Page images
PDF
EPUB

tifique, c'est cependant de puiser directement aux sources: autrement ce peut être une nomenclature, une compilation, faite avec plus ou moins de conscience et d'habileté, mais ce n'est point un dictionnaire dans le vrai sens de ce terme, c'est-à-dire la réunion, sous forme alphabétique, de toutes les données et de tous les faits, quelque nombreux qu'ils puissent être, qu'embrase une science ou un groupe de sciences. Dans son état d'élaboration actuelle, la géographie forme un corps dont les divers parties ne se séparent pas les unes des autres: la géographie proprement dite et la géographie usuelle, celle des intérêts et des affaires, ne vont point désormais sans l'histoire géographique et l'ethnologie. L'une suit pas à pas les mouvements des peuples, la formation des territoires, les changements politiques des Etats, tandis que l'autre s'attache à la description des diverses races répandues sur le globe, de leurs caractères physiques, de leurs aptitudes morales, de leurs mœurs, de leurs coutumes et de leurs usages. Il y encore la géographie économique, dont l'existence était à peine soupçonnée il n'y a pas bien longtemps encore, mais qu'après les mémorables expositions de 1852, 1867, 1873 et 1878, il n'est plus permis de négliger à cette heure.

Cette dernière remarque appartient à M. Vivien de Saint-Martin luimême, et de fait, il a toujours accordé dans ce qui a déjà paru de son Dictionnaire une attention particulière à cette branche de la géographie générale. Dans la partie ethnologique, il ne s'est pas contenté d'inscrire les peuples qui ont joué ou jouent encore un grand rôle historique dans le monde; il a également donné partout une nomenclature développée des peuples dits sauvages ou demi-civilisés et des tribus entre lesquelles ils se divisent. La géographie d'étude, que tous les dictionnaires antérieurs traitaient fort mal, quand ils ne l'omettaient pas tout à fait, occupe donc une grande place ici, et la même pensée a inspiré une innovation qui sera fort appréciée, croyons-nous, à savoir l'indication des sources à consulter, au bas des articles généraux et même de certains articles particuliers. Les premiers de ces articles tiennent dans le Dictionnaire un espace relativement considérable et cette circonstance corrige, dans la mesure du possible, l'inconvénient des morcellements. Ceux que l'ordre alphabétique a rangé dans les livraisons déjà parues, Afrique, Angleterre, Asie, Australie, Austro-Hongrie, Brésil, Canada, Chili, etc., etc., sont tout simplement des chefsd'œuvre monographiques, et chacun d'eux publié isolément, dans un format ordinaire, constituerait une compendieuse notice sur chacun de ces différents pays.

Nous ne manquions pas moins d'un bon atlas universel que d'un véritable dictionnaire géographique. M. Vivien de Saint-Martin a entrepris l'un aussi bien que l'autre. C'était, pour se servir de ses expressions mêmes, un grand honneur, mais aussi une lourde responsabilité, et à

l'âge déjà avancé où il est parvenu, cette responsabilité bien d'autres à sa place auraient hésité à l'assumer. Qu'on songe, en effet, à ce que présente d'écrasant, au seul point de vue matériel, la construction de 110 cartes, car l'Atlas universel n'en aura pas moins! Qu'on songe encore à l'immense quantité de matériaux dont un pareil labeur exige la réunion, la comparaison et la coordination! A la vérité, les divers Etats de l'Europe, sauf la Turquie, de même que plusieurs contrées étrangères où la civilisation et l'influence européennes ont pénétré, possèdent aujourd'hui leurs grandes cartes topographiques, et ici le travail a été surtout une affaire de rédaction, dont le mérite consiste principalement dans le choix des indications, joint à l'exactitude du dessinateur et à l'élégance du burin. Mais, pour la plupart des contrées situées hors de l'Europe, tout ce qu'elles offrent, ce sont des descriptions et des cartes partielles, des itinéraires de voyageurs, des déterminations astronomiques, et la part d'une critique difficile devient prépondérante. Il faut trier ces données et les discuter. La géographie historique, enfin, exigeait la concentration et la comparaison d'une foule de recherches éparses, d'investigations et de découvertes. Au siècle dernier, d'Anville en avait défriché avec une sagacité profonde le champ tout entier; mais depuis notre grand géographe ce champ s'est singulièrement transformé et agrandi. De son temps, en effet, les hiéroglyphes égyptiens restaient muets; ni les textes sanscrits de l'Inde, ni les écritures cunéiformes de la Babylonie n'avaient parlé. La géographie biblique n'était pas entièrement fixée, et la Grèce, l'Italie, la Gaule réservaient encore les plus abondantes moissons aux numismates, aux épigraphistes et aux archéologues.

Ce n'était pas sous le seul rapport de l'élaboration scientifique, c'était aussi sous le rapport de leur exécution matérielle, qu'en cartagrophie nous nous étions laissés tout à fait dépasser par l'Allemagne. Avec M. Vivien de Saint-Martin et M. Collin, l'éminent artiste qui a exécuté ou dirigé la gravure de l'Atlas, nous reprenons aujourd'hui nos distances, nous relevons « notre vieux drapeau géographique », nous reprenons le rang dont des causes étrangères à la science nous avaient fait déchoir. L'Atlas tenait une place importante dans l'ensemble de publications géographiques qui valurent à la maison Hachette la première. mention d'honneur, lors de l'Exposition géographique de 1875, et à en juger par les cartes déjà livrées au public, ou exposées en épreuves dans diverses circonstances, on peut dire que jamais la gravure topographique, à l'échelle d'un atlas usuel, n'avait atteint ce degré de perfection artistique.

A.-F. DE FONTPERTUIS.

L'ANNÉE GÉOGRAPHIQUE, par MM. C. MAUNOIR ET DUVEYRIER; tome II de la 2o série. Paris, Hachette, 1879.

Il y a trois ans que l'Année géographique, parvenue à son treizième volume, cessait de paraître. Absorbé par les immenses travaux par lesquels il couronne une vie toute consacrée à la science,--le Dictionnaire de géographie moderne, l'Atlas universel et le Dictionnaire de Géographie ancienne, M. Vivien de Saint-Martin se voyait obligé de ne pas pousser plus avant une œuvre qu'il avait conçue lui-même et qu'il avait menée à bonne fin pendant quatorze ans et qui lui avait conquis une belle place parmi les premiers géographes de ce temps. Ce n'était pas, pour employer ses expressions mêmes, sans un profond regret et un véritable sentiment de tristesse qu'il prenait cette résolution, et il exprimait l'espoir que quelque nouvel athlète, avec sinon plus de zèle, du moins avec plus de jeunesse et de loisir, » reprendrait la tâche que personnellement il lui était impossible de continuer.

Cet appel a été entendu, ce vœu exaucé, et la deuxième série de l'Année géographique a été inaugurée par MM.C. Maunoir et H. Duveyrier, dont les noms sont une garantie pour le public de plus en plus nombreux qui s'intéresse aux choses géographiques, que ce recueil continuera fidèlement, sous ses nouveaux rédacteurs, l'esprit et la tradition qui l'avaient placé si haut sous son fondateur lui-même.

Nous avons sous les yeux le tome II de cette nouvelle série, qui représente la seizième année de la collection; il s'applique au mouvement géographique de l'année 1877 et forme un gros volume in-18 de près de 600 pages, d'un caractère très-compacte. Comme d'habitude, les explorations africaines y tiennent une grande place et ce n'est que justice, car l'intérieur de ce vaste continent constitue toujours la plus grande des lacunes de la mappemonde, et les grandes découvertes qui ont été déjà faites, ou qui s'y poursuivent à cette heure même, n'intéressent pas seulement la géographie, elles concernent encore la philantrhopie et l'économie politique. L'Europe qui a si longtemps exploité et opprimé la race noire, lui doit bien, en compensation, de lui communiquer les premiers germes de sa régénération, et le commerce voit s'ouvrir devant ses efforts une carrière immense dans des pays que l'ancienne géographie assimilait à des déserts, mais que la nouvelle nous présente comme semée de grands lacs, sillonnée par de puissants cours d'eau. Abondante en terrains fertiles et renfermant dans son sous-sol d'immenses richesses en fer, en cuivre, en houilles, cette terra incognita est aujourd'hui entamée de toutes parts, au nord comme au sud, à l'ouest comme à l'est, et l'année 1877 a vu précisément l'Américain Stanley, émule et continuateur des Livingstone et des Cameron, traverser le continent africain de l'océan Indien à l'océan Atlantique et s'assurer 4 SÉRIE, T. VII. 15 août 1879.

21

que le Loualaba, dans lequel Livingstone avait cru voir, bien à tort et malgré les plus fortes présomptions physiques, la tête du Nil, n'était autre que la partie supérieure du Congo ou Zaire, l'un des trois grands cours d'eau africains, qui portera désormais sur nos cartes le nom du grand explorateur écossais. Depuis sa source la plus éloignée, qui est celle de la rivière Tchambézi jusqu'à son embouchure dans l'Atlantique, le Livingstone a un cours de 4,325 kilomètres, et son bassin, entièrement situé sous la zone équatoriale et tropicale, arrosé de pluies périodiques qui fertilisent les terres, offre une aire de 2,700,000 kilomètres carrés, c'est-à-dire qu'il a plus du double de l'étendue du bassin au Gange et plus de trois fois celle du bassin du Danube.

A la vérité, M. Stanley a trouvé cette longue ligne continue d'eau mouvante interceptée, sur une grande partie de son cours, par des cataractes et des rapides qui le privent actuellement de la majeure partie des avantages qu'il pourrait autrement offrir au commerce. Mais, vienne l'heure de la science européenne, cette science qui a creusé le canal de Suez et perforé le Mont-Cenis, et les obstacles qui embarrassent la navigation du Livingstone disparaîtront sans trop d'efforts. En attendant, M. Stanley est dans le vrai lorsqu'il affirme que sa plus grande découverte est celle d'un champ presque illimité qui attend les entreprises des nations de l'Europe et des Etats-Unis. Déjà les Anglais agitent des profits de colonisation pour l'Afrique équatoriale; ils parlent de relier par un système de tramways et de railways la côte du Zanguebar au lac Nyassa de Livingstone, et le Nyassa lui-même aux lacs Tanganyka, Victoria Nyanza et Albert Nyanza. Ces projets paraissent déjà sortis de la sphère de la spéculation pure, et nul doute que sous une forme ou sous une autre, à une époque plus ou moins rapprochée, ils n'entrent dans le domaine de la pratique.

Pendant que M. Stanley descendait le cours du Livingstone, M. l'enseigne de vaisseau Savorgnan de Brazza, accompagné de M. le docteur Ballay, médecin de la marine et du quartier-maître Hamon (1), attaquait l'Afrique intertropicale par l'Ogôoué, un des grands cours d'eau africains, qui débouche près de notre colonie du Gabon. Au moment où paraissait l'Année géographique pour 1877, on n'avait encore que des données partielles sur l'expédition. Aujourd'hui les intrépides voyageurs sont en France, et ils racontaient eux-mêmes, il y a quelques semaines, les émouvantes péripéties de leur voyage devant la Société de géographie de Paris. Ils n'ont pas réussi à remontor l'Ogôoué jusqu'à sa source; mais ils se sont assurés qu'au point où ils l'ont laissé il ne formait

(1) M. Marche, naturaliste, qui avait fait partie avec M. le marquis de Compiègne de la première expédition de l'Ogooué, partie avec eux. Mais sa mauvaise santé l'a contraint de revenir.

3

plus qu'un cours d'eau insignifiant et que partant, il ne pénétrait pas dans l'intérieur de l'Afrique et formait un demi-cercle concave et situé tout entier dans le repli qui entoure le golfe de Guinée. Mais ils sont restés trois ans en route, dont quinze mois passés sans aucune relation avec le monde civilisé, et le seul itinéraire de M. de Brazza comprend 1,300 kilomètres en pays inconnu. Ils ont souffert toutes les souffrances et lutté contre tous les dangers. C'en est bien assez pour que la France ne leur marchande ni sa reconnaissance, ni ses éloges. Ce n'est point à elle à diminuer les mérites de ses explorateurs: d'autres se chargent volontiers de ce soin, entre autres le capitaine Burton, qui ne se contente pas d'avoir pour son compte découvert le Tanganyka el qui mord ses successeurs, sans doute un peu par anglomanie.

A. F. DE FONTPERTUIS.

ANNUAIRE DE LÉGISLATION ÉTRANGÈRE, publié par la Société de législation comparée. Paris, COTILLON, 1878, 1 fort vol. in-8°.

Cet ouvrage, qui compte 900 pages, est l'œuvre de soixante-deux collaborateurs, magistrats, avocats, professeurs de droit, fonctionnaires de l'administration. Plusieurs d'entre eux sont étrangers et envoient leur travail du Brésil, de l'Espagne, de la Grèce, de la Hongrie, des PaysBas, du Portugal, de la Roumanie, de la Suisse et de la Turquie. On aperçoit immédiatement les garanties précieuses que donne ce grand nombre de collaborateurs au point de vue de la compétence et aussi au point de vue de la régularité d'une publication périodique.

L'Annuaire de 1878, fait sur le même plan que les précédents, comprend pour tous les pays de l'Europe et pour plusieurs Etats de l'Amérique du Nord et de l'Amérique du Sud une notice sur les travaux de la session parlementaire de 1877, suivie du texte des principales lois avec des commentaires qui les expliquent ou de l'analyse des lois qui paraissent avoir un intérêt moindre. Quatre cent soixante lois sont ainsi reproduites ou analysées. Elles touchent à toutes les branches du droit. On me permettra de faire remarquer que le droit public et administratif y occupe une grande place: je puis signaler notamment des lois sur les élections, sur l'instruction publique, sur l'organisation municipale, sur les travaux publics, les chemins de fer, les cours d'eau. La loi allemande sur les brevets d'invention a aussi un intérêt considérable.

Quant aux lois de l'Allemagne sur l'organisation judiciaire, sur la procédure civile et criminelle, qui sont des codes étendus, elles feront l'objet d'une publication spéciale.

La collection publiée par la Société de législation comparée peut rendre de grands services à un double point de vue. Il est très-utile de

« PreviousContinue »