de toutes choses, dans l'ordre social, comme dans l'ordre politique, accomplie au nom du bien public, pour la satisfaction d'un système de philosophie ou d'une école économique... Le principe d'autorité qu'elle a mis à néant... tout ce qui avait un corps, tout ce qui participait de cette autorité, tout ce qui représentait un organe hiérarchique s'écroule en un jour et une large plaie s'ouvre au cœur du pays, la plaie de l'individualisme et de l'isolement... Le libéralisme a fait la révolution dans l'ordre religieux, politique et économique il l'a faite à son profit et, après l'avoir déchaînée, il a prétendu lui mettre des bornes et la contenir à la limite de son ambition; mais il a compté sans la logique du peuple... >> I y a beaucoup de déclamation dans tout cela; mais au moins les faits, mal appréciés, à notre avis, ne sont pas travestis. Il est vrai que la révolution a été inspirée par une école économique lorsqu'elle a renversé ce que ses adversaires appellent le principe d'autorité, c'est-à-dire la domination héréditaire de certaines familles sur d'autres familles; il est vrai qu'en proclamant la liberté du travail elle a abandonné à chaque famille le soin de sa destinée en dehors de toute autre hiérarchie que celle qui résulte du concours ou, comme on dit, de la concurrence. Mais il n'est pas vrai qu'elle ait « tout promis» au peuple; elle lui a promis seulement de mettre fin à l'oppression sous laquelle le tenaient ce que M. de Mun appelle « les organes hiérarchiques» et elle y a mis fin. C'est bien le libéralisme ou le désir de liberté qui a fait la révolution; seulement il est difficile de comprendre comment, n'étant ni une personne ni une collection de personnes, il l'aurait faite à son profit. Cette dernière expression est empruntée aux anciens socialistes, à ceux qu'excommunie le P. Félix; seulement là ou M. de Mun dit « le libéralisme » ils disaient : « la bourgeoisie. » Ils parlaient plus correctement et plus clairement. En réalité, quel est le but proposé par M. de Mun aux cercles catholiques? Il ne le dit pas, au moins en public. Evidemment il ne va pas jusqu'à l'idéal du P. Félix: il est trop difficile de faire. accepter aux gens de notre temps le régime du communisme théocratique, c'est-à-dire un mouvement en arrière de quarante ou cinquante siècles; mais on peut leur proposer le régime renversé par la révolution, la corporation ouvrière. M. de Mun semble y penser quand il dit : « Les mœurs chrétiennes sont bannies de l'atelier, la simplicité de relations qui en était un fruit naturel disparaît à leur suite; l'ouvrier n'a plus sa place au foyer commun, ce n'est plus qu'un étranger de passage, inconnu du patron qui l'emploie... L'intérêt individuel domine désormais la société tout entière...» En effet, l'ouvrier n'a plus de place au foyer commun; à ce foyer du patron, héritier des pouvoirs du père de famille romain, parce qu'il n'y a plus de foyer commun pour des adultes en tutelle. L'ouvrier a son foyer à lui; il est père de famille, comme son patron et responsable au même titre de la satisfaction de ses besoins et de ceux de sa famille. Il nous semble que sa dignité n'a rien perdu à ce changement d'état et qu'elle diminuerait étrangement si l'ouvrier pouvait redevenir ce compagnon de l'ancien régime, incapable de s'établir pour son compte et même de contracter mariage afin de porter, lui aussi, la responsabilité d'une famille. Tout ce socialisme clérical ne nous paraît pas bien redoutable. Cependant il est digne d'être signalé à plusieurs titres et surtout parce qu'il atteste l'affinité naturelle et nécessaire des régimes d'autorité économique, que l'on nous présentait comme un progrès, un développement de la révolution et le christianisme dans sa forme la plus autoritaire. Lorsque nous avions affirmé cette affinité, au nom de l'histoire, on s'était récrié de part et d'autre : Comment pouvait-on être d'accord? Ne se maudissait-on pas réciproquement? Oui sans doute, comme des frères ennemis qui, tout ennemis qu'ils sont, n'en sont pas moins frères et dont la communauté d'origine ne peut manquer d'apparaître. Il y a dans l'évolution cléricale que nous signalons quelque chose qui doit étrangement surprendre les bons bourgeois voltairiens qui, depuis 1848, se sont faits dévots dans l'espoir de mieux sauvegarder par ce moyen, non le principe de la propriété individuelle, dont ils se soucient peu, mais leurs biens. Ces biens, leurs sauveurs leur en demandent aujourd'hui une large part, afin de pouvoir se rendre maîtres du reste. Nos pieux bourgeois ont imité le personnage qui se mettait à l'abri de la pluie en plongeant dans la rivière. Enfin il importe de relever de temps en temps ces attaques violentes dirigées par des conspirateurs contre la révolution et la société moderne. A qui en ont-ils quand ils déclament contre la concurrence et le libéralisme? A la liberté du travail, déjà diminuée par les lois de tant de gouvernements réactionnaires qui se sont succédé depuis le commencement du siècle. Ce qu'ils ne peuvent supporter, c'est que chaque individu soit libre de se faire, par son effort propre, et sous sa responsabilité personnelle, sa destinée, sans rencontrer d'autres obstacles que ceux qui, naissant de la nature des choses, ne peuvent être supprimés par aucune loi. Ce qu'on décrie dans les cercles catholiques, c'est ce régime qui place, autant qu'il est possible, chaque individu dans les conditions où se trouve le genre humain sur la planète, conditions qu'on ne peut rendre meilleures pour les uns sans les rendre pires pour les autres. Ce que l'on cherche, ce sont les moyens de soumettre le personnel de l'industrie à la domination de gens étrangers à l'industrie. Il est facile d'insulter la révolution en disant qu'elle a promis le bonheur aux hommes, parce que les hommes ne sont ni ne sauraient être heureux; il est facile de montrer et d'exagérer les désordres partiels et les souffrances nés de l'exercice de la liberté, des progrès même de l'industrie et de la population; il est facile de faire un tableau plus que flatté de cet ancien régime que n'a connu aucun des hommes qui vivent aujourd'hui, et si on laissait passer sans contradiction ces assertions contraires à la vérité, il ne serait pas impossible qu'elles finissent par aboutir à des actes punissables. Il ne faut donc pas se lasser de dire et de prouver que ces assertions sont fausses. Quoi! l'on oserait encore vanter les mérites de l'ancien régime, lorsque tous les hommes qui y avaient vécu et grandi l'ont renversé avec une ardeur d'enthousiasme dont il n'y a pas d'autre exemple dans l'histoire! A qui persuadera-t-on que ces hommes, ennemis de l'ancien régime, ne le connaissaient pas mieux que nous? Se seraient-ils soulevés avec un tel ensemble contre toutes les autorités constituées, s'ils n'avaient senti cruellement et pendant plusieurs générations les méfaits de ces autorités? Le personnel de l'industrie notamment, enchaîné par les corporations et les règlements qui ne permettaient aucune amélioration ni dans les produits ni dans les procédés du travail, pouvait-il ne pas bénir la liberté, qui lui permettait d'agir et d'enfanter ce géant, qui est l'industrie moderne? Et quand on accuse la société actuelle sous toutes les formes est-on plus juste? Certes nous ne la considérons pas comme parfaite et nous avons plus d'une fois été les premiers à signaler ses imperfections. Mais comment ne pas reconnaître qu'elle est à tous égards très-supérieure à celle de l'ancien régime? Nul ne contestera sans doute que la France actuelle ne soit beaucoup plus peuplée et plus riche que celle d'il y a cent ans. C'est quelque chose d'avoir fait vivre un plus grand nombre d'hommes qu'autrefois et dans des conditions matérielles meilleures qu'autrefois en présence d'un tel fait, ceux qui ont étudié les conditions générales de la vie dans les sociétés humaines pourraient conclure sans autre examen. Mais ce n'est pas tout et l'on peut soutenir hardiment que les hommes de la société actuelle, tout imparfaits qu'ils soient, ont de meilleures mœurs que leurs aïeux, qu'ils sont animés d'un sentiment plus vif de la responsabilité et de la dignité personnelle, qu'ils sont tout aussi prompts au sacrifice que l'ont été leurs devanciers. On les accuse de vouloir s'enrichir; mais les hommes de l'ancien régime ne le voulaient-ils pas avec autant d'ardeur? Oui, sans aucun doute, et mille témoignages l'attestent. Seulement les hommes de l'ancien régime, entravés par vingt autorités établies au-dessus d'eux, ne pouvaient ni s'enrichir autant, ni s'enrichir par les mêmes moyens. Aujourd'hui un travail intelligent et assidu suffit, autrefois il ne suffisait pas et n'était pas même toujours le meilleur moyen de faire fortune. D'ailleurs, sous la classification rigide de l'ancien régime, l'espérance était interdite au grand nombre, tandis que sous le régime de la liberté du travail, chacun espère ou peut espérer, parce que l'avancement n'est fermé pour personne. De là vient que l'effort vers la richesse et le bien-être est infiniment plus grand aujourd'hui qu'autrefois. Tous ces hommes que l'ancien régime tenait en tutelle, comme des enfants, vivaient avec l'insouciance des enfants; ils n'avaient pas, comme nos contemporains, la gravité qui résulte du sentiment de la responsabilité, ni la préoccupation que cause la poursuite d'un dessein soutenu. Valaient-ils mieux pour cela? Evidemment ils valaient moins. N'insistons pas sur ces considérations qui devraient être passées depuis longtemps à l'état de lieu commun et qu'on n'accepte pourtant qu'avec quelque répugnance. Confions-nous dans la résistance inconsciente qu'oppose à toute entreprise socialiste la constitution même de la société. Ayons confiance aussi dans le caractère étroit du socialisme clérical, dans les contradictions et les sophismes qu'il est obligé d'accumuler pour se présenter en public. Contentons. nous de rappeler la vérité pour empêcher que la prescription s'établisse contre elle. COURCELLE-SENEUIL. LA LOI ALLEMANDE CONTRE LES SOCIALISTES ET LA LOI FRANÇAISE CONTRE L'ASSOCIATION INTERNATIONALE ( SOMMAIRE: Similitude apparente entre la loi française contre l'Internationale et la loi allemande contre les socialistes. En réalité les deux lois diffèrent. -Examen de la loi française; sa teneur, les causes qui l'ont fait rendre, ses suites. La loi allemande, son texte; exécution qu'elle reçoit. — Ce n'est point par une répression violente que l'on peut combattre les doctrines socialistes. Véritable remède indiqué au Parlement allemand par un député de Mulhouse.-M. de Bismarck cite l'exemple de la France afin de démontrer que l'on peut par force détruire les doctrines socialistes. Erreur de ses alligations. C'est l'expérience que l'on a fait de ces doctrines et leur mauvais succès qui ont changé les idées. En Allemagne cette expérience n'a pas été faite. - Vrai caractère du socialisme allemand; c'est plutôt une ligue du mécontentement qu'un système arrêté. Effet probable de la loi; elle détruira l'organisation du parti socialiste sans altérer ce qui fait sa force et son fonds. Lorsque fut votée en 1872 la loi contre l'Association internationale des travailleurs, nombre de gens étaient convaincus que la puissance qu'ils attribuaient à cette Société ne menaçait pas la France seulement, mais les principaux États de l'Europe, et plusieurs journaux, qui s'étaient fait les organes de ces plaintes, parlaient volontiers d'une sorte d'alliance qu'allaient former dans ce but les gouvernements menacés. La politique cette fois n'était. plus en jeu, il s'agissait, pour ces divers États, de conjurer un péril qui, dans tous également, mettait en question les principes sur lesquels repose par toute l'Europe l'organisation politique et économique des sociétés. L'alliance annoncée n'eut pas lieu, et le silence se faisait déjà sur les menées socialistes lorsque les nouvelles de Russie et d'Allemagne sont venues réveiller les anciennes terreurs. En Russie, la police redouble une vigilance qui s'est souvent trouvée en défaut. En Allemagne, le Reichstag vient de voter une loi contre les so 1) La loi française est du 23 mars 1872, la loi allemande du 23 octobre 1878. 4o SÉRIE, T. VII. 15 août 1879. - 13 |