Page images
PDF
EPUB

ments entraînaient de nouveaux frais de négociations, ce qu'en banque on appelle « agio ». Il en est résulté un accroissement de dette, qui a forcé les deux contractants à l'arrêter d'un commun accord, en fixant son amortissement au moyen d'annuités convenues entre les parties. Nous ne pouvons nous expliquer la dette envers le Crédit foncier que de cette manière, et, du reste, le reliquat de 17 millions en litige qu'on nous présente comme étant illé. galement perçu, représente assez l'escompte ou plutôt l'intérêt et la commission prélevés sur des renouvellements.

En somme, le Crédit foncier a agi en cette circonstance comme toute société financière aurait fait. Un établissement de crédit ne réalise de bénéfices qu'autant qu'il peut louer l'argent qu'il emprunte lui-même le plus cher possible. Quand on ne considère que l'intérêt ordinaire de l'argent, les frais paraissent peu de chose, mais quand il faut y ajouter 1/2 0/0 de commission, ou même 1/4 0/0, plus un escompte quand il s'opère des payements anticipés, et que ces menus frais, en apparence, s'appliquent à des centaines de millions, on peut se rendre compte de l'importance du bénéfice.

Quant aux frais qui incombent ou qui ont dû incomber au Crédit foncier dans la négociation des bons municipaux, ils se réduisent à peu de chose, relativement aux conditions dans lesquelles il a prêté son concours à la Ville. Cette dernière lui demandait de l'argent, et lui remettait en couverture des bons négociables, l'établissement de crédit lui remettait les fonds disponibles qu'il pouvait tenir de ses déposants, et elle couvrait ces derniers par la négociation des bons municipaux qu'il mettait immédiatement sur le marché. L'intérêt qu'il recevait de la Ville, il le payait aux porteurs de titres, il est vrai, mais il lui restait les frais de négociation et l'écart entre le prix des bons municipaux, lors de la remise par la Ville, et leur prix de vente sur le marché. Or, on sait combien les bons du Trésor et les bons municipaux ont été recherchés par l'épargne et les capitaux disponibles, il est donc certain que sur cette négociation le Crédit foncier a dû réaliser d'importants bénéfices. On nous objectera, non sans quelque raison, que la Ville émettant elle-même un emprunt ne peut, après la souscription publique, se livrer à des négociations pour élever la valeur de ses titres, spéculant ainsi sur son crédit, et, d'autre part, il n'est pas possible qu'une émission d'aussi bonnes valeurs que les obligations municipales ne soient pas assujetties aux fluctuations de la spéculation.

Nous comprenons cette objection, mais nous y répondons qu'au moyen de l'émission publique, ce sera le public qui bénéficiera le premier des fluctuations de cours, au lieu et place des intermé

diaires entre la Ville et lui, et il nous semble à cet égard que ce ne serait que justice, attendu que le public, devant au fond supporter toutes les charges résultant des emprunts, doit être le premier à profiter des avantages qui peuvent résulter de leur émission.

Telle est une des principales raisons qui devraient déterminer la Ville à s'adresser de préférence au public qu'à une société financière. Bien que nous ayons jusqu'ici envisagé la question générale au point de vue public, il nous reste à démontrer que le concours des établissements financiers aux émissions municipales, non seulement n'est pas gratuit, mais fait encore courir à la Ville une sorte de responsabilité en garantie, en cas de liquidation ou de faillite de l'établissement avec lequel elle se trouve engagée. Tout établissement de crédit, aussi prospère qu'il soit au jour où il traite une opération, est plus susceptible que toute entreprise commerciale ou industrielle de sombrer au milieu d'événements imprévus, parce que la base de ses opérations repose sur « l'aléa », sur la spéculation. Que ferait la Ville, si jamais un pareil sinistre arrivait avec tous les créanciers qui seraient porteurs de titres qu'elle aurait autorisé le susdit établissement à émettre en son nom? Elle serait dans une alternative terrible, il faudrait ou qu'elle refusât de rembourser les tiers-porteurs qui ne seraient pas ses créanciers directs, ou, pour maintenir la confiance à l'égard de son crédit, qu'elle les désintéressât intégralement, se substituant en leur nom créancière principale de l'actif de ladite société. Voilà ce que nous souhaitons ne jamais voir réaliser, mais qui cependant est dans les choses possibles. Malgré les objections que nous avons présentées contre l'intervention des sociétés financières dans les emprunts d'État (municipaux ou rentes), soit au point de vue de la spéculation au détriment du public, soit au point de vue de la sécurité que les sociétés sont impuissantes à garantir au delà d'un terme plus ou moins rapproché, nous devons reconnaître que le conseil municipal a paru séduit de la dernière proposition du Crédit foncier. Réduisant ses prétentions primitives, cet établissement, pour conserver son contrat avec la Ville, lui proposait à titre de concession une réduction de 2,061,570 francs sur les annuités sans prolongation, renonçait à l'indemnité de 1/2 0/0 en cas de remboursement anticipé, et enfin la question des 17 millions de commissions illégalement perçus suivant la Ville demeurait réservée; d'où on peut en inférer implicitement qu'ils feront retour à l'administration municipale.

Ainsi, pour conserver sa créance sur la Ville, en la transformant, le Crédit foncier abandonne sur l'ancien traité qui sera an

nulé par de nouvelles conventions établies sur la base des annuités :

1o Sur la totalité des remboursements annuels à titre de concession...... fr.

2o A titre d'indemnité, à raison de 1/2 0/0 en cas de remboursement anticipé.....

3o Restitution des droits de commission..

Total.....

57.723.960 »

1.415.000 » 17.000.000 >>

fr. 76.138.960 >

L'importance de cette réduction sur une créance aussi élevée, il est vrai, peut donner une mesure du bénéfice qu'a dû produire au Crédit foncier une opération de cette nature.

Nous disions plus haut que le conseil municipal, sans se prononcer, avait néanmoins paru accueillir favorablement cette proposition et aurait été assez enclin à accepter une conversion afin de ne pas recourir à une nouvelle émission directe. Pour nous, il y a dans l'opinion favorable à cette proposition une tendance à l'erreur; l'avenir ne se trouvera pas plus réservé, alors que les annuités à payer au Crédit foncier subsisteront sous une autre forme, ou plus réduites, et nous ne voyons pas en quoi le crédit de la Ville serait atteint, si la nécessité la contraignait à recourir à un nouvel emprunt public pour amortir une dette aussi onéreuse que celle contractée avec le Crédit foncier aux conditions que nous avons exposées. Après avoir analysé les nouvelles offres du Crédit foncier, le rapporteur de la commission des finances du conseil municipal paraît les approuver et conclut en disant: «L'avenir se trouve complètement réservé, notre crédit reste intact, et vous serez toujours libres d'en user plus tard, si les circonstances l'exigent. » Le crédit dans de pareilles conditions est payé trop cher, et la ville de Paris peut emprunter dans de meilleures conditons.

Pour apprécier les conditions en vertu desquelles le Crédit foncier a traité de l'emprunt de 283 millions avec la ville de Paris, il fau drait connaître les circonstances qui l'ont motivé, car ce n'est pas avec un crédit aussi puissant que le sien qu'on emprunte à un taux aussi élevé; ou alors, il faudrait admettre que l'administration municipale a traité, sans se rendre compte exactement de ce que lui coûterait l'amortissement par annuités fixes, le bénéfice des intérêts composés restant acquis à l'administration financière.

Nous ne partageons pas l'avis du rapporteur du conseil municipal, s'il admet que l'adoption des concessions du Crédit foncier soit une compensation suffisante, laissant à la ville de Paris sa liberté d'action devant l'éventualité d'un emprunt. Il faut admettre ou que la Ville sera forcée d'emprunter sous peu, ou que rien ne la

contraint d'user de son crédit. Dans le premier cas, son passif augmentera sans que ses annuités diminuent; dans le second, elle peut emprunter, de manière que ses annuités se trouvent amorties, au moyen de combinaisons qui annulent la convention. excessive passée avec le Crédit foncier. Ce serait là une augmentation de passif, il est vrai, mais qui aurait cet avantage sur le cas précédent de consolider sa dette et de lui laisser le bénéfice des intérêts composés compris dans le payement des annuités au Crédit foncier. Ces annuités, comme nous l'avons démontré, lui laissaient un profit assez élevé puisqu'il abandonnait plus de 76 millions sur un principal de 283 millions.

V

Il nous reste à examiner quel parti la Ville peut tirer de son crédit, et cela au mieux des intérêts qui lui sont confiés. L'idée dominante dans la majorité du conseil municipal est qu'il faut réviser le contrat passé avec le Crédit foncier, établi sur des bases onéreuses. La meilleure combinaison pour annuler le contrat entraîne nécessairement le remboursement du gage, et le Crédit foncier a fait lui-même des propositions que le rapporteur de la commission des finances a fait connaître, mais devant lesquelles la majorité du conseil hésite à se prononcer.

Nous restons alors en présence de deux combinaisons: la première, celle que nous préférerions voir adopter, est l'émission publique de titres représentant une somme déterminée par le conseil au taux actuel de l'intérêt. Ce système qui, nous l'avouons à regret, ne paraît pas devoir prévaloir aujourd'hui, deviendra un jour la base des emprunts d'Etat, et évitera pour le public une dépréciation possible du titre par la limite étroite et forcée dans la variation des cours, en même temps qu'il dispensera l'Etat d'accorder des conditions onéreuses pour le placement immédiat de son émission. L'abondance des capitaux a produit sur l'ensemble des valeurs mobilières un déclassemement tel, que l'argent ne se capitalise plus aujourd'hui qu'entre 3 ou 4 0/0, suivant le crédit dont jouit l'emprunteur.

A cet égard, l'Etat peut offrir plus de garantie que n'importe quelle entreprise, et la preuve de la confiance qu'il inspire est qu'un emprunt émis il y a six ans au taux de 6 0/0 est arrivé par le déclassement du titre 5 0/0, qui est coté à 116.50, au taux de 4 1/2.

Dans de pareilles conditions, il nous semble que continuer de payer des annuités qui coûtent 6.72 0/0, ou contracter un emprunt

qui, avec les frais de négociation, reviendrait à 5 ou 5 1/2 0/0, serait des combinaisons aussi onéreuses que préjudiciables aux intérêts multiples de la ville de Paris.

Une objection qui parait devoir prévaloir au sein du conseil mu nicipal est qu'une émission publique, faite directement par la Ville, et prenant pour base de capitalisation l'intérêt de l'argent au cours actuel, sans perspective de remboursement à primes, pourrait amener un préjudice qui serait des plus préjudiciables au crédit de la Ville si elle échouait.

Nous reconnaissons que l'absence des primes, en présence des précédents, créerait peut-être à la Ville une situation différente de celle de ses emprunts antérieurs, mais, quant au taux d'émission, il ne nous paraît pas que la municipalité doive tenir compte des concessions qu'elle a été obligée de faire à une époque antérieure, pour attirer vers elle les capitaux qui avaient ailleurs un autre emploi. Il y avait alors une question de concurrence, aujourd'hui il y a une question d'opportunité, c'est aux plus habiles à savoir en tirer le plus grand profit possible. Au cours actuel du jour, les obligations municipales émises en 1855-60 à 450 fr., remboursables à 500 fr. sont cotées 525 fr.

Celles de l'emprunt

1865, émises à 450 fr., remboursables à 500 fr., sont cotées 535 fr.

[blocks in formation]

et enfin celles de l'emprunt de 1876, émises au même taux, remboursables à 500 fr., sont cotées à 521 fr. 50.

Il nous paraît difficile de trouver à la fois un crédit mieux coté et une occasion plus favorable pour lui demander son appui. Mais nous devons ajouter que, pour tirer tout le profit qu'elle peut de sa situation de place, il faut que l'administration évite de favoriser la spéculation en invoquant l'intervention des tiers. Pour cela, il n'y a que l'émission publique qui peut être un obstacle à l'empiètement de la spéculation. Il est certain qu'à un moment donné, l'Etat en arrivera à faire toutes ses émissions lui-même, et l'expérience qui en a été faite l'an dernier, lors de l'émission du 3 0/0 amortissable, a démontré que le public savait se passer d'intermédiaires pour devenir créancier de l'Etat. Si nous tenons compte, suivant l'usage de place, que le succès d'une émission dépend surtout de la rapidité avec laquelle s'enlèvent les titres, nous en concluons que l'émission du 3 0/0 amortissable n'a pas eu immédiatement le succès qu'on était en droit d'attendre, mais cela tenait

« PreviousContinue »