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sommation? N'est-il pas exact de dire que venant à l'encontre de ce désir, inné chez toutes les industries commerçantes, d'offrir à la clientèle un grand choix, une grande variété de produits, venant à l'encontre aussi du désir des clients de pouvoir choisir, d'avoir cette variété sous les yeux, les barrières fiscales empêchent les facilités de l'assortiment et du réassortiment... qu'elles entravent par conséquent la diversification de la production et nécessairement aussi la tentation et l'augmentation de la consommation?... Poser une telle question, c'est la résoudre.

Si l'unification des tarifs, si l'amélioration des produits doivent nécessairement sortir de l'union douanière préconisée par M. de Molinari, il est incontestable aussi que cette union déterminera une notable réduction du personnel des douanes et par conséquent aussi des frais de perception. Or, ces frais nese chiffrent peut-être point par des sommes considérables dans les pays que des obstacles naturels protégent contre la contrebande; mais dans les pays à frontières terrestres délimitées en plaines, tels que la Belgique et les Pays-Bas par exemple, la nécessité de créer des postes nombreux de douaniers entraîne une dépense qui s'élève chez nous à 21.68 0/0, en Hollande à 23.72 0/0 du produit brut des recettes. Le pays le plus favorisé sous ce rapport, le Danemark, ne perd que 5.49 0/0 des droits qu'il encaisse la moyenne pour les sept Etats appelés à se fondre dans l'Union est de 10.745 0/0, soit en francs la somme énorme de 59 millions environ. Nous ne croyons pas nous aventurer bien fort en exprimant l'opinion que par le fait de l'union, cette dépense pourrait être réduite de moitié en général, — de plus des 3/5 en ce qui nous concerne spécialement. En chiffres, cela se traduit par une économie de 25 à 30 millions, économie qui serait un des avantages les plus pratiques, les plus positifs du projet de M. de Molinari.

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Enfin, Messieurs, ce projet a une portée d'un ordre plus élevé que l'ordre matériel : il a une portée morale et humanitaire.

Le jour en effet où une solidarité d'intérêts positifs aussi étroite que celle qui résultera de l'union douanière continentale existera entre les peuples, la solution du problème de la paix universelle, tout au moins de la paix européenne, sera bien proche.

Si les guerres occasionnent, dans l'état actuel des choses, de graves perturbations économiques, combien ces perturbations ne seraient-elles pas aggravées encore dans le cas de conflit armé entre deux ou plusieurs des participants de l'union douanière. Nous ne parlons évidemment que des plus puissants. Les autres contractants verraient alors la suppression de certains coefficients indispensables de leurs industries et par conséquent l'anéantissement momentané de la production, ceci bien entendu en admettant que l'union doive avoir pour conséquence la spé

cialisation du travail. Mais il y a plus grave: ils verraient en tous cas, ces autres contractants, se tarir une des sources les plus puissantes de la fortune publique nous voulons parler de leur participation dans les produits de la ligne générale des douanes, produits qui subiraient inévitablement une réduction incalculable sur les frontières des belligérants dont la consommation des objets imposés se restreindrait singulièrement. Or, si certaines nations sont restées, pour des raisons que nous n'avons pas à examiner ici, spectatrices impassibles des duels de peuple à peuple qui ont ensanglanté l'Europe depuis vingt-cinq ans, cette impassibilité, ce désintéressement ne seraient plus possibles. Pourquoi? Parce que les témoins de la lutte en subiraient un contrecoup immédiat, de tous le plus sensible, puisqu'il atteindrait directement leurs finances publiques. Dès lors, l'intervention s'imposerait, et si les questions d'humanité et de justice n'ont pas toujours réussi à tirer les peuples de leur torpeur, il est incontestable qu'ils en sortiraient dès qu'ils verraient en péril l'intérêt si palpable, si facilement appréciable de la richesse de l'Etat, résumé en somme de la richesse des individus!

Enfin, et si cette intervention logiquement forcée des Etats tiers n'aboutissait pas, les belligérants rencontreraient, eux, une autre difficulté qui ne serait certes pas la moindre. Elle résiderait dans l'obligation où ils se trouveraient de reconstituer immédiatement, soit vis-à-vis l'un de l'autre, soit vis-à-vis de tous les autres contractants, leurs lignes de douanes intérieures, de réformer ce corps spécial de douaniers, dont la suppression partielle ne se fera peut-être pas sans peine, mais dont la remise en activité offrirait bien des impossibilités. Et puis, quelles seraient les bases de perception de ces douanes rétablies ?... les anciens tarifs, dont les classifications multiples rendront l'application impraticable pour un personnel fraîchement recruté... ou bien de nouveaux tarifs, dictés au milieu des préoccupations du conflit, dépourvus de sanctions réciproques... mais autant vaudrait décréter la prohibition ou la liberté absolue et alors comment ferait-on les frais de la lutte?

Tout ceci ne démontre-t-il pas que le germe de la paix universelle se trouve déposé dans le projet de M. de Molinari ? Rapprochant les nations, associant leurs intérêts, il leur rend pour ainsi dire impossible, en tout cas fort périlleuse, la rupture du pacte douanier, rupture qui heurterait une somme immeuse d'intérêts coalisés, qui pèseront dans la balance et auront imposer leur loi. Or, Messieurs, reconnaissons-le, cette loi sera la loi de paix et de travail, la loi de suppress on de ces guerres que l'on n'a malheureusement pas encore su jusqu'aujourd'hui prévenir ou empêcher! Et quelles mesures seraient plus préventives que celles qui trouveraient leurs points d'appui et de départ dans cette immense solidarité d'intérêts matériels qui s'établirait entre les peuples, dans les

progrès que cette solidarité ferait faire à la civilisation générale, enfin et surtout dans les craintes que tout conflit inspirerait par les conséquences qu'il produirait au point de vue économique ?...

Les considérations que nous venons d'exposer nous ont paru trop décisives, trop sérieuses, pour que nous ayons hésité un instant à nous rallier au projet de M. de Molinari, pour que nous ne souhaitions pas de le voir réaliser dans un avenir très-prochain. Elles sont trop justes pour n'avoir pas été saisies par des gens qui peuvent exercer sur la solution de la question une influence prépondérante et qui ne sauraient se défendre, en principe, de reconnaître l'excellence du système de M. de Molinari, l'utilité pratique qui découlerait de son application pour la formation d'un Zollverein continental.

Malheureusement des exigences dérivant de la façon suivant laquelle les impôts sont assis dans les divers pays intéressés, de grandes difficultés résidant en la répartition des recettes de la ligne de douanes générales, vie ndront, craignons-nous, appoiter des retards considérables, sinon des empêchements absolus à la réalisation de ce projet.

Nous vous parlions d'abord de l'assiette des impôts. A première vue, il semble impossible en effet de concilier les intérêts fiscaux si opposés des nations que lierait entre elles le pacte douanier.

La France tire un revenu considérable : 300 millions environ, de la ferme des Tabacs; elle impose le sel, la Hollande impose également le sel; la Belgique a des droits d'entrée sur le vin, mais de même que l'Allemagne, elle ne connait point le monopole des Tabacs. Nous citons quelques exemples parmi les plus saillants, pour faire toucher du doigt la difficulté. Elle réside en résumé dans l'établissement d'un système uniforme d'accises, et c'est là, en raison des circonstances économiques de la vie de chaque peuple, un obstacle que le Zollverein allemand même n'a pas franchi, mais qu'il a dû se borner à tourner.

On peut se demander cependant si cet obstacle est infranchissable, si l'assiette des impôts est fixée d'une façon qui n'offre prise ni à une saine critique, ni à de logiques changements. On peut se poser cette question, par exemple, de savoir si un dégrèvement des droits sur le vin ne serait pas largement et avantageusement compensé par une augmentation générale des droits sur les alcools et sur les tabacs, si les facilités données à la consommation de ce liquide ne seraient pas de nature à exercer une influence moralisatrice et sanitaire d'autant plus considérable peut-être qu'elle aurait pour effet d'atténuer l'influence délétère de la consommation des matières que nous venons de nommer et qui seraient frappées de droit suffisant à compenser pour notre pays particulièrement la perte résultant de la suppression des frais de douane sur le vin... Si nous avons vu abolir l'impôt sur le sel, d'autres pays ne pourraient-ils pas imiter notre exemple, et si les gouvernements pou

vaient avoir à craindre quelque importunité en taxant d'autres denrées, -tout particulièrement les denrées de luxe, telles que le thé, le chocolat, les fruits secs, ne trouveraient-ils pas un regain de popularité dans le dégrèvement portant sur le sel, cet agent si utile en agriculture. Enfin, les difficultés de répartition sont-elles à ce point insurmontables qu'elles doivent faire reculer les Gouvernements devant l'étude de ces difficultés et la recherche d'en triompher?... Nous ne pouvons nous résoudre à le croire.

Nous ne nous dissimulons point, cependant, que toutes ces questions sont délicates et méritent un minutieux examen; nous devons ajouter qu'elles ont pu ébranler certaines convictions faites quant à l'excellence intrinsèque du projet de M. de Molinari et les conduire à se demander s'il n'y avait pas mieux à faire pour notre pays que d'adopter ce projet. Dans cet ordre d'idées on a dit, fort ingénieusement du reste, que dans la situation actuelle des choses, le rôle des producteurs belges semble singulièrement] mal compris. Ils vont au loin chercher les marchés étrangers et ils se font, sur ces marchés, une concurrence souvent peu rémunératrice et quelquefois désastreuse. Pendant ce temps, les producteurs étrangers envahissent notre pays, négligé par ses régnicoles; ils y implantent leurs produits, et alors que nous songeons à l'extérieur, nous ne nous occupons pas assez activement de placer le produit à l'intérieur. C'est un danger,

Pour rester dans les principes du libre-échange, ne vaudrait-il pas mieux, au lieu de nous jeter dans un système qui peut nous amener à créer ou à majorer des impôts, ne vaudrait-il pas mieux ouvrir nos portes, supprimer nos douanes et songer à notre marché intérieur ? Une puissante voisine, l'Allemagne, va, dit-on, revenir auxidées protectionnistes; elle nous fermera donc en quelque sorte les débouchés que nous trouvions chez elle; par contre, sa consommation restant la même ou à peu près, absorbera sa production et nous ne la rencontrerons plus sur le marché étranger. Conséquence nécessaire: cette protection servira nos intérêts, surtout à l'intérieur, en nous obligeant à soigner nos produits, à les améliorer, à les fabriquer à meilleur marché ; elle nous servira peut-être à l'extérieur en nous débarrassant d'un concurrent redoutable.

Supposons donc que nous ouvrions nos portes; que devenons-nous ? Un pays de transit ayant une tête de ligne européenne, Anvers, si admirablement situé pour devenir le grand dépôt des marchandises importées d'outre-mer dans le continent européen. Jugez par là de l'influence des transports qui circulerait par nos fleuves, nos chemins de fer, nos canaux et de l'immense profit que nous en retirerions. En aucun cas, nous ne pourrions utiliser plus avantageusement.notre position. géographique; nos forces intellectuelles, notre activité commerciale,

changeraient peut-être de but et de visées, mais si nous prenons une position spéciale, nous serions aussi les mieux à même d'en retirer tous les avantages, au lieu de continuer à lutter sur des marchés où cette lutte est difficile et périlleuse.

Ces objections ont trouvé des contradicteurs. Ils ont fait valoir, au point de vue du développement du marché, les considérations que nous vous avions indiquées précédemment. Ils ont, en outre, répondu ceci : Vous nous parlez de la transformation de notre activité commerciale... Mais un peuple ne change pas du jour au lendemain : Notre industrie n'est pas factice; elle dérive des conditions inhérentes à notre sol; elle a besoin de débouchés et elle doit les augmenter bien plutôt que de renoncer à la lutte. Certes, les producteurs étrangers nous font ici la concurrence, mais il ne faut pas perdre de vue que cette concurrence est limitée, qu'elle porte sur certains objets que nous ne produisons pas, parce que la consommation en est trop limitée.

Quant à notre position géographique, elle nous est acquise, et si elle doit nous profiter davantage, c'est bien évidemment plus dans l'hypothèse d'une union douanière que dans l'hypothèse d'une suppression de nos douanes. Anvers est déjà un point central; il le deviendrait bien plus dans le cas où il pourrait expédier les marchandises jusqu'à la frontière de Russie, sans qu'elles eussent à passer par des douanes multiples. Il est impossible de méconnaître que sa transformation en port franc aurait des conséquences incalculables au point de vue de sa prospérité, de celle de nos voies de transport; mais qui oserait affiriner que les autres nations verraient tranquillement notre grand port belge se constituer un pareil privilége et qu'elles ne nous le feraient pas payer plus qu'il ne nous vaudrait.

Si, renonçant à cette idée, vous exprimiez l'avis d'abandonner, à cause des difficultés et des obstacles qu'il présente, le projet d'union douanière avec tout le continent pour vous borner à soutenir l'utilité pratique d'une union douanière avec la Hollande, ceci serait plus discutable. Il est avéré, en effet, Messieurs, que ce projet n'est plus aujourd'hui à l'état de simples espérances. Il a fait l'objet des préoccupations des Gouvernements intéressés; il est bien vu dans les sphères officielles, son exécution pourrait être prompte et facile; il a déjà passé par l'épreuve des discussions politiques. Dans des circonstances récentes, au mois de janvier dernier, un écrivain hollandais a publié sur cette question une brochure qui a fait sensation; les idées de cette brochure ont été reprises par MM. Couvreur et van Geetruyen à la séance de la Société belge d'Economie politique du 16 février 1879, et personne n'a songé à contester le mérite de cette idée.

Elle aurait, au point de vue de la Belgique, l'immense avantage de lui ouvrir les colonies hollandaises, d'augmenter la source de ses échan

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