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de sa plume et sa puissante exposition des faits au service du petit nombre d'hommes qui ont bravé, en cette circonstance, le sentiment populaire; il m'eût plu de le voir montrer quelle folie il y avait pour ce pays à s'imaginer qu'il lui était possible de supprimer les montagnes et les déserts que la Providence a interposés, comme des barrières, entre les possessions asiatiques de l'Angleterre et celles de la Russie, et à se figurer que les deux pays avaient la possibilité de se nuire et de se heurter dans cette partie du monde...... Lui, si ardemment dévoué aux principes du gouvernement représentatif, qu'eût-il dit du mystère qui a présidé à la préparation de la guerre afghane, de sa présentation au Parlement comme un acte irrévocablement accompli et qu'il n'avait plus qu'à ratifier de ses votes et de ses subsides? Qu'eût-il dit surtout de la façon dont la guerre avec les Zoulous a été entamée et du mépris des droits de l'humanité dont elle témoigne ? » (Longs applaudissements.)

M. Baxter a pris ensuite la parole, et il n'a pas caché, lui non plus, que la cause du libre-échange traversait un moment difficile, un de ces moments « où les champions des grands principes sont sujets à éprouver du découragement.» De terribles guerres dans les deux mondes ont épuisé les ressources des grandes nations, et d'autre part une certaine fausse prospérité a eu pour conséquence un excès de spéculation commerciale et les maux qui en découlent. << Puis sont venues de petites guerres, entreprises par de petits hommes, des guerres peu faites pour faire honneur aux armes britanniques et en accroître le lustre, mais tout à fait propres à empêcher la reprise des affaires. » (Applaudissements.) Aussi M. Baxter n'est-il pas trop surpris de voir des gens ignorants et peu réfléchis s'en prendre au libre-échange d'une crise dont ils souffrent depuis longtemps, et dont ils ne sont pas en état de démêler les vraies causes. Pour lui, il se sent tout à fait rassuré sur l'issue finale de la lutte, et il engage « ses impatients amis >> à se souvenir « qu'il n'y a pas déjà si longtemps que les Anglais eux-mêmes sont des libres-échangistes, et qu'il ne s'est pas encore écoulé beaucoup d'années depuis l'époque où des hommes d'Etat, tels que lord Melbourne et sir James Graham, parlaient du rappel des Corn Laws comme d'une idée saugrenue,

a crazy idea. M. Baxter est donc d'avis qu'une œuvre telle que celle que le Cobden Club s'est donné la mission de promouvoir est une œuvre de longue haleine et qu'il faut à ses agents « quelque chose de la foi qui transporte les montagnes. » Il entendait dire, il y a quelque temps, par des hommes très-distingués qu'aux Etats-Unis la cause du Free trade était une cause absolument perdue. Tel n'était

nullement son propre sentiment. Les libres-échangistes américains n'avaient pas eu jusqu'ici leurs coudées franches; ils avaient eu à s'occuper tout d'abord de questions sociales de la dernière importance, à trancher la question de l'esclavage et à rétablir l'union. fédérale ébranlée en ses fondements mêmes. Cette lourde tâche, une fois entièrement remplie, ils concentreraient tout leur effort sur la liberté commerciale, et ce serait une chose étonnante, si la nation la plus libre du monde, et surtout cette population toujours croissante qui vit dans le grand Ouest et qui est appelée à un ascendant politique de plus en plus sensible» ne finissaient point par s'apercevoir des méfaits du protectionnisme. En un mot, M. Baster est de ceux qui ont confiance dans la vérité et son triomphe final; mais il est de ceux aussi qui ne s'imaginent pas que ce triomphe vienne tout seul. C'est pourquoi il engage fort les électeurs anglafs à saisir la première occasion qui leur en sera offerte de se débarrasser de la politique vaniteuse, vain, glorious, de l'administration actuelle. Pour lui, il n'a que faire de la convention << puérile et dangereuse» que son pays a passée avec la Turquie pour la protection de celle-ci ; en Egypte, il se contenterait de veiller à la neutralité du canal de Suez, et il se hâterait de se défaire de ce monstrueux éléphant blanc, qui s'appelle Chypre. (Applaudissements.) Par contre, il serait assez tenté de se mêler des affaires du Canada, et puisqu'il paraissait que trois députés du Domi_ nion étaient en route pour Londres où ils venaient demander aux ministres et au Parlement de garantir tout ou partie du coût du Canadian Pacific Railroad, voici ce qu'il leur répondrait volontiers: « Retournez chez vous d'abord et modifiez votre tarif (Applaudissements), ce tarif conçu dans l'esprit le plus hostile à cette mère patrie que vous bénissez incessamment en parole, mais que vous trahissez en fait. Nous verrons le reste plus tard. »

Le marquis de Ripon, qui s'est levé ensuite, s'était chargé de souhaiter la bien-venue à ceux des membres honoraires du club, qui avaient cette année traversé la Manche pour assister à son banquet annuel. Il l'a fait en excellents termes, en rappelant notamment que notre compatriote M. Lalande avait été l'un des amis les plus intimes de Cobden et que M. Samuel Ruggles, qui représentait la Chambre de commerce de New-York, avait consacré une bonne partie de sa la borieuse existence à la défense de la doctrine libre-échangiste. A l'occasion de M. Gennadis, il a exprimé ses plus chaudes sympathies pour la Grèce « sympathies, fondées sur les souvenirs du passé, les titres du présent, les perspectives de l'avenir, » et il a manifesté son contentement tout particulier d'apercevoir parmi les convives M. W. A. White, le mi

nistre de la Roumanie, « car loin d'être de ceux qui s'effrayaient, ou se montraient jaloux de ces jeunes communautés naissantes, il était bien persuadé, en bon disciple de Cobden, que l'Angleterre devait nouer avec elles d'amicales et fructueuses relations. »

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Sur la question du libre-échange même, lord Ripon a confessé que les espérances de ses champions ne s'étaient pas réalisées aussi vite qu'ils le croyaient dans leur généreux enthousiasme.Mais lui aussi il se souvient que trente années ne forment pas une longue période dans l'histoire du monde, et que si ces trente années n'ont vu ni les Etats-Unis de l'Amérique ni les grands Etats de l'Europe continentale se rallier complétement à cette doctrine, elles ont été témoins toutefois de grandes modifications dans les vieux tarifs protecteurs ou prohibitifs et de ce traité de commerce avec la France qui a été l'un des traités les plus saillants de la carrière de Cobden. A la vérité, ce traité semblait aujourd'hui remis en question. Cependant rien n'était encore décidé, — ici M. Lalande confirme l'assertion de l'orateur, et on avait toujours l'espoir qu'en France l'intérêt général des consommateurs ne serait pas sacrifié à celui de quelques petits groupes de manufacturiers (Applaudissements). Du côté de l'Allemagne, les choses avaient malheureusement pris une tournure décidément fâcheuse (Ecoutez! Ecoutez!), et le prince de Bismarck pouvait être désormais rangé parmi ces grands hommes d'Etat protectionnistes, dont le duc de Rutland dressait l'autre jour la liste, accouplant Chatham et lord George Bentinck (Rires). Peut-être M. de Bismark, d'ailleurs, n'avait-il pas adopté cette marche rétrograde pour les beaux yeux du protectionnisme et ses beaux yeux seulement. Il avait grand besoin d'argent pour ces armements qui écrasaient l'Empire, et il allait en chercher du côté où il croyait en trouver. En tous les cas, au moment même où il faisait au socialisme une si rude guerre, et édictait contre lui une série de mesures « qui n'étaient pas toutes faites pour inspirer de la confiance,» n'était-il pas étonnant qu'il se fit le champion dela protec tion? « Car la racine du protectionnisme et celle du socialisme étaient les mêmes, et ces deux faux systèmes dérivaient également de l'idée exagérée qu'on se faisait de l'influence de l'Etat, de son autorité et de sa sphère d'action. Idée qui avait trouvé dans Cobden un adversaire intraitable, mais qui malheureusement grandissait aujourd'hui et se répandait dans l'Europe entière. »

C'est notre compatriote, M. Lalande, qui a répondu à lord Ripon, et dans la propre langue de ce dernier. Il a exprimé l'espoir que le traité de 1860 non-seulement serait renouvelé, mais le serait même sur des bases plus libérales, résultat dont, pour son

compte, il serait d'autant plus heureux qu'il était bien propre à cimenter les liens d'intérêt commun, d'amitié même, qui, grâce à Dieu, d'année en année, se serraient davantage entre les deux peuples (Applaudissements). La vie de Cobden s'était partagée entre deux tâches : l'établissement du libre-échange et la prédication de la paix universelle, deux choses qui au surplus découlent l'une de l'autre. En ce moment même, le libre-échange soutenait un grand choc et les peuples, loin de sembler sympathiques à une fraternité, se ruinaient en armements gigantesques. Peut-être cependant ceux qui souffrent le plus de ce militarisme, c'est-à-dire ceux qu'il force de verser leur sang et de dépenser leur argent, finiront-ils par faire entendre leurs voix et imposer leur volonté de cesser ces sacrifices aussi sanglants qu'inutiles (Applaudissements).

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M. Gennadius, qui a parlé après M. Lalande, a insisté sur cette circonstance que son petit pays était un des meilleurs clients de la grande Angleterre. En 1874, son commerce avec ce pays représentait en effet une valeur de 1,827,000 liv. st. 45,675,000 francs - pour une population de 1,457,000 habitants, alors que la Turquie, qui avait une population de 16,000,000 d'habitants, n'achetai! cette année que pour 5,000,000 de liv. st. 125,000,000 francs de produis anglais. Puis M. Horace White, des Etats-Unis, s'est levé.

« On m'a souvent demandé, a-t-il dit en débutant, « pourquoi la doctrine du libre-échange fait si lentement son chemin aux Etats-Unis. La vraie réponse à cette question, la voici selon moi : c'est que nous autres Américains nous n'avons point été appelés comme vous autres Anglais à ressentir réellement les angoisses d'une législation protectionniste. (Ecoutez! Ecoutez!) Nous n'avons pas vu des millions d'hommes affamés frapper aux portes de notre législature, comme ils l'ont fait chez vous, à l'époque de l'Anti-Corn Law League. Notre pays est trop grand, trop faiblement peuplé par mille carré, trop plein de ressources nationales pour sentir d'une façon aiguë les mauvais effets d'une mauvaise législation fiscale, j'allais presque dire d'une mauvaise législation. quelconque. Recouvrant près de 60 degrés de longitude et 25 de latitude, embrassant une infinie variété de productions, il jouit de la liberté commerciale sur une aire telle qu'il n'y en a point, peutêtre, de plus grande au monde. Fort heureusement, la Constitution s'oppose à ce qu'un Etat impose les produits qui lui viennent d'un autre sans quoi, je ne doute guère que nous ne fussions affligés d'autant de tarifs intérieurs que l'Allemagne avant le Zollverein, et de bien plus que l'Angleterre vis-à-vis de ses colonies.

Aussi la dure nécessité de commercer librement avec les autres peuples ne s'est-elle jamais imposée à nous (rires). La pure vérité proclamée par Bastiat que 2 et 2 font 4 aussi bien en économie politique qu'en arithmétique est la dernière chose que les nations apprennent. Elles ne l'apprennent que bien rarement, pour ne pas dire jamais, sous une autre forme que celle de quelque dure expérience personnelle, et je crois bien que si les Anglais sont devenus libres-échangistes, c'est par le canal de leur estomac plutôt que de leur cerveau.» (Rires et applaudissements.)

Mais M. H. White est bien persuadé que la punition des errements protectionnistes de son pays viendra tôt ou tard, la capacité manufacturière des Etats-Unis est fort au-dessus de leurs besoins de consommation, et M. White sait de bonne source que dans la fabrique du fer et de l'acier, celle surtout des rails d'acier, les fabricants s'entendent entre eux pour qu'une partie de leurs usines chôment. Celles qui travaillent paient tant par tonne de ce qu'elles produisent aux usines oisives, combinaison qui n'est pas de nature, on le conçoit, à diminuer les prix et qui explique comment, il n'y a pas longtemps, une grande compagnie américaine de chemins de fer ayant besoin de 12,000 tonnes de rails d'acier, a trouvé plus avantageux de les faire venir d'Angleterre, malgré notre exorbitant tarif, que de les demander sur place. Ces faits et quelques autres du même genre portent avec eux un enseignement qui ne sera point perpétuellement perdu; pour mieux dire, la leçon a déjà été sentie, et M. White est persuadé que la plus prochaine session du Congrès ne se passera point sans une vigoureuse et chaleureuse attaque dirigée contre les plus saillantes des nombreuses iniquités du tarif américain.

« Et à ce propos, » a continué l'orateur, «je voudrais faire une remarque, c'est que l'Angleterre n'a pas, peut-être, toutes les raisons qu'elle croit avoir de si vivement désirer la conversion du pécheur. Tant que les Américains continueront de protéger le cuivre, la fonte de fer, les substances chimiques, les étoffes teintes, ainsi que tout l'ensemble des matières premières, ils laisseront les Anglais maîtres et maîtres sans rivaux du commerce du monde. Je ne prétends point que notre abandon des droits protecteurs ne serait point avantageux à la Grande-Bretagne; mais j'affirme que c'est en ce moment et de ce moment, seul, qu'elle se trouvera en face de son premier compétiteur sérieux comme puissance manufacturière. Depuis que je suis en Angleterre, je ne suis pas demeuré en spectateur inerte de ce qui s'y passe. Je dois confesser que vous autres Anglais, vous nous dépassez autant sous le rapport des manufactures et de la marine marchande qu'à notre tour nous vous sur

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