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successivement recommandé à l'attention d'une portion plus étendue du public.

A côté de ces ouvrages, quelques écrits spéciaux: la question de la monnaie d'or; l'uniformité monétaire; la monnaie et le double étalon avaient révélé la compétence spéciale aussi de M. Th. Mannequin en ces matières. Cette compétence, l'ouvrage qu'il publie aujourd'hui la confirme encore plus hautement, et il n'est que vrai de dire qu'il assure tout à la fois à son auteur, dans cet ordre de faits, deux avantages précieux: l'autorité et la notoriété.

Cette autorité, le livre nouveau la mérite à tous égards.

Et d'abord, point capital, plus capital même que d'ordinaire on ne l'imagine, ce livre est un livre bien fait, clair, méthodique, absolument dépourvu de digressions inutiles ou lourdement disproportionnées, qui prend pour lui d'un bout à l'autre le conseil du poëte: « Semper ad eventum festinat », et dont le pas est aussi éclairé, mesuré et sûr que l'allure en est rapide.

Après une spirituelle dédicace où, en des termes excellents et qu'on voudrait citer, il fait figurer le peuple anglais comme collaborateur anonyme de la solution de l'étalon d'or, persuadé que, suivant un autre conseil, le sujet n'est jamais assez tôt expliqué, il aborde dès son premier chapitre: La position du problème monétaire. « Problème bien posé, dit-il avec raison après les mathématiciens, est à moitié résolu, et ce qui est vrai pour les sciences exactes doit l'être à plus forte raison pour les sciences morales et politiques. » Et en effet, malgré sa complexité, à l'aide tour à tour du raisonnement, d'un savoir étendu et précis, de la logique, de l'histoire aussi, cette clairvoyante institutrice, il le pénètre, le circonscrit, le divise pour l'approfondir, de telle sorte que finalement, il semble qu'on le voit sortir du fond des choses ainsi formulé sous la plume de l'écrivain:

«Etant donné le besoin universel et permanent de monnayer au moins trois métaux différents, trouver le moyen de les faire circuler conformément au besoin qui en réclame le monnayage, sans altérer ni · troubler la monnaie dans sa nature métrique et dans sa fonction d'instrument des échanges, ni provoquer des désordres dans l'économie de cette fonction ».

Mais ce n'est pas tout que de poser nettement un problème; ilen faut définir et apprécier les termes. C'est ce que fait immédiatement l'auteur dans son second chapitre. « La monnaie, dit-il, dont tout le monde fait usage, que tout le monde connaît comme sa poche, c'est le cas de le dire, est pourtant fort mal connue scientifiquement ». Et alors il s'attache à la faire connaître. Monnaie, régime monétaire, monnaie marchandise, monnaie de papier, de banque, monnaie fiduciaire, équivalence, utilité, richesse, valeur sont autant de notions tour à tour discutées, redressées, simplifiées avec habileté et bonne foi aussi bien qu'avec

originalité et finesse. Un point de cette vive discussion, croyons-nous, frappera particulièrement les lecteurs, c'est celui qui est relatif à la valeur. M. Th. Mannequin consacre quelques pages remarquables à établir que la valeur et le prix sont une seule et même chose. Que de problèmes arides et de solutions douteuses, que d'obscurités, de difficultés rébarbatives, que d'arguties de mine scolastique disparaîtraient de la science économique, à la singulière satisfaction de ceux qui la cultivent ou l'enseignent et surtout de ceux qui l'étudient, le jour où l'assimilation proposée par M. Th. Mannequin y recevrait droit de cité!

C'est après ces débats, en quelque sorte préjudiciels, que pouvait être et qu'est effectivement abordée l'une des grosses discussions du livre : celle du double étalon. On la trouvera traitée ici de main de maître. Après avoir marqué la justesse de la qualification d'étalon appliquée à la monnaie, l'auteur expose comment, d'accord avec le bon sens, la science se refuse à admettre simultanément deux étalons différents; comment, en fait, il n'y en a jamais eu qu'un seul. I soumet à un juste examen la théorie de M. Wolowski sur le prétendu mécanisme compensateur du double étalon et la proposition plus récente et plus bruyante de rendre le double étalon universel par voie de négociations diplomatiques. Etablissant la nécessité de concilier le monnayage de plusieurs métaux avec une seule valeur de la monnaie, il fait ressortir que la transaction universellement admise à cet égard pour le cuivre est aussi nécessaire pour l'argent. Il prouve enfin comment, à côté de l'inanité du double étalon, il faut placer de sa part non des services mais ses obstacles et des préjudices: exagération des variations monétaire, mouvements de bascule d'un métal à l'autre au point de vue de la valeur, sorties alternatives, le tout accompagné d'effets politiques de toute gravité jusqu'à l'impulsion à la fausse monnaie et au papier monnaie. Il conclut enfin et de la façon la plus résolue contre le double étalon monétaire.

Ce point acquis, le choix restait à faire. Il ne faut qu'un seul étalon, mais lequel? Lequel? l'étalon d'or, répond M. Th. Mannequin avec la grande majorité des économistes, des commerçants, des financiers, des industriels, sans compter le sentiment moins raisonné mais aussi décidé de l'opinion publique, et alors le judicieux économiste d'établir par l'histoire, par le raisonnement, par la pratique des divers Etats, que la transaction qui concilie la circulation de plusieurs métaux monnayés avec une seule valeur de la monnaie n'est possible qu'avec l'étalon d'or; que l'étalon d'argent et le billon d'or sont impraticables; qu'enfin l'étalon d'or, au lieu d'être plus instable, serait au contraire plus favorable à la stabilité de la valeur monétaire et aurait même ce résul

tat, peut-être inattendu pour plusieurs, de constituer une monnaie moins

coûteuse.

Entre-temps, au cours de cet ouvrage, il faut citer plusieurs chapitres pleins d'intérêt que M. Th. Mannequin consacre, ici à l'Ilistoire de la monnaie dans l'antiquité, racontant comment la monnaie a passé alors par les mêmes épreuves que dans les temps modernes, au sein des sociétés les plus disparates; comment les mêmes erreurs ont enfanté les mêmes dommages, les mêmes solutions droites, assuré des avantages à peu près semblables, - là à l'examen de quelques solutions proposées et que connaît bien le monde économiste: monnaies désignées par leur poids, monnaie à valeurs variables; monnaie signe, proposition soumise au Sénat par l'honorable sénateur, rédacteur en chef du Journal des Etonnistes. Parmi ces chapitres logiquement échelonnés, sur la route, on ne peut se refuser à donner une mention à part à celui que l'auteur intitule: La mesure monétaire et la distribution de la richesse. Là, les principes prennent place hautement à côté des considérations de l'histoire et l'on se plaît à les entendre dicter à un esprit distingué et instruit, avec des vérités éprouvées, renouvelées par le talent, un certain nombre de vues originales et nouvelles.

Vient enfin ce dernier chapitre qui, dans toute publication bien entendue, forme comme le sommet de l'œuvre. Ce chapitre a ici pour titre : Solution nécessaire. C'est là que M. Th. Mannequin, en même temps qu'il insiste par vingt raisons sur la nécessité de prendre un parti, propose ses vues sur la réformation de nos monnaies. On lira avec curiosité avec intérêt ces propositions qui embrassent les trois métaux en usage, or, argent et cuivre, le premier à l'état d'étalon, les deux autres à celui de billon, réalisant leur vie côte à côte suivant les termes rapporté plus haut de la position du problème monétaire; propositions partout conformes au système décimal; soigneusement dressées pour tenir compte des besoins du public et particulièrement du commerce, et garanties par une habile mesure d'alliage, de manière qu'aucune monnaie ne se trouve jamais ni en excès ni en défaut.

Nous ne reproduirons pas en détail ces propositions qu'il conviens d'aller retrouver dans le livre lui-même. Ajoutons que le lecteur sera heureux de s'arrêter, en terminant l'ouvrage, sur un résumé de toutes les considérations et propositions qu'il contient présentées sous la forme d'un projet de loi avec ses attendus multipliés et divers. Pour un livre dont le but est d'aboutir à une solution pratique, il est peu de choses qui vaillent cette forme rapide où les idées et les faits se ramassent sous le regard et revêtent en quelque sorte la forme exécutoire : moyen d'exposition excellent en même temps que souveraine pierre de touche. Le livre de M. Th. Mannequin a eu raison de rechercher cette épreuve. Elle lui profite etil en sort à merveille.

On voit par tout ce qui précède si nous avons eu raison de dire, au début de ces quelques pages, que le livre de M. Th. Mannequin est un livre bien fait. Nous ne lui aurions pas, toutefois, rendu complète justice si nous ne donnions pas une mention méritée à d'autres qualités qu'il réunit au même degré : l'exactitude du savoir, l'habile observation des faits, la parfaite connaissance de l'Economie politique et, pardessus tout, une dialectique remarquable qui en est peut-être le trait dominant et la qualité maîtresse.

Quant au style, c'est celui qui convient à ces sortes de sujets et en général à l'Economie politique, il est sobre, clair, sans prétention ni ornements, mais net, ferme, précis.

Est-ce à dire que le livre de M. Th. Mannequin clôt le grand et long débat de la monnaie ? est-ce à dire que le gouvernement se décidera dans un court délai à la refonte de nos monnaies sur le plan proposé; qu'un projet de loi, dressé cette fois et pour tout de bon par les Chambres elles-mêmes, va donner satisfaction à celui que le livre développe et qui se montre prêt à passer de la discussion économique dans les faits? Non! ce serait à coup sûr trop demander et trop se promettre, et l'auteur lui-même n'espère certainement pas un résultat si prochain. Mais ce qu'il est naturel de croire et juste d'affirmer, c'est que si la question monétaire n'est pas mûre encore, l'ouvrage de M. Th. Mannequin comptera aux premiers rangs parmi ceux qui lui auront fait faire les pas les mieux dirigés; qu'il prendra place au milieu des meilleures publications sur la matière; qu'il donne, dans cette importante lutte d'opinions diverses, une note originale et nécessaire, et qu'à n'en pas douter, personne, sans l'avoir lu, ne pourra désormais se flatter d'avoir une idée complète de la question monétaire.

VICTOR MODESTE.

HISTOIRE DE FLORENCE, par M. F.-T. PERRENS. Paris, 1877-1879.
Hachette, 4 vol. in-8.

Dans un rapide « Avant-propos », M. Perrens donne à la fois le plan de son volumineux ouvrage, dont le 4° volume sera suivi de plusieurs autres, et le curieux historique d'une œuvre qu'il a tour à tour prise, quittée, reprise, en cela guidé par les plus honorables scrupules. En effet, dès 1838, le Journal des savants avait annoncé, par la plume de M. Villemain, qu'un « homme d'Etat célèbre se reposait du ministère et de la tribune en écrivant l'histoire de Florence ». Il en fut de ce travail comme de la fameuse Pucelle de Chapelain, promise vingt ans d'avance; en 1855, M. Thiers caressait encore ce projet et disait à M. Perrens: Vous êtes jeune, attendez ! Mais bientôt ressaisi par la politique qui

finit par l'absorber presque jusqu'à la dernière heure, il y renonça et consacra ses suprêmes loisirs à des travaux de science et de philosophie. M. Perrens était libre ; il se mit ou plutôt il se remit à l'œuvre, et termina son Histoire de Florence dont les quatre volumes sont dès aujourd'hui publiés.

Il est admis, et à peu près incontestable, que le monde vise actuellement à la démocratie; il est assez naturel que les études se portent de préférence sur les modèles que l'histoire peut offrir de ce régime tant de fois victorieux, tant de fois comprimé. Florence présente, à cet égard, un type de gouvernement démocratique des plus complets, le seul longtemps vivace et prospère dans cette péninsule qui a compté en moins de cinq siècles le chiffre presque fabuleux de 7,000 révolutions, révoltes, émeutes ou esclandres de toute espèce.

Pour nous, si tant est que les peuples modernes doivent demander autre chose que des enseignements dans les leçons du passé, il est certain que la France républicaine ira moins chercher son idéal dans les lois austères de Sparte que dans les mœurs aimables d'Athènes et de Florence. L'histoire de cette république, la première entre les cent et une républiques italiennes du moyen âge, est donc un sujet heureusement choisi, presque d'à propos, et de nature à plaire à ceux qui préférent encore la vie de Platon et la gloire du Dante aux mœurs de Diogène et à la torche d'Erostrate.

M. Perrens nous montre très-judicieusement les débuts de Florence dans la sagesse, l'ordre et l'intelligence de ce peuple de marchands, qui, à l'instar des nautes Parisiens, arriva bientôt à se faire le centre et le foyer de la plus brillante civilisation. De bonne heure, il commune, « le commun car on ne pourrait traduire « la commune », devient ce que fut chez nous, en effet, la commune: une réunion, ou plutôt une fusion d'individus et d'intérêts groupés dans le même but et le même désir, la richesse et la grandeur de la cité. Ainsi en sera-t-il tant que Florence restera démocratique, c'est-à-dire ville libre ; avec les Médicis, elle deviendra résidence princière, autant dire ville morte. Sous ce principat, comme il arriva à Rome sous celui d'Auguste, comme en Gaule après la conquête romaine, le génie national et libre se réfugiera dans les lettres et dans les arts, laissant quelque temps encore son empreinte forte et virile; car, dans les pays soumis ou conquis, les pères regrettent et gémissent, les fils admirent et respectent la tradition si fraîche

encore.

Dans chacun de ses volumes, M. Perrens a pris à tâche de séparer complètement du récit la discussion, réléguant celle-ci dans les appendices ou pièces justificatives. Il entre fréquemment dans force détails qui complètent ses exposés, et sans lesquels ceux-ci seraient eux-mêmes incomplets. A ceux qui critiquent cette « minutie », le président Hénault,

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