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DES

ÉCONOMISTES

LES SOCIALISTES CLÉRICAUX

LE PÈRE FÉLIX ET M. DE MUN.

I

Lorsque la révolution de Février découvrit au gros du public l'existence politique du socialisme, la nation presque entière fut prise d'une panique sans exemple dans l'histoire. Les propriétaires et capitalistes surtout montrèrent un véritable effarement, comme s'ils s'étaient trouvés à la veille de voir supprimer, par un décret dictatorial, la propriété et la famille. Dans cet état étrange des esprits, les contes les plus ridicules trouvèrent créance : tous les utopistes se crurent à la veille de réaliser leurs rêves et le dirent bien haut, tandis que les habiles, feignant une peur qu'ils étaient loin d'éprouver, se présentèrent comme les sauveurs des institutions menacées.

Entre les habiles, les meneurs du parti clérical furent les plus habiles. Poursuivant le système de calomnie qu'ils n'avaient cessé de pratiquer contre la Révolution française, ils s'écrièrent que le socialisme était le dernier mot, la conséquence logique de cette révolution, à laquelle on ne pourrait résister, si l'on n'élevait au plus vite et par tous les moyens une dictature cléricale. Vainement la population de Paris avait eu la naïveté de faire bénir par le clergé les arbres de la liberté et d'applaudir toutes les manifestations des catholiques libéraux existant à cette époque : M. de Falloux et les siens mettaient en quelque sorte ce peuple en demeure de s'insurger, sous la direction de l'état-major préparé par le bonapartisme pour les journées de juin. Plus tard, le clergé applaudit au grand assassinat du 2 décembre et l'archevêque qui était allé en novembre complimenter et bénir les associations ouvrières, chantait en décembre un te Deum en l'honneur de celui qui, dans ses 4a SÉRIE, T. VII. 15 août 1879.

12

listes de proscription, avait réservé une large place à ces associations.

Alors, et pendant tout l'Empire, il fut convenu que la société ne pouvait être préservée du croquemitaine socialiste qu'en s'agenouillant bien bas devant les prêtres catholiques, sans sourciller ni dire un mot, même lorsqu'ils ajoutaient à l'ancienne religion l'immaculée conception, le syllabus et l'infaillibilité du pape. C'est pendant cette période que nous avons vu la mode pousser aux pratiques catholiques maints voltairiens endurcis, qui ne voulaient pas se séparer du troupeau des riches et qui feignaient de croire, comme les gens de leur condition, que quiconque avait une fortune à conserver devait se joindre aux adversaires radicaux du socialisme et s'enrôler sous la bannière cléricale. Nous sommes encore sous l'empire de ce courant d'opinion; mais les meneurs du parti clérical ont commencé depuis quelque temps une évolution qui pourra le modifier et qui mérite d'être signalée. Cette évolution se manifeste par l'œuvre des cercles catholiques et les manifestes prononcés en leur nom devant les évêques par M. le comte de Mun. On en trouve la formule oratoire dans six conférences du R. P. Félix, de la Compagnie de Jésus, qui viennent d'être publiées en un volume digne d'attention (1).

Ce volume est écrit en forme oratoire, ce qui en exclut la précision: il est écrit par un jésuite, ce qui nous avertit de suivre avec attention la filiation des idées qu'il expose, de rechercher si les mots n'y sont pas détournés de leur sens et si des notions très-distinctes n'y sont pas confondues sous les mêmes formules.

Dans les trois premières conférences, le P. Félix décrit, à sa façon, le socialisme comme idée, comme passion et comme action; puis il entreprend de le réfuter en lui imputant une erreur radicale au point de départ, une erreur au point d'arrivée et une généalogie d'ensemble.

Dès les premières pages on s'aperçoit que le prédicateur, au lieu de décrire les faits existants et de préciser avec soin, décrit une conception artificielle et purement subjective. Loin de définir l'idée socialiste et de la distinguer des idées différentes ou opposées qui se sont manifestées en même temps, le P. Félix se borne à dire: « Ce fut d'abord l'idée de réforme, puis l'idée de la transformation, et aujourd'hui, c'est l'idée de la destruction sociale. »- Cette formule, il faut en convenir, n'est guère propre à nous éclairer.

En effet, si socialisme et réforme sont mots synonymes, toute

(1) LE SOCIALISME DEVANT LA SOCIÉTÉ, par le R. P. FÉLIX, de la Compagnie de Jésus. Paris; Roger et Charnoviz, éditeurs. Un vol. in-8.