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portance le jour où l'on entend remettre en question l'application de principes dont la France a autant bénéficié que les divers pays auxquels elle était liée par des Traités. Cela explique les développements où l'on entre à ce sujet. Chacun sait, d'ailleurs, à quel point la Banque nationale se montre préoccupée de l'agitation protectionniste et cela à juste titre. Le rapport des censeurs n'est pas moins explicite à cet égard que celui des directeurs plus haut cité. En voici la conclusion :

« L'on peut affirmer hardiment, remarquent les signataires de ce document,que les causes de la crise qui partout entrave les affaires ne peuvent se trouver dans une liberté trop grande du commerce, dans un abaissement trop considérable de ces droits de douane que l'on nommait encore protecteurs, et qui ne sont qu'une entrave et un obstacle au développement de la richesse générale de chaque peuple en vue du bénéfice de quelques intérêts particuliers.» On ne saurait mieux dire.

II

Si de ce coup d'œil jeté sur l'état des affaires et sur les allures de l'Escompte, dans deux pays qui ont entre eux tant de points de contact, l'on passe à l'examen des résultats que ces exposés de fin d'année sont dans l'habitude de noter particulièrement, voici ce qui ressort d'une étude comparative,

Remarquons d'abord, qu'à la différence de ce qui est constaté chez nous par le dernier exercice clos, le chiffre des escomptes de la Banque belge se trouve avoir fléchi, comparativement à l'année précédente. Il atteint, non plus comme auparavant, 1,578 millions, mais 1,521 1/2 millions, soit 56 millions en moins. Le taux de l'escompte y ressort d'ailleurs à 3.21 en moyenne, au lieu de 2.69 0/0 comme en 1877. C'est le contraire qui se voit chez nous où, pendant la plus grande partie du même exercice, le taux de l'escompte s'est maintenu à 2 0/0. La Banque attribue, non sans raison, le mouvement plus accentué et les produits supérieurs de l'Escompte à cet abaissement du prix de ses services. Mais il ne faudrait pas s'exagérer cet avantage. Si les escomptes sont aujourd'hui en progrès, depuis deux ans notamment, cela se réduit à fort peu de chose rapproché de ce qui avait lieu la veille du jour où l'on peut dire que la paix sera pour longtemps profondément troublée. L'on a pu voir comment, après avoir atteint, en 1864, 6 1/2 milliards de francs, les escomptes avaient notablement dépassé ce chiffre cinq ans plus tard. Or, il faut bien le reconnaître, aujourd'hui même, c'est-à-dire après dix ans écoulés, c'est à peine. si le chiffre de la matière escomptable a atteint le niveau où était

arrivé, malgré des circonstances qu'on sait n'avoir pas été exemptes d'anxiété, l'année 1869.

Tel a été jusqu'ici l'effet du profond ébranlement causé aux affaires en général par l'esprit de conquête en plein xix° siècle. Rien de tel pour bien juger de l'intensité d'un mal qui persiste, comme de mettre en regard de l'époque où nous sommes les résultats obtenus en 1869. On verra combien le gouvernement de la Banque semble disposé à s'exagérer le caractère et la portée du progrès que son dernier compte-rendu accuse.

<< Comparé à celui de 1877, remarquent les signataires de ce document, le chiffre de l'escompte tant à Paris que dans les Succursales présente une augmentation de 28,489,000 francs».

De telle sorte que ce chiffre, au lieu de représenter comme auparavant 7,577 millions, en chiffres ronds monte à 7,606 millions. Mais remarquons que dans ces deux chiffres la Banque fait entrer un élément qui n'a nul rapport à la matière escomptable comme on l'entend à peu près partout. Jamais, on l'a dit, « les Bons de la Monnaie », qui figurent ici à côté des effets de commerce, n'occupèrent en cours d'affaires une pareille place. L'administration de la Banque le comprend elle-même, lorsqu'un peu plus loin elle fait masse de l'escompte exclusivement et qu'elle fournit des chiffres entièrement autres. C'est ainsi, par exemple, qu'abstraction faite de «< ces Bons de la Monnaie », le dernier exercice donne pour l'escompte un chiffre global, non plus comme auparavant de 7,606 millions, mais simplement de 6,866 millions de francs, soit 740 millions en moins, lesquels se rapportent aux dits Bons de la Monnaie.

Cela est, on le voit, très-différent.

Si maintenant, dans le même ordre d'idées et de bonne comptabilité, l'on veut bien se reporter à l'exercice 1869, voici ce qui ressort de cet examen. La masse des escomptes proprement dits atteignit alors 6,675 millions suivant qu'il a été dit. Ce chiffre est inférieur d'environ 191 millions à celui du dernier exercice. Mais, outre qu'à ce compte le progrès serait plus que médiocre, il faut bien reconnaître que cette marche ascendante de l'escompte se mesure par des chiffres infiniment plus modestes. Ceci devient évident pour peu qu'on veuille égaliser les situations, en faisant état des changements opérés d'une époque à l'autre. C'est ainsi, par exemple, que durant la période décennale qui nous sépare de 1868, le nombre des succursales de la Banque s'est notablement accru. Il était de 61, tandis qu'en 1878 on compte 85 comptoirs en fonction. Ces succursales existant en plus à concurrence de 400/0 représentent quelque chose, en 1878, comme 350 millions d'es

comptes qu'il faut naturellement défalquer des 6,866 millions cidessus accusés pour ce même exercice.

Mais de même qu'on tient compte de l'addition de matière escomptable due à un plus grand nombre de succursales, il est naturel de faire figurer les pertes que la guerre a infligées au gouvernement de la Banque de France par l'abandon forcé de l'AlsaceLorraine. Ces deux provinces, et le pays tout entier, tiraient un particulier avantage du fonctionnement de comptoirs tels que Metz, Mulhouse et Strasbourg. Ce qui mesure exactement cette perte, au point de vue de l'Escompte, c'est qu'il atteindra, pour ces seuls comptoirs, en 1860, un chiffre de 223 millions. Ce n'est certes pas exagérer que d'en évaluer le mouvement ascendant, si l'on avait pu garder ces riches et nobles provinces, à 260 millions. D'où l'on voit que le retranchement à opérer sur la masse escomptée en 1878, du chef des 25 nouvelles succursales, se réduirait à 90 millions.

Or, il ressort de ces différences que le progrès dont parle l'exposé en fin d'année placé sous nos yeux, au lieu d'affecter des proportions d'environ 200 millions, après une assez longue période, se réduirait tout juste à la moitié de ce chiffre. Rien ne confirme mieux la pensée où nous sommes qu'il existe dans la situation générale de l'Europe une anxiété qui s'oppose à la reprise des affaires. Le coup qui leur a été porté depuis Sadowa, et qui devait fatalement aboutir à des conflits plus redoutables, n'est pas un de ces accidents ordinaires qui, comme une crise industrielle ou des révolutions dans un Etat tel que la France, paralysent pendant quelques heures seulement l'essor de la production. On n'a qu'à se souvenir pour avoir là-dessus un sentiment autre des maux qu'infligeaient au pays, de même qu'aux nations engagées dans la lutte, les longues et interminables guerres du premier Empire. Au lendemain de Sadowa, c'est le conflit franco-allemand qui éclate et qu'eurent à cœur de voir renaître ceux que les triomphes d'un Charles XII ou de Scanderbeg, lisez Georges-Castriot, pêcheront de dormir. A cette déplorable guerre et aux expéditions sans merci dont elle est l'occasion vient succéder la guerre faite à la Turquie, guerre fomentée, attisée de longue main en Herzégovine, où l'on sut déposer les matières inflammables qui devaient plus tard tout embraser. C'est une chaîne.

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Et puisque c'est «< une chaîne » dont l'un des bouts est depuis douze ou quinze ans dans la même main, comment veut-on que l'industrie, le Trafic qui vivent de sécurité, et qui doivent pouvoir compter sur un lendemain reprennent leur train accoutumé? Les hommes du Négoce, à quelque pays qu'ils appartiennent, ont à un

trop haut degré le sentiment de ce qui est ou non compatible avec l'esprit d'entreprise, pour nouer des affaires à long terme où tout leur avoir pourrait disparaître en quelques heures. Ce ne sont pas les réductions extrêmes du taux de l'escompte qui pourraient ici vaincre de trop légitimes défiances. Quand l'administration de la Banque en vient, comme elle l'a fait encore récemment, à modérer de plus en plus ses exigences, elle remplit son rôle, et l'on ne peut que la louer de ne rien épargner pour que le mouvement de reprise s'accentue. Mais ce mouvement tient à autre chose, il faut bien le dire, qu'à une réduction d'escompte de 1 0/0. S'il appartient à des institutions telles que celles dont on s'occupe ici et qui tiennent en Belgique de même qu'en France le premier rang, de ne rien négliger pour que le mal soit dans quelque mesure circonscrit; si même on y montre la confiance en une situation meilleure jusqu'à se faire illusion sur le progrès obtenu, la presse n'est pas tenue à la même réserve. Non-seulement il lui appartient de signaler où gît le mal, mais c'est en faisant tomber tous les voiles, mais c'est en dénonçant chaque jour quels en sont les artisans qu'elle peut seulement faire naître la crainte salutaire qui seule peut faire qu'on s'arrête dans cette voie.

La Banque belge en mettant comme elle l'a fait le doigt sur le mal dont on souffre depuis trop longtemps aura contribué pour sa part à hâter ce résultat. Il faut la louer de son langage, car les avertissements doivent, ici surtout, partir de haut.

III

On devine aisément ce que peuvent être les profits de l'Escompte, là ou la matière escomptable se maintient au plus bas étiage fautil dire. Aussi, la Banque est-elle comme auparavant réduite à prendre sur «< la Réserve » pour distribuer à ses actionnaires un maigre dividende de 95 francs. C'est exactement le chiffre du précédent exercice. L'on n'y voit d'autre différence que celle résultant des profits afférents à l'un ou à l'autre semestre. C'est ainsi, par exemple, que les opérations faites durant les derniers six mois donnent un bénéfice, non point de 45/36 comme en 1877, mais de 51/54. Mais cette différence n'influe pas sur le résultat final. Cela ne fait pas que l'administration de la Banque se croie dispensée de s'attaquer de nouveau à sa Réserve.

C'est là une ressource extrême dont une institution de crédit comme la Banque ne devrait jamais donner, ce semble, l'exemple. Nous nous en sommes déjà expliqué lors de l'examen des opérations ayant trait au précédent exercice (voir à cet égard le Journal

des Economistes, mai 1878). Nous n'avons pas à revenir sur ce qui a été dit à cet égard. Il tombe sous le sens que le prestige dont la Banque de France est à bon droit jalouse se trouve plutôt diminué par de semblables pratiques, qu'il ne se maintient let encore moins s'augmente. La Banque ne devrait rien épargner, disons mieux,— et qu'on nous permette cette liberté de langage en considération, non-seulement de l'intention qui le dicte, mais par la profonde estime qu'on ressent pour l'Institution qui pendant la dernière guerre a payé noblement sa dette envers le pays, la Banque devrait s'ingénier à ne point user d'une telle ressource. Cela lui serait on ne peut plus facile, et elle en a le moyen, suivant qu'ailleurs on lui en donna l'exemple.

Au lieu de prendre chaque année sur «sa Réserve », comme le gouvernement de la Banque persiste à le faire, que ne donne-t-on à l'Escompte les développements, l'essor dont il est susceptible en faisant une part au papier « étranger », comme le fait depuis déjà longtemps la Banque nationale chez nos voisins les Belges? Nous avons montré, à propos du précédent exercice, que la loi de son institution laisse ici une entière liberté à la Banque de France. Et qu'on nous permette d'ajouter que ce sentiment a trouvé de l'écho chez plus d'un bon esprit.

Dans des moments où la matière escomptable se fait si particulièrement rare, que n'use-t-on de ce moyen d'étendre plus loin son action en même temps que s'accroîtraient les profits? Est-ce que les Belges sont de moins bons négociants que les membres du Conseil de Régence ou ceux qui composent chez nous le Conseil d'escompte? Personne qui le croie. Nous ne serions même pas éloigné de penser que les Directeurs de la Banque nationale, non seulement n'ont rien à apprendre comme pratique commerciale ou commegouvernement du crédit des directeurs en titre de la Banque, mais qu'ils seraient, en plus d'un point, d'excellents guides pour cette institution d'ailleurs investie, à juste titre, d'une confiance hors ligne.

Que ne se sert-on, dès lors, de ces mêmes moyens au lieu de s'attaquer à des garanties qui eurent sans doute par ailleurs leur raison d'être? La Banque belge a pu voir ainsi grossir chaque année son portefeuille de plusieurs centaines de millions. Durant le dernier exercice, cela a dépassé 307 millions, soit le cinquième du chiffre des escomptes. Si la Banque faisait de même, ce n'est pas à 6,866 millions que se serait élevé le chiffre de ses opérations de ce chef, c'est-à-dire à 100 millions en somme au-dessus des résultats de 1869, suivant qu'on l'a fait voir. Non, cette somme serait dépassée de 12 à 1,500 millions, soit 8 milliards au lieu de 6 1/2

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