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peuvent user de ce droit sans le consentement de leur gouvernement. « 3° De simples particuliers ou des Compagnies d'une nation quelconque ne peuvent former des colonies qu'avec le consentement et sous la direction et le contrôle de leur gouvernement, et ils peuvent être expulsés de tout établissement qu'ils auraient fait sans autorisation préalable. »

D'après ces principes, la Nouvelle-Zélande eût été à nous si M. le capitaine Lavaud avait voulu profiter du temps que lui laissait la maladie du capitaine Hobson.

Quoi qu'il en fût, la prise de possession des Anglais devait être désormais un fait accompli auquel M. Guizot ne crut plus possible de s'opposer.

Il ne restait plus dans la pensée du ministre qu'à réserver toute sa sollicitude pour la protection à accorder aux droits et aux intérêts particuliers. Ce fut donc là le rôle auquel, à la date du 8 avril 1841, se réduisirent désormais notre marine et la diplomatie. M. Guizot invita M. Lavaud à s'abstenir de toute démarche tendant à appuyer en faveur de M. Langlois auprès des autorités britanniques des réclamations qu'il avait reconnues tout à fait dénuées de fondement.

«Le fait de l'acquisition d'une vaste étendue de terre par la Compagnie manto-bordelaise était, disait-il, la base du traité que le gouvernement avait consenti à passer avec cette Société; le gouvernement est dispensé d'intervenir si, comme vous l'avez jugé, les prétendues acquisitions de M. Langlois ne se fondent que sur des titres mensongers. »

Dans cette situation des choses, l'Angleterre, après tant de générosité de la part de notre ministre, pouvait bien faire quelque sacrifice en faveur de ceux que l'on abandonnait. En 1846, le gouverneur Grey annonçait au capitaine Bérard, commandant le Rhin, que le gouvernement reconnaissait à la Compagnie nanto-bordelaise, qui déjà, à la fin de 1843, avait plus de 578,224 francs de dépenses (15,129 livres sterling), 50,000 acres de terre sur la presqu'ile de Banks.

Quant au baron de Thierry, en 1841, le gouverneur parlait de lui donner une concession de 6 à 8,000 acres.

C'était bien peu pour une souveraineté perdue. Mais alors le baron eût cédé de grand cœur tous ses titres de roi et de chef souverain pour assurer le pain quotidien de ses enfants. En 1842, n'ayant pas reçu de réponse à l'offre gratuite qu'il avait faite des droits qui lui avaient été donnés, en 1855, par les naturels de Noukaïva sur leur île, et se trouvant dans une position terrible, voyant en outre la France en possession des Marquises, d'après sa suggestion, il avait vendu son ile à des agioteurs de la Nouvelle-Zélande pour deux petits lots de terre à Korora-Reka, d'un quart d'acre chacun, et l'engagement

de lui abandonner mille acres de terre agricole à Noukaïva, quand la population blanche aurait atteint le chiffre de 1,500 àmes. Ce demi-acre de terre fut toute la compensation de son titre pompeux, sans un farthing de plus, quoique MM. Jean-Baptiste et Honorius Lacourt, pour donner de la valeur à leur titre, eussent prié le baron de reconnaître qu'il avait reçu d'eux 500 livres sterling pour la cession de sa souveraineté.

En 1843, le baron de Thierry écrivait que, malgré l'ordre que le commandant Lavaud avait reçu de lui donner une protection spéciale, le gouvernement anglais ne lui laisserait presque rien de ses terres, et qu'après s'être ruiné pour la Nouvelle-Zélande, il n'avait plus d'autre ressource, pour ne pas mourir de faim, lui et sa nombreuse famille, que de s'ouvrir quelques relations commerciales. Le baron, sur lequel je n'ai rien appris de certain depuis cette époque, demandait alors au gouverneur des iles françaises de l'Océanie la préférence pour la fourniture des bois de tous genres dont ses établissements pourraient avoir besoin.

Évidemment les résultats laissés à ceux qui s'étaient engagés dans cette colonisation étaient loin de les dédommager de leurs propres

avances.

Aussi le sort de l'établissement d'Akaroa ne tarda-t-il pas à devenir de plus en plus précaire.

D'un autre côté, les bâtiments pêcheurs disparaissaient de ces parages pour aller à la côte nord-ouest d'Amérique; la baleine, pourchassée par les Anglais, les Américains, les Français, ne suffisait plus à la pêche; mille baleiniers détruisaient, dit M. Berard (16 décembre 1843), au moins quinze mille baleines par an. La reproduction ne pouvait réparer de semblables pertes quand il s'agissait d'un animal qui demande quinze ou vingt ans pour arriver à son grand accroissement. Cela fit que les capitalistes ne voulaient plus rien risquer dans une entreprise de plus en plus infructueuse.

Ainsi s'évanouit encore cette dernière espérance laissée à notre pays pour établir ce que Voysin de la Popelinière, les capitaines Marion-Dufresne et Kerguelin voulaient nommer la France australe.

Le vœu exprimé, en 1789, par le baron de Gonneville, de nous voir partager les terres australes avec notre rivale, n'était pas plus exaucé sur ce point qu'à la Nouvelle-Hollande et à la terre de Diemen. L'Angleterre prenait tout, et, il faut bien l'avouer, n'est-ce pas chose merveilleuse que les progrès qu'elle a déjà faits dans cette île, depuis vingt ans qu'elle s'y est établie? Exempte des rigueurs du Canada comme des ardeurs du soleil australien, favorable aux cultures et à l'acclimatement des hommes d'Europe, la Nouvelle-Zélande a bientôt vu s'accroître sa population blanche, qui comptait, en 1859,

plus de soixante-dix mille Européens, répartis en sept provinces, Auckland, New-Plymouth, Taranaki et Wellington dans l'ile du Nord; Nelson, Canterbury, Otago, dans l'île du Sud. Les Européens anglais possédaient alors deux millions de moutons, cent cinquante mille bêtes à cornes et vingt mille chevaux.

Devant ces chiffres, que dire de l'infériorité, de l'échec de la France? Ce qui s'est dit dans les autres circonstances où elle est entrée en concurrence avec l'Angleterre. Pour soutenir la lutte contre une telle rivale, il faut s'y préparer de longue main; il ne s'agit pas seulement d'avoir à certains moments l'intelligence de la situation présente, de l'avenir même, et l'éclat de quelques grands actes, supérieurs à tout ce que l'on raconte de ses rivaux; la victoire définitive est à la vigilance, à l'activité, à l'esprit de suite, au sentiment constant de ses intérêts et au respect de soi-même, qu'on ne peut imposer aux autres sans en être pénétrés les premiers.

Or aucune de ces qualités n'a paru dans cette entreprise, si ce n'est à travers bien des imprudences, chez un homme qui en a été la victime; et nous aurions entièrement à regretter de nous être présentés sur ces terres, si notre tentative malheureuse n'avait été une de ces leçons dont les peuples intelligents ne manquent pas de profiter. L'occupation des iles Marquises, ordonnée dans le plus grand secret, fut un des premiers résultats de notre expérience fâcheuse à la Nouvelle-Zélande, résultat qui a été bientôt suivi de la prise de possession de Taïti et de la Nouvelle-Calédonie.

Un fait aussi peut contribuer à nous consoler de cet échec politique; ç'a été la civilisation introduite sur ces rivages par nos missionnaires. L'Angleterre a pu triompher de nous au point de vue de la colonisation; mais combien nos missionnaires ne se sont-ils pas montrés supérieurs dans la propagation du christianisme!

Les missions protestantes ont diminué leur tâche et leur rôle en transigeant avec les intérêts matériels et les satisfactions de la vie. Elles ne comprennent ni la charité jusqu'au sacrifice, ni l'amour divin sans partage. Le missionnaire protestant, marié et marchand, est trop de ce monde pour obéir à un idéal qui élève au-dessus de tout, comme M. de Pompalier y obéissait, lorsqu'à Korora-Reka, Hone-He, chef de la tribu Kai-Kohé, et neveu de Shon-Ghi, s'arma contre les Anglais, prétendant que lui et les autres chefs avaient été trompés par Hobson lors de la signature du traité de prise de possession.

A cette époque, l'Église catholique s'efforça de sauver à la fois les Anglais et les Nouveaux-Zélandais les uns des autres. L'évêque de Maronée, au milieu de la terreur générale, refusait alors à l'officier anglais d'être transporté avec ses ouailles dans un lieu de sûreté.

« Je désire, lui écrivait-il, continuer mon ministère dans cette île pour toutes les personnes, quelles qu'elles soient. Je suis disposé à assister spirituellement les Anglais et les Zélandais belligérants, et vous pouvez être sûr d'avance que tout ce que je ferai aura pour but le salut, l'équité et la paix. Par cette lettre, vous comprenez, monsieur le commandant, que je ne suis pas dans le dessein de priver ce pays du ministère que j'y exerce depuis près de huit ans. Je ne crains ni le pillage, ni l'incendie, ni la mort, pour assister les âmes qui me sont confiées. Tout ce que je crains sur la terre, c'est le péché, qui est la cause de tous les maux en ce monde et en l'autre. »

Magnifique poursuite des ambitions de l'âme au milieu des vicissitudes de la vie temporelle! Sublime visée qui va droit au vrai et au bien, si haut que soit le but!

PIERRE MARGRY.

M. DE TOCQUEVILLE

OEuvres et Correspondance inédites d'Alexis de Tocqueville, publiées et précédées d'une Notice par M. GUSTAVE DE BEAUMONT, membre de l'Institut1.

« J'ai entrepris de voir non pas autrement, mais plus loin que les partis; et, tandis qu'ils s'occupent du lendemain, j'ai voulu songer à l'avenir. (De la Démocratie en Amérique) Introduction

I

La publication des OEuvres inédites de M. de Tocqueville est un hommage rendu par une pieuse sollicitude à cette noble mémoire et le complément des écrits qui assurent à l'auteur de la Démocratie en Amérique une si grande place dans l'histoire intellectuelle de notre temps. Ce sont des morceaux inachevés, précieux fragments du grand monument qu'il ne nous sera point donné de voir terminer; c'est une correspondance qui n'embrasse pas moins de trente années, et qui nous révèle tour à tour, dans les épanchements de l'amitié, la måle fierté de son génie et les délicatesses charmantes de son cœur. Une notice de M. Gustave de Beaumont sert à la fois de préface et de commentaire à l'ouvrage; elle est telle qu'on devait l'attendre de l'ami éprouvé de M. de Tocqueville, du compagnon de ses voyages et de ses travaux, du digne émule de ses généreux desseins. C'est avec une sorte de respect religieux qu'en parcourant ces pages on remonte par le souvenir le cours de cette vie si courte et si pleine. Il fait bon se recueillir devant

Michel Lévy, 2 vol. in-8°.

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