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et la transformation incessante des tarifs à aucun contrôle gouvernemental. Ne ferait-on pas cesser ce doute, ne satisferait-on pas la préoccupation publique, ne couronnerait-on pas dignement les réformes si bien engagées par le ministère des travaux publics, en discernant, dans le travail des tarifs, le droit, de la sollicitation intéressée, et en faisant la part de chacun? Aux compagnies, organisations intermédiaires entre les services privés et les services publics, le soin de pourvoir aux âpres sollicitations des concurrences commerciales; à l'État, défenseur de l'intérêt général, le devoir de prévenir et de réprimer par l'action, non-seulement administrative, mais judiciaire, de son contrôle, les atteintes au droit et les collusions coupables, et de réaliser ainsi, autant que le permettent l'infirmité humaine et la nature évasive et compliquée des tarifs, l'harmonie des intérêts par la justice.

J. PAIXHANS.

LA LIBERTÉ COMMERCIALE

AVANT ET APRÈS LA RÉVOLUTION

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SOMMAIRE: Le libre échange dans l'ancienne France. Les États de Tours et le droit de marchander par terre et par mer.- Le protectionnisme du Languedoc en 1483. Les traités de commerce antérieurs et la Renaissance: Venise,

La

Aragon, Angleterre, etc. - Doléances aux Etats-d'Orléans : le Tiers et la doctrine de réciprocité. Les Etats de Blois et l'anarchie économique. pratique d'Henri IV et la théorie de Sully. Où vint aboutir le protectionLa science au XVIIe siècle. - Les traités de commerce

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nisme de Colbert. avec l'Angleterre et les Etats-Unis. Violences et affirmations libérales de la Convention.- Napoléon Ier et la prohibition du coton.— M. de Martignac et le libre-échange. Soyez forts, je vous soutiendrai. Les traités de 1860.

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Qu'il faut se souvenir des traditions nationales.

Une des conséquences économiques les plus fâcheuses de la guerre avec l'Allemagne, est certainement le retard apporté au renouvellement des traités de commerce. Ils sont arrivés successivement à échéance, mais les soins à donner à une sorte de reconstitution de notre pays, le temps consacré aux luttes politiques ont empêché la conclusion de conventions nouvelles. Dans la pensée des inspirateurs des traités de 1860, il s'agissait alors d'une première étape dans les voies de la liberté; après le succès qu'on espérait,

on devait faire disparaître définitivement les barrières s'opposant à la libre extension des relations commerciales entre les nations. Le succès est venu, indiscutable, éclatant comme le soleil. Et pourtant sous le régime républicain il y a, dans certaines sphères politiques, comme une hésitation à reconnaître, à admirer cette confirmation de la science par les données de la pratique.

Les grandes vérités n'ont jamais triomphé qu'après des luttes prolongées, après des batailles gagnées et des batailles perdues. Il peut être utile de le rappeler au moment présent; de rappeler que le libre-échange est autre chose qu'une idée spéculative. Il a été proclamé dans l'ancienne France par les Etats généraux, il a triomphé sous l'ancien régime, et la longe éclipse subie par lui de 1793 à 1860 n'a eu d'autre origine que les violences internationales qui ont accompagné la Révolution. Le second triomphe fut précédé d'une lutte continue comme le premier. Ce sont ces phases diverses et surtout celles peu connues qui se développèrent au sein. des Etats généraux qu'il peut être utile de retracer ici à la veille de solennels débats au sein du Parlement sur notre régime commercial avec l'étranger.

I

Les premiers vœux des Etats généraux ayant trait au libre échange datent de 1483. A ce moment on est à la fin du moyen âge et sur le seuil de l'ère moderne. Il n'est pas douteux que le souffle de régénération qui se faisait sentir alors et créa la renaissance ne fut pour beaucoup dans le mouvement d'opinion qui amena les vœux formulés aux Etats de Tours réunis au lendemain de la mort de Louis XI. Le Tiers consigna dans ses cahiers ce qui suit: «Le commerce est cause et moyen de faire venir richesse et abondance de tous biens en tous royaumes, et sans lui la chose publique ne se peut bonnement entretenir. Semble en conséquence,aux gens des dits Etats que le cours de la marchandise doit être entretenu franchement et libérallement partout en ce royaume, et qu'il soit loisible à tous marchans de pouvoir marchander, tant hors le royaume, ès pays non contraires au roi, que dedans par mer et par terre. »

Voilà la doctrine libérale clairement exprimée. Le Tiers comprend dans ses vœux l'abolition non-seulement des douanes intérieures instituées la plupart, à l'origine, entre les fiefs qui étaient des sortes de royaumes quasi indépendants, mais encore les douanes extérieures séparant la France des autres Etats. La liberté commerciale semble à ce point nécessaire aux hommes du

Tiers qu'ils n'en font pas une question d'intérêt personnel, mais pour ainsi dire d'intérêt social: «Sans elle la chose publique ne se peut bonnement entretenir. » En même temps que la doctrine était si bien comprise, deux partis existaient, et déjà libre-échangistes et protectionnistes se mesuraient au sein de la représentation nationale. Le Languedoc jouait le rôle rempli depuis par la Normandie. Ecoutons ses doléances. Il voulait que « toutes espiceries, drogues et autres denrées, qui viennent du levant ne puissent entrer ne estre vendues ne distribuées en ce royaume sinon tant seulement celles qui seront mises et entrées par les ports et passages maritimes du dit royaume, et ce sous peine de confiscation des dites denrées qui seront trouvées estre mises où portées au contraire. » On voit que les commerçants du Languedoc visaient les étrangers qui introduisaient en France des marchandises par le nord et les écoulaient aux foires de la Champagne. La royauté se trouvait donc en présence de deux demandes bien différentes; la première tendait à une réforme générale, trop considérable pour le temps, la seconde concernait un intérêt particulier et elle avait grande chance de réussir.

On sait quelle situation la royauté avait faite à la France au point de vue commercial. Aussitôt que la lutte avait été possible entre les descendants de Hugues Capet et les grands vassaux, l'envahissement lent et patient du pouvoir royal s'était étendu aux choses du monde économique comme au reste. Louis IX dans le but de modérer l'intensité des famines avait empêché la sortie des grains et des vivres en général. Philippe-le-Bel et Philippe-le-Long allèrent plus loin, ils établirent la prohibition absolue pour toute espèce de produits; mais des nécessités invincibles firent que les souverains d'alors, de même que plusieurs siècles plus tard Napoléon Ier furent contraints de violer leurs propres ordonnances; Ja prohibition est incompatible avec l'existence des sociétés. Napoléon Ier donnait des licences; pour importer, les Valois sous le nom de haut passage de rêve, d'imposition foraine permirent l'exportation. Ces licences se vendaient suivant un tarif; elles étaient délivrées au nom de la Chambre des comptes. Il y avait là une source de bénéfices considérables. La royauté prêta plus volontiers l'oreille aux vœux restrictifs et spéciaux de ses sujets du Languedoc qu'à la demande générale du Tiers Etat tout entier. On continua du reste à ne pouvoir marchander hors le royaume qu'en payant un droit de rêve ou de haut passage, exceptionnellement accordé, et les denrées du Levant ne purent désormais entrer que par les ports du Languedoc, cette province ayant affirmé que « la marchandise estait sa nourrice. » En somme les Etats de Tours, s'ils

avaient eu pour résultat moral la première affirmation officielle en France de libre-échange, n'en avaient pas moins amené une mesure rétrograde considérable. On avait jusqu'alors apporté des restrictions à l'exportation; et Charles VIII s'attaquait à l'importation. L'ordonnance royale rendue dès le mois de mars 1483, aussitôt la séparation des Etats, en donnant gain de cause aux députés du Languedoc reproduit exactement les termes de leurs cahiers. Dans tous les cas des idées libérales ont été émises, la tradition va se former et nous mènera d'étape en étape, de cette première défaite sous Charles VIII, à la victoire complète qui illustrera la période heureuse du règne de Louis XVI.

Les longues guerres soutenues par la France en Italie, furent sans nul doute les causes qui empêchèrent le pouvoir royal d'étudier et d'appliquer dans la mesure possible alors, les idées a doptées désormais par la nation. Cependant il faut dire que Louis XII se préoccupa de ce qu'on a appelé depuis le libre-échange à l'intérieur. Il supprima les péages établis depuis cent ans par les seigneurs sans autorisation royale. Il fit réviser tous les titres et rendit la juridiction du Parlement supérieure à toute autre en pareille matière. On s'efforça d'empêcher la création de péages nouveaux. Il faut remarquer encore que dans les ordonnances relatives à ces derniers objets, Louis XII emploie parfois les termes mêmes qu'on trouve dans les cahiers produits par le Tiers aux Etats de Tours. Il n'est pas douteux que le mouvement intellectuel de la renaissance, faisant passer la théorie dans les faits, aurait amené de nombreuses modifications aux relations commerciales entre les peuples si la réforme de l'Eglise avait pu s'opérer pacifiquement. Vers la fin du moyen âge de nombreux traités de commerce avaient eu lieu entre la France et divers pays, il n'est pas inutile de les énumérer avec l'Aragon, en 1415, 1454, 1498; avec le Danemark en 1456 et 1498; avec l'Angleterre en 1475, 1477, 1447; avec Venise en 1499. Dans les premières années du vXIe siècle on avail passé d'autres traités avec le Danemarck, l'Angleterre, Venise; des conventions avaient eu lieu encore avec la Pologne, la Navarre, l'Espagne. On sait combien étaient rares sous l'ancienne monarchie ces réunions de la nation autour du souverain que l'on nommait: Etats généraux. Plus fréquentes, elles eussent amené les progrès économiques aussi bien que les progrès politiques. Il nous faut arriver aux Etats réunis à Orléans en 1560 pour retrouver le Tiers faisant de nouveau entendre sa voix et demandant qu'il fût permis d'échanger plus librement avec les autres nations les produits de l'agriculture et de l'industrie de la France. Voici quel était à ce

moment l'état un peu confus de l'opinion; nous laissons parler les cahiers.

« Les dits du Tiers Etat remontrent: que la marchandise a été cidevant favorisée, comme non-seulement utile, mais nécessaire à ce royaume, pour transporter ce qui est du crû et manufacture du pays, et tirer l'or et l'argent de l'étranger; le seul moyen pour enrichir la France en laquelle il n'y a ni minières d'or et d'argent. Toutes fois est maintenant grandement foulée, au moyen des impositions et subsides que l'on a mis sur toutes sortes de marchandises, ce qui empêche le commerce et trafic que les marchandises de ce royaume avaient accoutumé de faire; parce que des dites impositions, les étrangers ne paient aucune chose, au moyen des lettres qu'ils ont ci-devant obtenues du dit seigneur (le roi) et néanmoins les sujets en payent; et par ce moyen les étrangers emportent le profit que les dits marchands français doivent avoir. >>

On voit que le Tiers ne comprenait pas encore que, si avec l'or on peut obtenir toutes sortes de marchandises, le même but est tout aussi bien et mieux atteint en échangeant des produits contre des produits. Le commerce était accablé d'impôts à l'intérieur et s'il réclamait contre les exemptions accordées à l'étranger, c'était pour faire disparaître une inégalité dangereuse pour l'intérêt national. Les inconvénients de la fiscalité que l'on rencontrait à l'intérieur du royaume et au delà, quand on voulait en sortir, faisaient suffisamment désirer la disparition des entraves. On voulait d'abord l'abolition des droits de sortie. « Qu'il soit loisible, disaient les cahiers, pour conduire en pays étranger le tout, tant par mer, terre qu'eaux douces sans pour ce, être contraint de payer aucuns subsides et impositions. » Traverser la frontiere française sans payer d'impositions entre les mains des gens du roi c'était un grand point, mais de l'autre côté de la frontière le fisc étranger guettait le marchand. En présence de cette double exigence, le sentiment de la réciprocité se faisait sentir et l'on comprenait qu'il fallait la liberté pour soi-même comme pour autrui. Les députés demandaient au roi que : « par ses embassadeurs il fit prier les princes étrangers qu'au regnicole fût donnée pareille liberté que les étrangers ont en France. Ces vœux sont dignes de remarque, ils indiquent que le sentiment de la réciprocité industrielle et commerciale pénétrait dans les esprits par le fait même de la nécessité. Nous allons le voir bientôt arriver à l'état de conception philosophique et religieuse. Un grand homme l'exprimera dans un langage élevé, mais avant cela la France doit traverser près d'un demisiècle de calamités.

Les Etats généraux d'Orléans se séparent au moment où la con

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