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vantes dont le lecteur a gardé le souvenir. La récompense est également partagée entre M. Siegfried et M. de La Landelle.

J'arrive à un dernier concours d'un ordre plus modeste, mais où il s'agit d'œuvres de la plus incontestable utilité. C'est encore un sujet permanent qui nous a été légué par un ami bien connu de l'instruction primaire, M. Alphen. Notre confrère, M. Jules Simon, l'a montré dans un beau livre, l'école n'est pas le moindre côté de la question sociale, et les maîtres qui se consacrent à ses œuvres ne sont point les ouvriers les moins puissants dans la tâche qui a pour objet de réduire, sinon de faire disparaître entièrement, la lepre du paupérisme. Le sujet est ainsi expliqué :

« Décerner un prix soit à l'auteur de l'ouvrage littéraire qui aura le plus contribué au progrès de l'instruction primaire, soit à la personne qui, d'une manière pratique, par ses efforts ou son enseignement personnel, aura le plus contribué à la propagation de l'instruction primaire.

L'Académie ne pouvait mieux entrer dans la pensée du fondateur qu'en couronnant M. Marguerin, dont le nom est dans toutes les bouches, quand on parle d'instruction primaire et professionnelle. Ce n'est pas seulement l'auteur d'excellents livres qu'elle récompense; c'est encore plus l'homme qui a voué sa vie entière à cette sorte d'apostolat. M. Marguerin a passé onze ans dans l'enseignement secondaire, vingt-six ans dans l'enseignement primaire.

Successivement professeur de lycée, directeur de l'école Turgot, dont il a perfectionné les méthodes, promoteur et principal fondateur des écoles Lavoisier et J.-B. Say, dont il a posé les bases, créateur d'écoles professionnelles et d'écoles normales libres, de maisons d'apprentis, vice-président des associations philotechnique et polytechnique, aujourd'hui administrateur de nos grandes écoles municipales, M. Marguerin n'est resté étranger à aucune des œuvres importantes de l'enseignement primaire dans notre pays. Un tel dévouement à une telle cause, chez un homme qui a apporté, dans l'accomplissement de sa tâche, les plus rares aptitudes et la plus énergique volonté, ne laissaient pas de doute à l'Académie sur le choix qu'elle avait à faire.

Je n'ai fait que résumer les rapports de section que l'Académie a eu le plaisir d'entendre dans ses séances hebdomadaires. C'est là seulement que le public qui veut bien nous écouter ou nous lire pourrait saisir au vif et au vrai la pensée de l'Académie et apprécier le mérite des mémoires couronnés. C'est là qu'il jugerait de la scrupuleuse exactitude de vos examens, de la libérale impartialité de vos jugements sur les œuvres, et de vos vives sympathies pour les auteurs qui répondent à votre appel par de sérieuses études. C'est

là qu'il verrait que l'esprit vraiment académique n'a rien de l'esprit d'école, et que votre justice accorde ses récompenses à toutes les œuvres de science et de talent, comme elle ouvre ses rangs à toutes les écoles qui servent ia science et honorent l'esprit humain.

lci règne la paix, la paix des intelligences uniquement attachées aux grands objets de la pensée humaine, la justice, la liberté, l'humanité, la patrie. Ici, on ne s'anime et on ne s'enflamme que pour la vérité; on ne lutte qu'avec les armes que la science nous met entre les mains. On préfère la lumière au bruit, et jamais ne retentit un cri de combat. On écoute sans interrompre, on ne contredit que pour s'éclairer; on ne discute que pour s'entendre, et l'accord des esprits se fait presque toujours dans une solution plus. complète des problèmes posés. L'Institut appelle à lui les savants, les érudits, les historiens, les philosophes, les artistes, les écrivains de toutes les écoles et de tous les partis, sans regarder à la couleur de la doctrine ou de l'opinion, ni même à la forme de l'habit. Ses élus s'en souviennent; et quand il recueille dans son sein quelquesuns des vaillants ou glorieux athlètes de la tribune, de la presse et du barreau, ceux-ci n'ont pas plus tôt respiré l'air pur de notre calme atmosphère qu'ils laissent à ce monde bruyant et agité ses préjugés, ses colères et ses haines. Que si parfois la politique commet l'indiscrétion de forcer notre porte, du moins est-il rare que la passion la suive, fort heureusement pour notre fraternité académique.

En sommes-nous moins vivants? Peut-être le croit-on quelque part, là où la pensée, le sentiment, l'action n'ont qu'un objet, l'intérêt de parti, où l'on voit toujours un adversaire, sinon un ennemi, dans un contradicteur, où l'on ne peut croire à l'intelligence ou à bonne foi des hommes d'un camp opposé. La, on peut sourire de notre paix et de notre sagesse, en songeant à ce royaume des ombres, où, selon le poëte, les héros et les sages qui ont vécu ici-bas promènent leurs pensées et leurs souvenirs.

Nous espérons que l'auditoire très-vivant qui nous fait honneur d'assister à nos séances ne sera pas tout à fait de cet avis. Peutêtre pense-t-il que la passion est une fièvre, que la fièvre n'est pas le meilleur signe de la vitalité, que si les partis en vivent, les nations peuvent en mourir. Pour nous qui ne la connaissons point, nous ne nous sentons pas pour cela de pures intelligences qui se complaisent dans une lumière sans chaieur. Ici aussi les cœurs battent, mais pour des causes et des choses qui nous émeuvent et nous ravissent, sans jamais nous diviser. Cette passion-là, si c'en est une, ne trouble ni n'agite notre république. Elle est noble, elle est pure, elle est bienfaisante. Loin d'y faire obstacle, elle concourt

à la paix des âmes, sans laquelle nulle société ne peut vivre, et dont notre France a tant besoin pour reprendre, avec des forces et des vertus nouvelles, la tradition de sa glorieuse histoire.

VACHEROT.

LE DERNIER DINER DU COBDEN CLUB

Le samedi 21 juin dernier a eu lieu, à Greenwich, le dernier dîner annuel du Cobden Club, sous la présidence du comte de Northbrook, assisté de M. Th. Bailey Potter, secrétaire honoraire de l'association en qualité de vice-président.

Les membres présents étaient au nombre de 200. Parmi les membres anglais, on remarquait le marquis de Ripon, lord Arthur Russell et sir Louis Mallet, sir Charles Dilke, et MM. Edward Baxter, Burt, Cartwright, Herschell, Bylands membres du Parlement; M. James Caird et le professeur Thorold Rogers. MM. Unger et Vellère représentaient l'Autriche; sir William Milne et le professeur Pearson, l'Australie; MM. Ruggles et Horace White, les Etats-Unis; Lalande, président de la Chambre de commerce de Bordeaux, Dognié et Simonin, la France; Gennadius, la Grèce; von Houten, la Hollande; A. White, la Roumélie, et M. O. Richter, la Suède.

Lord Northbrook a bu tout d'abord à la prospérité du Cobden Club. Il ne se réunissait pas cette fois au milieu de circonstances prospères, car l'agriculture et l'industrie étaient également en souffrance, et l'on pouvait même affirmer, sans crainte d'être contredil, que n'eût été le libre-échange, la crise que traversait l'Angleterre aurait bien pu n'être pas sans dangers pour ses institutions et sa tranquilité. En de telles conjonctures, personne, en effet, n'aurait pu répondre du bon ordre public si la classe la plus nombreuse, celle qui précisément pâtissait le plus de la crise, avait pu imputer, même partiellement, son malaise à une inique répartition des impôts et des charges publiques. A ce point de vue, le libre-échange signifiait les intérêts du peuple anglais tout entier, par opposition aux intérêts d'une classe particulière, et plus que jamais on en pouvait dire ce qu'en disait déjà Cobden en 1846, qu'il serait tout aussi facile au législateur d'abolir la Grande Charte

ou le jugement par jury, ou la loi d'émancipation des catholiques que de rétablir en Angleterre le principe protectionniste.

Mais lord Northbrook a, comme tout le monde, entendu parler de réciprocité, en ces dernier temps, et il a voulu se rendre compte de ce que ce mot pouvait bien signifier dans la pensée des personnes dont il remplit la bouche et qui s'en servent à tout propos, comme hors de propos. Or, il lui a semblé que s'il signifiait quelque chose, il était synonyme de représailles, ce dernier mot pris cette fois dans l'acception la plus niaise qu'il puisse comporter, à savoir que les Anglais du moment que les autres nations se nuisaient à ellesmêmes, devaient à leur tour se faire du mal à eux aussi. Mais sir Louis Mallet avait fait voir, dans un vif et spirituel pamphlet, que les Anglais n'avaient pas même la ressource, sous prétexte de blesser autrui, de se blesser eux-mêmes, vu que le champ sur lequel ils pourraient tenter leurs expériences en ce sens, celui des droits de douanes, était si restreint qu'on pouvait bien dire de la tentative que le jeu n'en vaudrait pas la chandelle. Aussi bien l'orateur avait-il eu la satisfaction d'entendre récemment lord Beaconsfield << dans un des meilleurs discours qu'il lui eût encore été donné d'entendre» démolir un à un tous les arguments qu'il était possible d'invoquer en faveur de la réciprocité. Le premier ministre, allant même plus loin, avait eu le courage en pleine Chambre des lords de qualifier de phrases surannées, musty phrases, les objections que lui-même avait jadis opposées au triomphe du principe du libre-échange.

Et pourquoi lord Beaconsfield avait-il parlé de la sorte, et s'était-il servi, l'appliquant à lui-même, d'un pareil qualificatif? C'était évidemment parce qu'à partir de 1845 ou 1846 jusqu'à ces derniers temps, le tarif douanier de la Grande-Bretagne n'avait cessé d'être remanié, de telle sorte qu'à la place de la masse de ses anciens droits si complexes, il offrait aujourd'hui une simplicité aussi avantageuse aux Anglais eux-mêmes qu'aux autres peuples. Force était bien de reconnaître, à la vérité, qu'en ce moment l'agriculture anglaise n'était pas dans une situation brillante; mais la question véritable était celle de savoir si le rappel des Corn Laws était pour quelque chose dans cette souffrance. Or, en 1851, un membre du Cobden Club, économiste des plus distingués, M. James Caird, pour l'appeler de son nom, écrivait un livre où il se faisait fort de prouver qu'en dépit de toutes les prédictions sinistres qui avaient cours alors, les fermiers anglais et les intérêts agricoles anglais étaient parfaitement en mesure, les droits protec teurs une fois abolis, d'affronter la concurrence étrangère. Eh bien, M. Caird faisait paraître, il y a quelques jours, un autre volume,

où il prouvait très- distinctement et très-clairement qu'à cette époque il ne s'était pas montré faux prophète. Ainsi, le taux moyen de la rente foncière n'était que de 27 shillings en 1850, et en 1877 il a été de 30. Les prix étaient à la première de ces dates de 1 1/4 den, pour la livre de pain et de 1 1/2 den. à la seconde. De même, dans ces intervalles, la viande est montée de 5 à 9 den., le beurre. de 1 shilling à sh. 8 den., tandis que les salaires hebdomadaires des laboureurs s'élevaient de 9shillings à 14.

En ce qui concerne les propriétaires terriens, le dernier volume de M. Caird établissait que le revenu brut de la terre, qui n'arrivait pas tout à fait à 56 millions sterling en 1857, avait atteint, en 1875, le chiffre de 67 millions, soit une augmentation en capital de 300,000,000 sterling dans l'espace de 18 ans. On ne pouvait, il est vrai, regarder cette augmentation comme un effet direct du libre-échange; mais on avait pleinement le droit de prétendre que sous ce régime les Landowners avaient vu la valeur de leurs terres s'élever grandement, et cela sous l'influence de l'accroissement général de prospérité et de bien-être dont le pays était redevable, sans contestation possible, à l'avénement du Free trade. Quant aux fermiers, enfin, la valeur du bétail vivant qu'ils détiennent à cette heure est supérieure de 114 millions sterling à ce qu'elle était en 1850. Ils n'avaient aucun motif de ne pas être libres-échangistes, et comme il était évident qu'ils ne réussiraient pas, fussent-ils unanimes dans cette entreprise, à ressusciter l'ancienne législation des céréales, il valait beaucoup mieux pour eux chercher à obtenir les articles qu'ils consomment à un bon marché toujours progressif que de s'attarder à des doléances chimériques et à des regrets superflus.

« Mais le Cobden Club, » s'est écrié Lord Northbrook en terminant son discours, « le Cobden Club ne restreint pas sa mission à la propagande du Free trade, il est encore le champion de la paix générale, et quelques mots sur ce qui s'est passé à cet égard depuis sa dernière réunion ne lui paraîtront point superflus. (Ecoutez! Ecoutez!) Je ne dirai rien des maux généraux de la guerre, rien non plus,-d'autres probablement le feront pour moi, -de la dilapidation des ressources productives du monde qu'entraîne l'entretien daus tous les pays de grandes armées permanentes; mais j'aimerais à m'arrêter un moment aux réflexions que le spectacle de nos dernières guerres n'eût pas manqué d'inspirer à Richard Cobden, s'il vivait encore. Il y a une singulière vitalité dans ses écrits, et telle ou telle page qu'on y rencontre sur les guerres de son temps est applicable, ligne par ligne, à notre guerre actuelle de l'Afghanistan. J'aurais aimé à le voir mettre la vigueur

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