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Père Faber, dans un récit qui sera certainement connu un jour, «< qu'aucun saint n'a pu mourir d'une mort plus sainte! » La dévotion qu'il préférait pendant cette longue et dernière lutte était celle des Cinq Plaies de Notre-Seigneur. « C'est là, disait-il à la du<«< chesse, c'est dans ces saintes plaies que je vous retrouverai pour l'éternité. » Ce fut la tête appuyée sur l'épaule de cette chère et douce compagne qu'il rendit son âme à Dieu; mais auparavant il détacha ses mains défaillantes de l'étreinte de sa femme, et les joignit pour répéter une dernière fois, d'une voix qu'on put à peine entendre, les noms de Jésus et de Marie. Ce furent aussi les dernières paroles que prononça sur son lit de mort, dans un cachot de la tour de Londres, le 15 octobre 1595, son dixième aïeul, Philippe, comte d'Arundel, le martyr.

CH. DE MONTALEMBERT.

MÉLANGES

RÉPONSE A UNE ATTAQUE DE M. J. DE LASTEYRIE.

Il y a quelques mois, un de nos collaborateurs, le R. P. Adolphe Perraud, de l'Oratoire, faisait connaître dans cette Revue la situation des classes agricoles en Irlande, et le régime habituel d'oppression sous lequel vivent la plupart des fermiers. La matière étant délicate et de nature à soulever plus d'une controverse, parce qu'elle froissait plus d'un préjugé, l'auteur avait porté presque jusqu'à l'exagération le scrupule des précautions et avait toujours appuyé son jugement sur l'autorité des documents officiels ou des témoignages évidemment les plus impartiaux, puisqu'ils appartenaient à des Anglais ou à des protestants. C'est ainsi qu'en racontant un fait récemment arrivé dans les domaines de lord Derby, qui, n'ayant pu découvrir un assassin, avait frappé d'une sentence d'éviction les familles voisines du lieu où le meurtre avait été commis, le R. P. Perraud s'était contenté de citer une lettre écrite à l'illustre lord par un protestant, M. Sharman Crawford, et se bornait à faire remarquer qu'il n'était pas juste de réduire à la misère plusieurs familles et de frapper des innocents, parce que l'on n'avait pu atteindre le coupable. D'ailleurs, quelques pages plus haut, en parlant des lois martiales si souvent votées par le Parlement pour soumettre l'Irlande à un rẻgime exceptionnel, l'auteur avait cu bien soin de flétrir les crimes agraires (agrarian outrages), qui servaient de prétexte à ces rigueurs législatives, et il avait qualifié de brigands (p. 566) les membres de ces sociétés secrètes, qui sont le fléau de l'Irlande, parce qu'elles y perpétuent, avec les assassinals agraires, une fatale division entre les propriétaires et les cultivateurs du sol. Il avait de plus fait remarquer que, pour l'extirpation de ces sociétés secrètes et des crimes de brigandage dont elles étaient le principe, l'énergique attitude du clergé catholique avait plus fait que la rigoureuse pénalité des coercion-bills. Il citait même les mandements les plus récents dans lesquels l'épiscopat irlandais menaçait de toute la sévérité des peines canoniques, voire même d'une excommunication réservée au Souverain Pontife, ceux qui assisteraient simplement à une de ces réunions secrètes.

Pouvait-on dire plus clairement qu'en dépit d'une oppression trop réelle, et d'abus véritablement tyranniques, le meurtre, l'assassinat, sont en tout

cas abominables? Comment d'ailleurs un prêtre eût-il pu penser et parler autrement? et qui, connaissant le Correspondant, peut supposer de bonne foi qu'il eût pris la responsabilité d'un article dans lequel ses lecteurs auraient eu le scandale de lire l'apologie du meurtre?

Telle est cependant l'inexplicable accusation que M. Jules de Lastevrie, dans la Revue des Deux-Mondes du 15 décembre, a formulée contre le R. P. Adolphe Perraud avec une insistance, un sentiment d'irritation inexcusables, surtout lorsqu'on relit l'article attaqué.

Que des paysans irlandais, dit M. J. de Lasteyrie, égarés par l'ignorance et par la misère, s'attribuent le droit de tuer celui qu'ils accusent de les avoir privés de leurs moyens d'existence, c'est un grand désordre moral; mais que des écrivains français, assis tranquillement dans leur cabinet, se plaisent à faire l'apologie du crime, c'est un désordre moral plus grand

encore. »

De cette accusation générale, M. J. de Lasteyrie passe à quelque chose de plus précis, et, après avoir fait allusion à l'assassinat que nous avons rappelė plus haut, il ajoute :

« Dans un article publié ce printemps dans une revue (le Correspondant par un ecclésiastique français, on justifie cet assassinat, on accuse le propriétaire d'avoir été par sa dureté l'instigateur du crime, et on recommande son nom à l'indignation de l'Europe civilisée... Je ne dirai qu'une chose: c'est que le clergé catholique d'Irlande n'a pas de ces complaisances pour le crime. »

Nous venons de relire le travail du P. Perraud; nous déclarons qu'il n'y a, dans ces pages, pas plus d'apologie du crime, ni d'assassinat justifié, qu'il n'y en a dans une page blanche ou dans la première page du Télémaque. Nous ne doutons pas que M. J. de Lasteyrie, dont l'esprit est si élevé, le ca ractère si noble et si loyal, ne comprenne ce qu'il y a d'énorme à accuser publiquement un prêtre « d'avoir des complaisances pour le crime et de jus tifier l'assassinat. » En lisant avec moins de préoccupation qu'il ne l'a fait le Correspondant du 25 mars, il se convaincra par lui-même que notre collaborateur n'a point été assez malheureux pour prêcher une semblable morale. ni la rédaction du Correspondant assez aveugle pour lui donner place dans ses colonnes, et il saura réparer, comme il convient à un homme dont le passage dans la vie publique n'a laissé après lui que des souvenirs de délica tesse et d'honneur, la méprise étrange dans laquelle il est, nous aimons à le croire, involontairement tombé.

Le secrétaire de la rédaction,
P. DOUHAIRE.

Notre collaborateur, M. Louis Énault, vient de publier, avec le concours de deur artistes connus pour la suavité de leur burin, MM. Rouargues et Outhwaite, un magnifique volume intitulé l'Inde (Paris, chez Morizot, rue Pavée Saint-André-des-Arts Nous en reparlerons; mais nous tenons à le signaler dès aujourd'hui à ceux qui ont à donner des étrennes et qui les veulent belles et utiles en même temps.

LES ÉVÉNEMENTS DU MOIS

22 décembre 1860.

Un recueil périodique a bien de la peine à se mettre au pas des événements; forcé de paraître à jour fixe, il lui arrive souvent de venir trop tôt ou trop tard pour parler des questions imprévues, et c'est ainsi que nous avons été condamné, paraissant le 25, à ne parler du décret du 24 novembre qu'un mois après son apparition.

Ce retard laisse, il est vrai, aux réflexions, un temps qui, cette fois, était superflu. A la lecture du décret, notre opinion était faite; elle ne pouvait être qu'une joie sincère. Le décret du 10 décembre, qui remet les avertissements, le décret du 19 décembre qui annule les condamnations encourues pour délits de presse, les circulaires du 6 et du 7 décembre, font aussi le plus grand honneur au gouvernement. Nous le félicitons hautement de ce premier pas dans une voie où nous l'avons si souvent supplié d'entrer. Nos in stances étaient loyales; c'est loyalement aussi que nous acceptons et que nous entendons appliquer ce commencement de liberté politique. A soutenir depuis tant d'années les opinions libérales en même temps que les croyances religieuses, ce recueil a subi assez de contradictions, assez d'épreuves même, pour qu'il soit permis à ceux qui le dirigent de se réjouir cordialement quand le retour vers leurs idées commence à succéder aux dédains et aux reproches dont ils furent combles.

Notre désir fut sans emportement, il en est de même de notre joie. On disait la liberté morte, nous l'avons crue seulement endormie; on la dit triomphante, nous la croyons seulement réveillée; mais nous avons la confiance qu'après s'être frotté plus ou moins longtemps les yeux, elle se lèvera enfin.

Sans nous mettre en possession du régime représentatif complet, il s'en faut, le décret du 24 novembre accorde trois droits assurément fort impor

tants: aux Chambres, le droit de discuter la politique générale dans une Adresse, en présence de ministres de la Couronne, et le droit d'amender les lois; aux journaux, le droit de reproduire les débats du Corps législatif et du Sénat.

Un travail spécial est consacré à l'analyse de ces dispositions et des écrits auxquels le décret a donné naissance. Il ne nous reste ici qu'à résumer les principaux commentaires qui ont suivi le décret du 24 novembre.

On a fort diversement examiné ce qui lui manque et ce qu'il suppose, ses lacunes et ses intentions.

Ce que l'on dit des intentions se réduit à des conjectures. On cherche à rattacher la politique intérieure à la politique étrangère; les uns pensent qu'en donnant par le décret du 24 novembre une distraction à l'opinion française, une satisfaction à l'opinion anglaise, l'Empereur indique son intention de laisser le mouvement unitaire aller jusqu'au bout en Italie, et qu'il espère entrainer les Chambres dans cette politique. Les autres affirment que le chef de l'État va volontairement au-devant de conseils pacifiques, et qu'il veut s'en prévaloir pour résister aux entrainements du Piémont. Ces conjectures se contredisent, et chacun est libre de choisir et de voir à son gré, dans un même acte, la paix ou la guerre.

On a cependant l'instinct que si les Chambres représentent et expriment l'opinion dominante du pays, leur influence sera dans le sens de la paix. Ainsi la liberté, considérée autrefois comme un instrument d'agitation, l'est aujourd'hui comme un instrument de tranquillité; on sent que l'intervention du pays conduit à la paix, au désarmement, aux économies; en un mot, que la liberté sert à l'ordre, mais à condition que la liberté soit complète. Or le décret, on l'a facilement remarqué, n'est pas sans graves lacunes. On a exprimé ici même le désir que ce décret fût transformé en un sénatus-consulte. Nous attachons, au fond, peu d'importance à ce désir. Comment supposer qu'on retire ce qu'on a donné? Ni celui qui a donné ne voudrait reprendre, ni celui qui a reçu n'aimerait à rendre. Un sénatusconsulte serait donc plutôt une consécration qu'une garantie.

Un vœu plus sérieux est celui d'une dissolution du Corps législatif actuel. Quelque respect, en effet, qu'on professe pour la plupart des membres de ce Corps, il est incontestable que la manière dont ils ont été nommés, le terme prochain de leur mandat, l'inutilité de parler sur des questions presque résolues, ne laissent pas supposer qu'ils soient destinés à faire du décret du 24 novembre un bien ample usage. Le morceau n'est pas écrit dans leur voix, comme on dit en musique. Le pouvoir et la liberté auraient le même intérêt à des élections nouvelles. La séparation obligée des candidats en partisans engagés et en adversaires déclarés du pouvoir ne répond pas au véritable état des esprits. L'immense majorité des éligibles n'est disposée ni à tout approuver ni à tout attaquer, et, en accordant plus de latitude dans le choix des candidats, le gouvernement, qui a donné tant de gages de con

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