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Or, c'est justement ce nécessaire qu'on ne peut pas faire aujourd'hui. Il suffit pour s'en convaincre de rappeler ces chiffres: 106 millions absorbés par la dette sur un budget de 223 millions.

Cette fois, le conseil municipal paraissait ne pas devoir se laisser facilement entraîner dans la voie des emprunts. Aussi le préfet de la Seine, l'honorable M. Hérold, usa-t-il de douceur dans l'introduction de son projet de convention avec le Crédit foncier. Il se borna à indiquer sa préférence pour une solution qui lui mettrait en main une somme de 140 millions. Avec cet argent, on devait compléter le réseau des égouts, celui de la distribution des eaux et faire des écoles pour recevoir tous les enfants de Paris. Cette dernière proposition devait toucher le conseil sur son côté faible. L'honorable souci de l'instruction populaire est en effet celui qui a occupé la plus large place dans les préoccupations de nos conseillers élus depuis que nous en avons, c'est-à-dire depuis 1871. A cette époque il manquait dans les écoles de la place pour 60,000 enfants, et aujourd'hui il n'en manque plus que pour 22,000.

Cependant l'idée d'un emprunt fut mal réçue par le conseil. Un des membres, M. Leneveux, adressa à la commission des finances un mémoire fortement motivé, où il démontrait que ce serait folie que de rouvrir le livre des emprunts.

Il établissait le chiffre réel de la dette municipale. Ce chiffre est nominalement d'environ 2 milliards, mais en réalité il serait, d'après M. Leneveux, de 4 milliards et demi. Pour arriver à ce résultat, l'honorable conseiller emploie un procédé qui n'est pas de mise parmi les financiers ni parmi les « paniers percés ». Il compte comme dette tout ce que l'on aura à payer, intérêt et principal. En ce qui concerne le projet d'emprunt dont nous parlons, il disait: Nous emprunterons 140 millions et nous ou nos enfants en payerons 500. Doit-on tout ce que l'on a à payer, que ce soit maintenant ou plus tard? Voilà toute la question.

A cette manière d'établir les comptes, un grand journal, un très-grand journal, qui a une réputation de gravité des mieux établies et des plus méritées, a répondu en citant l'exemple des compagnies de chemin de fer qui ont emprunté 8 milliards et qui en paieront 35. Le grave journal commettait, en tenant ce raisonnement, une faute de logique et une étourderie. Il ne réfutait pas, puisqu'il ne démontrait pas que les compagnies de chemins de fer ne doivent pas ce qui reste à échoir des 35 milliards qu'elles se sont engagées à payer. La preuve qu'elles le doivent, c'est que, si elles ne payaient pas, l'Etat paierait pour elles. Quant à l'étourderie, elle consistait à comparer des choses dissemblables. Les ca

pitaux que les compagnies de chemins de fer se sont procurés par l'émission de leurs obligations sont des capitaux commanditaires; ils ont été employés à créer des voies ferrées et un matériel de transport qui travaillent et rapportent non-seulement l'intérêt et l'amortissement, mais en outre un dividende pour les actionnaires. Qui pourrait prétendre qu'il en est de même pour l'argent prêté à une ville et employé par elle en percements de rues et en construction de maisons? Sans doute, on invoque le produit que les matériaux donnent à l'octroi et l'augmentation de la contribution mobilière dans les quartiers transformés. Mais ces produits de l'octroi sont essentiellement passagers, et, d'autre part, l'augmentation de la contribution mobilière constitue un accroissement de charges pour les habitants, qui ont déjà vu monter les loyers; enfin, argument qui dispense de tous autres, tous ces produits nouveaux sont absolument insuffisants pour payer l'intérêt et l'amortissement du capital ainsi dépensé.

Donc, les dépenses de reconstruction ne doivent pas être considérées comme des placements de capitaux, mais comme des moyens d'améliorer, de rendre plus confortable et plus luxueuse la vie des Parisiens.

Relativement aux égouts, M. Leneveux faisait observer que les travaux de ce genre ne pouvaient, sans causer une gêne trop considérable, être entrepris sur une grande échelle, que par conséquent ils ne réclamaient pas de grosses sommes d'un coup. Pour les eaux, il y avait deux réponses: la première était, que le développement de la canalisation des eaux est lié au développement des égouts; la seconde était, que la compagnie des eaux offre de se charger des travaux en acceptant à titre de remboursement le supplément de bénéfices que l'extension de la canalisation produirait pour la Ville, jusqu'à complet payement, et sans intérêts.

Enfin, quant aux écoles, dont M. Leneveux ne saurait être accusé d'être l'adversaire, pas plus qu'aucun de ses collègues, il y avait une triple réponse. D'abord, la Ville a, en ce moment, déposé an Trésor une somme de 12 millions, provenant d'un emprunt précédent et à ce destinée. Ces 12 millions rapportent 1 pour 100 et en coûtent 4. D'autre part, avec ces 12 millions et le concours que peuvent fournir les ressources ordinaires de la Ville, on pourrait, à la condition de ne pas faire des monuments, par exemple en louant des maisons particulières et en les agençant convenablement, fournir de la place aux 22,000 enfants qui attendent. Enfin, un troisième procédé consisterait à placer, en payant, des enfants dans des écoles libres. Les instituteurs laïques libres sont en général amis du régime actuel, et celui-ci a une singulière

manière de se montrer reconnaissant en leur enlevant un grand nombre d'élèves. Le moyen en question ménagerait la transition.

La commission des finances du Conseil municipal n'osa pas prendre sur elle d'accepter ou de refuser la combinaison avant d'avoir tâté l'opinion du Conseil tout entier. Pour cela, elle demanda à toutes les autres commissions quelles pourraient être, dans le ressort de leurs attributions, les dépenses urgentes. Toutes les commissions répondirent qu'elles ne voulaient demander aucune ressource à un nouvel emprunt.

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En présence d'une semblable situation, la commission, au sein de laquelle plusieurs membres, notamment MM. Clamageran et Ernest Brelay, - avaient nettement pris parti contre l'emprunt se résolut à proposer tout simplement la réduction à 17 millions de l'annuité de 19 millions que l'on payait au Crédit foncier. Celui-ci acceptait. On pensait même que, sous le coup des offres que faisaient d'autres établissements financiers, il consentirait à une réduction de 2 millions 200,000 francs.

Pendant que cette question s'agitait à la commission, les financiers et les journaux avaient pris position. Les financiers faisaient des offres diverses. Les uns proposaient, pour 19 millions par an, jusqu'en 1938, une somme supérieure à celle du Crédit foncier. Les autres proposaient de capitaliser l'économie de 56 millions résultant d'une diminution de l'annuité et de donner entre 35 et 44 millions. Les journaux, sauf deux ou trois qui restèrent silencieux, combattirent le projet de simple réduction du montant de l'annuité. Les uns, qui défendent d'habitude le Crédit foncier, soutinrent le projet d'emprunt de 140 millions; les autres, qui sont au service d'une influence rivale, appuyèrent énergiquement les propositions d'un syndicat financier. Les plus réservés se contentèrent de déclarer qu'il fallait faire un emprunt public pour procurer les ressources nécessaires au remboursement du Crédit foncier. Lors d'un précédent emprunt les frais d'émission s'élevèrent à 860,000 francs, somme sur laquelle la presse eut une large part. On ne saurait, en conséquence, s'étonner de cette attitade des journaux, ni même la blâmer chez ceux qui se maintinrent dans les limites de la discussion. Mais il y en eut dont la polémique eut un caractère qui sentait l'escopette. On alla jusqu'à menacer les conseillers de leurs électeurs s'ils ne votaient pas l'emprunt.

La discussion eut lieu. Elle fut vive; toutes les forces donnèrent des deux parts et jamais il ne fut si bien prouvé que « l'éloquence brutale des chiffres » est aussi captieuse que toutes les autres.

M. Clamageran démontra que, en quatre ans, la Ville pourrait consacrer 122 millions à des travaux publics, ce qui fut contesté par l'administration. On invoqua l'éternel argument: que la République devait donner du travail comme l'avait fait l'empire. A quoi on répondit qu'en ce moment le « bâtiment » marche admirablement tout seul, et que l'entreprise de nouveaux travaux par la Ville, en dehors de ceux que permettent les 8 à 10 ou 12 millions que fournit le budget, aurait pour conséquence de renchérir inutilement les matériaux et la main-d'œuvre.

Quand on en vint au vote la question fut posée à peu près dans ces termes : Faut-il greffer un emprunt quelconque sur la conversion de la dette envers le Crédit foncier ? 42 voix répondirent non, et 31 oui.

Mais une nouvelle complication surgit alors, qui amena la défection de ceux des adversaires de l'emprunt qui'n'avaient pas le parti absolument pris d'en finir avec le système. On proposa d'élever l'économie de 2 millions par an à 7, en réduisant l'annuité à 12 millions, mais en en prolongeant l'échéance jusqu'en 1938.

La commission des finances se rallia à cette idée, M. Germer-Baillière rédigea un nouveau rapport. Ce rapport contient un frappant exemple de la manière dont les hommes d'affaires, car on ne saurait contester ce titre à l'éminent rapporteur, s'embrouillent quelquefois dans les chiffres. Il y est dit: que la Ville va avoir une disponibilité de 7 millions pendant cinquante-huit ans, ce qui lui fournira une somme de 406 millions. Or, la disponibilité n'est réelle que pour vingt-huit ans et ne représente par conséquent qu'un total de 196 millions. Quant aux trente années qui s'écouleront de 1908 à 1938, loin d'avoir une disponibilité de 7 millions, elle supporteront une charge de 12 millions, soit en tout 360 millions, en remboursement des 140 millions d'économie réelle, effectuée par la réduction de l'annuité à 12 millions au lieu de 17. C'est encore, comme on le voit, le système de la consommation du blé en herbe, c'est pis que cela: c'est la mise à la charge de nos descendants d'une somme considérable en échange d'un rogaton pour la génération présente.

Tel est le système qui a cependant prévalu. Il ne s'est plus trouvé que 25 voix pour repousser cet emprunt déguisé.

Déjà, les financiers, qui ne se découragent pas facilement, sont à l'œuvre pour profiter de cet acte de faiblesse. Ces 7 millions d'économie effective jusqu'en 1908 et d'économie apparente jusqu'en 1938, peuvent, dit-on, servir à gager un emprunt. Il est fort à craindre que cela soit fait.

Charles-M. LIMOUSIN.

SOCIÉTÉ D'ÉCONOMIE POLITIQUE

RÉUNION DU 5 JUILLET 1879.

COMMUNICATIONS: Campagne au nom de l'Association pour la défense et la liberté commerciale. - Mouvement libre-échangiste en Suisse et en Belgique. Progrès des classes ouvrières en Russie.

DISCUSSION: Ce qu'il y a à faire pour développer le crédit agricole.

OUVRAGES PRÉSENTÉS.

M. le comte d'Esterno a présidé cette réunion, à laquelle avaient été invités M. Benjamin Rampal, publiciste, et M. Edmond de Molinari fils, ingénieur, et à laquelle assistaient M. Brock, ancien ministre en Norvége, et M. Ducrocq, doyen de la Faculté de Poitiers, membre de la Société.

Divers ouvrages sont présentés par M. le secrétaire perpétuel et par M. Frédéric Passy. (Voyez plus loin.)

En présentant le compte-rendu de l'assemblée générale de l'Association de la réforme de la liberté commerciale, M. le secrétaire perpétuel entretient la réunion de la brillante campagne que viennent de faire à Bordeaux, à Saint-Etienne, à Lyon et à Louviers deux orateurs de l'Association, M. Edgar-Raoul Duval, ancien député, et M. Octave Noël, secrétaire de l'Association; dans ce compterendu se trouvent exposés les efforts de l'Association et les manœuvres des protectionnistes.

M. GUSTAVE DE MOLINARI annonce que, tandis que les libre-échangistes français se contentent, avec une modération peut-être excessive, de demander le maintien du statu quo, ceux de Suisse et de Belgique se montrent plus exigeants. Il vient de se fonder à Zurich un comité d'industriels et de négociants, sur l'initiative de M. Ch. Dreyfus, pour étudier le projet d'une union douanière FrancoSuisse. En Belgique, la Chambre de commerce de Verviers déclare dans son dernier Rapport que le gouvernement peut réduire ou supprimer librement tous les droits d'entrée en Belgique, avec ou sans réciprocité de la part des pays étrangers.

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M. le Président propose à la Société, avant de passer à la discussion d'une question du programme, de demander à M. Edmond de Molinari, qui habite la Russie méridionale, quelques

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