses foyers sans porter atteinte au trône, sans tenter même de faire une révolution.

L'établissement du gouvernement constitutionnel en Grèce avait produit les plus heureux résultats. Les trois partis, français, anglais et russe, qui depuis les premiers jours de la guerre de l'indépendance se partageaient la nation, avaient cessé de vider leurs querelles par les armes, comme ils ne l'avaient fait que trop souvent jusqu'alors, et

soutenaient à la tribune parlementaire une lutte ardente, mais pacifique. Conduits par trois hommes qui eussent été dans tous les pays des hommes d'État du premier ordre, par MM. Colettis, Mavrocordato et Metaxa, les trois partis jetaient alors le plus vif éclat.

Les sympathies du gouvernement et du public français étaient avec Colettis; tout le monde chez nous suivait avec intérêt et presque avec émotion ses luttes et ses succès. Comme conséquence de l'alliance anglaise, qui était à cette époque le principal ressort de notre politique, les représentants de la France en Grèce essayaient de réunir et de faire marcher d'un commun accord les deux partis français et anglais, Colettis et Mavrocordato, alliance impossible à laquelle on faisait de grands sacrifices et qui se rompait toujours. Le parti russe ou napiste, avec lequel il eût été peut être plus facile de faire la paix et de travailler dans une action commune, était le grand adversaire que l'on poursuivait, et qui, en représailles, se dressait à chaque instant pour entraver les actes du parti français. Il en résultait que l'on parlait beaucoup du chef de ce parti, M. Metaxa, mais que l'on se faisait en même temps dans la masse du public, parmi ceux qui n'avaient pas visité la Grèce, bien des idées inexactes sur son compte.

Fils d'un des plus anciens et des plus constants philhellènes, dès mon enfance j'ai beaucoup entendu parler de la Grèce. Aussi, lorsque je recueille mes souvenirs d'il y a dix-sept ans, je me souviens que ce Metaxa, dont on parlait tant devant moi, se présentait à mon imagination d'enfant comme un Croquemitaine portant la foustanelle, un être effrayant, moitié Palikare et moitié Cosaque, ennemi acharné de notre pays. J'avais eu beau étudier très-sérieusement depuis lors l'histoire de la Grèce, cette ancienne impression ne s'était jamais effacée de mon esprit. Aussi quel ne fut pas mon étonnement l'année dernière, lorsque, venu en Grèce avec mon père, je vis pour la première fois le comte André Metaxa! Au lieu du personnage que mon imagination s'était forgé, je trouvais un vieillard à la {figure pleine de noblesse, à la tournure distinguée, aux manières élégantes et chevaleresques d'un gentilhomme de l'ancienne société (privilége qu'il possédait seul au même degré parmi tous ses compatriotes), à l'intelligence prodigieusement ouverte, à l'esprit sage et modéré, capable, il est vrai, d'entraînements, mais que retenait bien vite sa grande expérience, animé de la sympathie la plus profonde et la plus vraie pour la France et pour les Français. Ce fut pour moi une véritable révélation.

Diverses circonstances avaient empêché mon père, dans ses précédents voyages en Grèce, de connaître M. Metaxa. C'était, lui aussi, la première fois qu'il le voyait; mais leurs deux intelligences étaient en si parfaite sympathie l'une avec l'autre, qu'en quelques jours il s'était

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