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au détail et se procurer directement les articles dont ils ont besoin, soit chez le marchand en gros, soit, ce qui vaut mieux encore, chez le producteur lui-même, s'affranchissant ainsi de la lourde taxe que prélevaient jusqu'ici sur eux les distributeurs et du même coup se soustrayant aux fraudes dont ils étaient victimes. La distribution devient ainsi une besogne qu'accomplissent des agents choisis et salariés par ceux-là mêmes qui ont tout intérêt au bon marché des articles et à leur bonne qualité, tandis que le nombre même de ces intermédiaires peut s'adapter aisément à la quantité du travail qui leur incombe réellement. » Les sociétés coopératives de distribution, pour employer le terme même de nos voisins, - Distributive societies, ont pleinement réussi, en effet; elles se heurtent à bien moins de difficultés que les sociétés de production, ou associations coopératives proprement dites, et pour peu qu'elles évitent l'écueil des fournitures à crédit, contre lequel un grand nombre ont donné, elles sont à peu près sûres de prospérer.

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C'est d'ailleurs à tort que Mill les regarde « comme en partie fcndées sur des principes socialistes » et, en principe, l'économiste n'a rien mais absolument rien à objecter contre cette forme de système coopératif, pas plus que contre l'autre. Il n'y a point là certainement de panacée industrielle, et la société coopérative n'a pas fait ce miracle de supprimer l'infâme capital. Il ne s'agit que d'une autre méthode de l'associer à la main-d'œuvre, et c'est même une illusion chez les coopérateurs de croire qu'il leur est possible de s'approprier le profit du capitaliste ordinaire qu'ils éliminent, même tout le profit net de l'entreprise, car force est bien de salarier le directeur qu'ils mettent à leur tête, ainsi que ses contremaîtres, en d'autres termes, les agents qui représentent, dans l'espèce, ce capitaliste ordinaire et ses collaborateurs. Mais tout cela, but et moyens, est parfaitement légitime, et personne n'est en droit de se plaindre de ce que les ouvriers tentent une voie où ils sont destinés à apprendre, suivant le mot de M. Forster, « qu'en utilisant de la sorte leurs épargnes, ils courent le risque d'une perte en même temps que la chance d'un gain. » C'est précisément la promesse d'éliminer le risque et du même coup d'assurer le gain qui constitue le fond du socialisme doctrinaire, et plus les ouvriers s'apercevront que c'est là un bâton à trois bouts, comme disait Lamartine, plus vite ils renonceront tout à fait à des espoirs fallacieux pour eux-mêmes et inquiétants pour la tranquilité publique.

III

En terminant cette analyse de l'œuvre posthume de John Stuart Mill, nous nous retrouvons en face de la question qui se dressait à son début même, et nous restons, après comme avant, assez embarrassé de la résoudre: évidemment dans ces Chapters, l'éminent penseur ressent une prédilection théorique pour le socialisme, et il admire certains de ses plus célèbres docteurs; mais évidemment aussi, quand il pénètre dans les faits et descend au détail, le doute le prend. Il discerne fort bien le faible du système, et il met en plein relief ses difficultés intrinsèques, comme ses impossibilités relatives. Nous aurions désiré quelque chose de plus : une confirmation des tendances indiquées çà et là dans les Principes d'économie politique ou leur désertion, et peut être le nouveau livre que la mort a empêché Mill d'achever, s'il avait paru entièrement, aurait-il apporté l'une ou l'autre. Peut-être bien aussi eût-il laissé à son lecteur la même impression confuse qui résulte pour lui des quatre fragments publiés, et à vrai dire cette dernière supposition ne manque pas de vraisemblance. Mill a marqué de son vivant sa trace dans plus d'une voie, il s'est acquis plus d'un titre à l'attention de la postérité. Mais son tour d'esprit était surtout méditatif: il se ressentait un peu de cette discipline intellectuelle, prodigieusement encyclopédique, à laquelle son père l'avait soumis dès ses plus jeunes années, et qui fit qu'à onze ou douze ans, l'âge pour les autres enfants des rires, des jeux bruyants et des violents exercices du corps, le jeune Mill avait esquissé une Histoire de Rome, une Histoire de Hollande, une Histoire universelle, et se croyait en état de tracer, sous le titre d'Histoire du gouvernement romain, le tableau de la grande lutte du peuple et du patriciat. AD. F. DE FONTPERTUIS.

LES

BANQUES DE FRANCE ET DE BELGIQUE

LEURS OPÉRATIONS EN 1878.

SOMMAIRE: De l'état général des affaires dans ces deux pays: Crise qui persiste.

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Comment le trouble et les souffrances nés de la guerre ont eu pour effet de faire considérer comme un remède le Régime protecteur. Langage des administrateurs de la Banque de Belgique à cette occasion. De l'état du Commerce extérieur et du mouvement des escomptes jusqu'en 1870. -Comment, à partir de là, le progrès est à peine sensible. Différences qu'on remarque, en France et en Belgique, dans le gouvernement de l'Escompte et de l'Emission.

La crise qui sévit « depuis cinq années » continue à faire ressentir ses funeste effets, est-il dit dans le dernier exposé des opérations de la Banque Belge. D'un autre côté, et presque à la même heure, la Banque de France, après avoir dit que cette crise sévit «sur toutes les nations de l'Europe en général » n'hésite pas à ajouter qu'on ne saurait assigner aune fin prochaine» à cet état de choses. Voilà comment s'exprime par l'organe de ses légitimes représentants le Commerce européen en ce moment même. Voilà où il en est depuis le jour où il a plu à quelques chefs d'Etat de déposer des matières incendiaires dans un coin obscur de la Turquie afin de hâter la décomposition de cet empire. « Ce sont là jeux de prince,» aurait dit, en son temps, l'humoristique auteur du Meunier de Sans-Souci. Ce qui est certain, c'est que le mal dont on souffre en France, en Angleterre, de même que sur les divers marchés du continent, menace de passer à l'état normal, tant cette atonie persiste et se prolonge. Faute de savoir comment s'employer, l'Epargne afflue à la Bourse; la hausse de nos fonds publics n'est pas un des moindres signes de la stagnation qui paralyse les affaires en général; car, en dehors des consommations courantes, on peut dire que l'esprit d'entreprise, de même que l'exportation, manque de cet élan qui sollicite l'emploi des capitaux et qui fait que l'épargne fructifie.

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Il se passe alors ce qui ne manque jamais d'arriver toutes les fois qu'un mal profond, et dont chacun n'aperçoit pas clairement

la cause, vient à se produire. Au lieu de remonter à la source, de comparer des situations qui feraient voir par où cela diffère et comment la sécurité, la reprise du trafic et des grandes affaires ont soudain fait place à une stagnation à peu près complète, l'on est bien près d'abdiquer toute sagesse et de demander à l'empirisme d'impuissants remèdes.

Ecoutons là-dessus encore les signataires du rapport de fin d'année que la Banque belge vient de publier.

« Attribuant les souffrances que la crise engendre au principe de la Liberté commerciale qui, depuis un quart de siècle, semble prévaloir et s'affirmer de plus en plus dans les relations internationales, certains esprits demandent la guérison aux idées restrictives, cherchent le remède dans le rétablissement d'un système protecteur...

« Il serait profondément regrettable qu'aux conséquences immédiates et déjà si funestes de la crise, est-il dit plus loin, vinssent s'en ajouter d'autres plus persistantes encore, que l'esprit égaré dans ses recherches créerait en élevant de nouveaux obstacles à la liberté des échanges.»

Ainsi parlent, en dernier lieu, le gouverneur M. Pirson et les quatre directeurs, au premier rang desquels chacun peut lire les noms bien connus de MM. Anspach et Pirmez.

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Tel est, il faut bien le reconnaître, le résultat le plus clair du trouble que déchaînait un jour sur l'Europe la Politique du mal en quête de nouvelles guerres. Ne sachant par où s'y prendre et comment fermer des plaies qui sont son ouvrage; à bout de ressources, puisqu'on a follement dissipé les fruits de l'épargne que l'industrie et le travail auraient grossie en les faisant fructifier; se débattant, depuis lors, en butte aux embarras que crée la misère avec les mécontentements qu'elle fait naître, cette ambition malsaine n'a trouvé rien de mieux, pour reconstruire la richesse perdue, que « de chercher à vendre » en achetant le moins possible de l'étranger. C'est ce qu'on appellera « se protéger. » En fait « de protection» les peuples, assez malheureux pour donner pareil spectacle, auraient préféré celle qui fait que chacun peut travailler en paix. Car, c'est le cas de le redire, «<les nations sont plus riches de ce qu'on leur laisse, que de ce qu'on prétend leur donner. » Si quelqu'un en doutait, il n'y aurait qu'à mettre en regard de l'état présent l'ère qui a précédé immédiatement le désastreux conflit à la suite duquel la France s'est vu arracher deux de ses plus belles provinces. C'était pourtant là une suite d'années durant lesquelles le libre trafic, free trade, pour parler comme nos voisins d'outre-Manche, s'étalait en pleine sève. Qu'on jette les yeux sur l'état de l'escompte, à cette époque, et sur le chiffre tou

jours grossissant de notre exportation; qu'on voie, que l'on examine cette situation si riche de travail exubérant, et l'on n'aura pas de peine à reconnaître d'où vient l'anémie qui lui a si brusquement succédé. Les comptes-rendus de la Banque de France sont ici d'une éloquence qui défie toute controverse. A la lenteur avec laquelle l'on essaie de marcher comme pour se reprendre à vivre; au long chômage que subit depuis des années l'Epargne; aux grèves qui éclatent successivement sur divers points, à l'atonie, enfin, qui se prolonge, aussi bien chez les nations voisines qu'au dedans d'un pays essentiellement actif, industrieux, il est aisé de voir que ce ne sont pas les Traités de commerce, c'est-à-dire l'entente générale des peuples travaillant en paix avec sécurité, mais bien l'esprit de « combattivité, » en d'autres termes le démon de la guerre qui a produit de tels fruits.

C'est ce que les exposés de fin d'année des Banques de France et de Belgique, si bien faits pour nous éclairer, mettent ici dans un singulier relief.

I

Pour avoir une idée exacte du mouvement de l'Escompte durant l'exercice dont la Banque publie suivant sa coutume un aperçu, il ne faut pas seulement dégager le Portefeuille de tout élément étranger, tel que les Bons de la Monnaie qui feraient là trop aisément confusion. Non; ce serait en outre faire œuvre insignifiante et stérile que de se borner, comme le fait le rédacteur de ces comptes-rendus, à comparer le dernier exercice avec celui qui l'a immédiatement précédé. Quelle conséquence, en effet, tirer, pour l'instruction du pays et des affaires en général, de ce que par exemple le chiffre des escomptes, celui des Comptes-courants ou des Encaisses, le niveau, enfin, de l'Emission se sont élevés en dernier lieu de quelques millions ou qu'ils ont au contraire fléchi plus ou moins notablement? Ce qui est instructif et ce qui éclaire d'une vive lumière le présent, c'est de pouvoir remonter un peu loin dans le passé en considérant bien moins des exercices qui se touchent qu'une suite d'années dont l'allure et le mouvement contrastent plus ou moins avec ce qui se passe.

C'est la série » qu'il faut voir; car c'est de l'examen d'une période de quelque étendue qu'un mouvement ascendant ou descendant plus ou moins accentué permet de tirer, sauf d'inévitables fluctuations, des conséquences d'une certaine portée. - Ici, ce sont par exemple des séries quinquennales touchant l'Exportation et l'Importation d'où l'on pourra induire, outre l'état général du

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