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formation et l'accroissement du capital, c'est là son plus précieux bienfait, c'est la conclusion scientifique des études remarquables de M. Péreire, fondées non point seulement sur des vues théoriques, mais sur les résultats d'une haute expérience remontant à près d'un demisiècle. E. FOURNIER DE FLAIX.

LA RÉFORME de l'enseignemenT PUBLIC EN FRANCE, par Th. FERNEUIL. 1879, in-12. Hachette.

Les questions qui se rattachent à l'enseignement continuent à préoccuper les esprits et à provoquer beaucoup de travaux et de livres. A bien des égards, en effet, sous l'influence de la réaction contre les idées de 1848, la France s'est laissée devancer, quand elle n'a pas reculé. Si des progrès considérables ont été obtenus dans l'enseignement primaire de 1850 à 1870 et de 1870 à 1878, les conditions actuelles, l'organisation ultérieure, les procédés, les méthodes, les classifications de l'enseigne mert secondaire sont inférieurs à ceux qu'ont connus les générations élevées de 1835 à 1848. D'où un moment de recul sensible que constatent aujourd'hui tous les documents. Mais, d'un autre côté, l'enseignement supérieur, notamment pour le droit et les sciences, a maintenu sinon élevé son niveau.

M. Th. Ferneuil aborde successivement, dans un livre composé avec soin et bien écrit, l'examen des diverses réformes nécessaires pour développer l'enseignement primaire, relever l'enseignement secondaire et fortifier l'enseignement supérieur. La partie du livre consacrée à l'enseignement primaire, est particulièrement remarquable. Au courant des travaux de MM. Gréard et P. Bert en France, H. Spencer en Angleterre, l'auteur résume l'ensemble des divers changements à accomplir dans l'enseignement populaire. Nous aurions désiré qu'il donnât plus d'importance aux notions d'économie politique et sociale à introduire dans l'enseignement primaire. Pour nous, en effet, la direction de l'instruction publique, à tous ses degrés, doit recevoir une direction et prendre une teinte plus économique que littéraire. A Paris on ferme les théâtres pour y installer des banques. C'est un symptôme. Il faut en tenir compte.

De même, pour l'enseignement secondaire, les huit années classiques de grec, de latin avec narrations, discours et versifications, nous paraissent des fossilisations, à une époque où la lutte pour l'existence devient fort ardente, et où il vaut mieux savoir par cœur son Adam Smith que son Virgile. Il ne s'agit plus d'hexamètres, il s'agit de changes, de machines, de calicots et d'acide sulfurique.

Mêmes réflexions en ce qui touche à l'enseignement supérieur, trois

années de droit romain dans les facultés de droit, quelquefois quatre, quelquefois cinq, sont du luxe, du superflu, prodigalité de temps, d'argent, de travail, d'esprit. Demandez à bien des docteurs à quelle époque a vécu et écrit Ricardo? Ils en sauraient peut-être davantage sur les auteurs des XII tables.

E. FOURNIER DE FLAIX.

NOTICE SUR M. ORTOLAN, par M. ANTONY ROULLIET, avocat, lauréat de l'Institut. Cette notice a remporté le prix du Conseil municipal à l'Académie de législation de Toulouse. Paris, Guillaumin, 1878, in-8° de 64 pages.

Ortolan n'a pas été seulement un légiste remarquable et l'un des plus éminents professeurs de la Faculté de droit de Paris; il nous appartient, car il a été économiste et il a joué un rôle relativement important de propagateur à une époque où il y avait quelque courage à se déclarer partisan des idées de libre-échange et à s'en faire l'avocat. Ses élèves de 1847 et de 1848 n'ont point perdu le souvenir de la manière enthousiate dont Ortolan parlait du libre-échange; il y voyait pour tous un moyen de vie moins coûteuse et même un motif de paix internationale; il célébrait aussi Frédéric Bastiat, alors peu connu, et, à ce titre, la Notice sur M. Ortolan nous appartient.

M. Antony Roulliet nous le présente encore sous un autre aspect qui rentre dans notre sphère, c'est comme statisticien. Ortolan fut, en effet, des premiers à comprendre l'importance que le droit peut tirer des faits statistiques judicieusement constatés.

Ajoutons que M. Antony Roulliet a su mettre en relief la véritable physionomie, à la fois si variée et si homogène, d'Ortolan et qu'il a passé soigneusement en revue tous les écrits de ce savant professeur qui croyait que l'étude du droit est inséparable de celle de l'histoire, comme Wolowski pensait que l'économie politique est non seulement une science de faits, mais une science historique et morale.

La Notice sur M. Ortolan est donc plus qu'une biographie, c'est en quelque sorte une revue de tous les faits législatifs, administratifs et économiques qui se sont accomplis pendant la longue carrière d'Ortolan; faits à la plupart desquels il a été mêlé et au milieu desquels il a laissé une trace des plus honorables.

Voir notamment les Lettres sur l'Ecole d'administration, par M. Antony Roulliet (Paris, 1876) pour la part qu'Ortolan prit à la création, en 1848, de l'Ecole d'administration.

J. C.

CHRONIQUE

SOMMAIRE: La récolte. La reconstitution des ministères en Hollande et en Roumanie. · Voyage de M. Boresco, pour la question des juifs. Diminution de l'enthousiasme belliqueux au Chili, au Pérou et en Bolivie. — L'usine Krupp fait de la propagande pacifique à sa façon. - Une spirituelle conversation de M. de Bismarck au sujet des économistes.

Ainsi que nous pouvions déjà le constater, il y a un mois, le déficit général des récoltes ne sera pas aussi considérable qu'on l'avait redouté. L'année pourra être classée dans les mauvaises moyennes. On a maintenant des données presque complètes de la récolte des céréales en Europe et aux Etats-Unis. Ces renseignements permettent d'établir un relevé d'ensemble, et il en résulte que les appréciations de la presse et des grandes maisons de commerce peuvent être considérées comme empreintes d'exagération. L'Amérique a'd'importantes quantités disponibles, et le courant de l'importation maintient les cours. Les blés sont offerts en Angleterre et sur le port du Havre entre 18 et 19 fr. 50 l'hectolitre. Il n'y a pas là, on le voit, cette inondation annoncée par les protectionnistes, qui perdent ainsi un de leurs plus forts arguments.

-Plusieurs cabinets des gouvernements européens ont été disloqués; mais ils se reforment, quoique lentement. En Hollande, il vient de se constituer un nouveau ministère sous la présidence de M. Walynden, ministre des affaires étrangères, caractérisé pour nous, par la présence de M. Wissering, professeur à l'université d'Utrecht, qui prend le portefeuille des finances. Outre que M. Wissering est une des notabilités parlementaires de son pays, il est professeur d'économie politique.

-En Roumanie, M. Bratiano s'est adjoint de nouveaux collègues pour arriver à résoudre l'éternelle question des Juifs, remise sur le tapis diplomatique par le traité de Berlin. L'article 44 de ce traité stipule que les croyances religieuses ne pourront être opposées comme motif d'exclusion; d'autre part, la constitution roumaine est tout à fait opposée à la naturalisation des Juifs. Or, les Juifs convergent vers la Roumanie, où ils sont mal vus, mais où ils se trouvent encore mieux qu'en Russie, en Autriche, en Pologne et en Allemagne. M. Boresco, ministre des affaires étrangères, vient de faire le tour de l'Europe pour expliquer aux autres

ministres des affaires étrangères la difficulté dans laquelle se trouve le gouvernement roumain, placé entre le sentiment populaire que représentent les Chambres et celui de l'Europe civilisée qui a inspiré les auteurs du traité de Berlin.

-Les nouvelles qui sont venues de l'Amérique du Sud n'ont rien appris de décisif sur la stupide guerre qui se poursuit entre le Chili d'une part, la Bolivie et le Pérou de l'autre. Leurs marines expérimentent le peu de navires cuirassés qu'elles possèdent et travaillent à les ruiner. Par suite de la crise les pertes subies par le commerce sont excessives. Les amours-propres respectifs reçoivent des humiliations; les illusions et l'enthousiasme des premiers jours. se sont refroidis, et on parle d'une mission entreprise pour amener une cessation d'hostilités entre les belligérants. Encore une preuve en faveur de l'arbitrage que conseillait la Société des amis. de la paix de Paris au début des hostilités, dans une adresse dont se sont probablement moqués les fiers conquérants des trois peuples, obligés d'en rabattre au bout de quelques mois à peine. Mais à tout prendre, les hommes d'Etat de ces trois républiques peuvent répondre qu'elles ne sont pas plus insensées que les grandes puissances d'Europe, dirigées par des empereurs.

En attendant, M. Krupp, fabricant de canons et d'engins de destruction, travaille à sa façon à la cessation de la guerre, à la diminution de la durée des opérations militaires; il vient de faire à son usine, en présence des spécialistes ébaubis, des expériences desquelles il résulte qu'à mesure que les cuirasses des navires augmentent d'épaisseur, on peut faire des canons et des boulets qui les perforent.

Avec un canon de 24 centimètres et une charge de 75 kilogrammes de poudre, un projectile d'acier de 160 kilogrammes a perforé à 60 mètres deux cuirasses juxtaposées, une de 0,305 millimètres, l'autre de 0,205, en tout plus de 1/2 mètre, en allant à 2,200 mètres plus loin.

MM. les ministres de la marine devront maintenant songer à réformer le matériel et à obtenir des Chambres des crédits en proportion. M. Prudhomme ne manquerait certainement pas de raison en proposant de revenir simplement au procédé des Horaces et des Curiaces.

-Les journaux protectionnistes se sont hâtés de mettre en lumière une conversation économique de M. de Bismarck, qui a récemment viré à la protection pour un besoin quelconque de sa politique, parce que le plus grand des chanceliers a adressé aux 4o SÉRIE, T. VII. 15 septembre 1879.

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libre-échangistes une épithète de sa façon. Eh bien! nous aussi nous voulons consigner ici l'échantillon de ce beau langage et l'emprunter au Soleil (1) lui-même, un des organes de la protection, qui l'a pris dans le Times de Philadelphie.

La conversation a eu lieu avec M. Kelly, envoyé du gouvernement américain. M. de Bismarck a d'abord parlé de ses insomnies causées sans doute par d'atroces cauchemars, « mais voici (c'est le Soleil qui parle) qui est autrement important et qui mérite de fixer l'attention de nos gouvernants au point de vue économique. Cessant de parler de lui-même, M. de Bismarck dit à M. Kelly : » << En Russie et en Hongrie, on dépense moins pour produire 200 << kilos de blés que le fermier allemand ne paie d'impôts pour le << terrain qui lui donne la même quantité de blé. Aussi, après << toutes les expériences des dernières années, me suis-je convaincu « que l'Allemagne ne pouvait plus se passer de droits protecteurs « pour la défendre contre une pareille concurrence. »

<< Ce qui a surtout frappé M. Kelly dans les paroles du prince, ajoute le Soleil, c'est le sans-gêne avec lequel il s'exprime sur le compte des économistes. M. de Bismarck professe un mépris indicible» pour les gens qui ont la présomption de considérer les principes de l'école de Manchester comme inattaquables. Voici comment le chancelier s'est exprimé au sujet des économistes: >>

« Ce sont un tas de doctrinaires et de savants de cabinet; ils ont << pour adhérents des médecins, des avocats, qui n'entendent rien « à la pratique des affaires publiques. Que d'ennuis j'ai éprouvés « de la part de ces imbéciles, qui demandent des réponses à leurs « questions ineptes et cherchent, comme disent les Français, midi " à quatorze heures. >>

C'est en effet bien remarquable; les économistes pourront se le tenir pour dit. Toutefois, vérification faite, le grand chancelier n'aurait parlé que des libre-échangistes. Il y a une nuance; mais l'écrivain du Soleil a pensé que la qualification adressée à la plus grande généralité ferait mieux dans le paysage. Va pour les économistes en bloc.

Paris, le 14 septembre 1879.

(1) Soleil du 8 septembre 1879.

Jrh G.

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