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environ. C'est un chiffre que cela. Et l'on donne ainsi à l'actionnaire des satisfactions qui ne coûtent rien à l'autorité, au prestige dont un établissement tel que la Banque de France ne doit pas cesser d'être en possession.

Sans doute le trafic cambiste, largement représenté au sein de son Conseil, pourrait trouver médiocrement son compte à cette extension; mais le patriotisme se mettrait ici, nous aimons à le croire, aisément au niveau de celui dont l'administration de la Banque belge fait invariablement preuve. L'on ne peut supposer, au surplus, qu'il fût difficile à un Gouverneur bien inspiré de triompher ici de toute résistance. Ce point a une particulière importance dans un moment où, si nous sommes bien informé, la Banque nationale est en train d'étendre, loin qu'on songe à le restreindre, l'escompte des effets « sur l'étranger ». C'est ce qui nous fait de nouveau insister.

PAUL COQ.

LA LOI ET LA JURISPRUDENCE

DES COMMUNAUTÉS NON AUTORISÉES

La loi et la jurisprudence, en toutes matières, devraient présenter une intime connexité, comme un texte et son commentaire; c'est bien ainsi que vont presque toujours les choses; mais il n'en est pas de même ici, et il arrive qu'au sujet des communautés et congrégations religieuses la jurisprudence en est venue à critiquer la loi, à la modifier, à l'abolir même, au lieu de se borner à l'expliquer en l'appliquant.

Quelle est la cause de cette déviation juridique? On l'a cherchée dans la passion religieuse, plus intolérante et partiale, de sa nature, qu'aucune autre passion. On ne saurait nier qu'elle ne soit pour beaucoup dans ce fâcheux résultat; mais il faut aussi reconnaître que si plusieurs décisions ont été dictées aux magistrats par l'esprit clérical, quelques autres ont été inspirées par un mouvement de libéralisme et d'équité, plus ou moins bien raisonné et plus ou moins excusable, en présence de lois rigides, mais précises, abandonnées à la rouille par l'inaction du gouvernement et, il faut bien l'avouer aussi, par les hésitations de l'opinion publique.

La législation qui concerne les associations en général, et les communautés religieuses en particulier, est bien connue. Ses principales dispositions générales se trouvent dans les articles 291 et suivants du Code pénal et dans la loi du 10 avril 1834, et les dispositions spéciales dans les lois de 1790 et 1792, dans un décret de l'an XII, dans les lois de 1817 et 1825.

Les premières déclarent que nulle association dont le but est de se réunir, à des jours marqués ou non, pour s'occuper d'objets religieux, littéraires, politiques ou autres, ne pourra se former qu'avec l'agrément du gouvernement et sous les conditions qu'il plaira à l'autorité publique d'imposer à la société. Les associations contrevenantes et leurs membres sont frappés, suivant les cas, de diverses pénalités : prison, amende, dissolution, etc. Les lois spéciales exigent, pour la formation légale de toute communauté religieuse, l'autorisation gouvernementale; elles refusent aux communautés non reconnues la capacité civile, c'est-à-dire le droit de figurer, d'ester en justice, d'acquérir, de posséder, de vendre, etc.

Si ces diverses lois étaient régulièrement, strictement appliquées, beaucoup de difficultés disparaîtraient ou ne seraient même pas nées; mais la tolérance, la faiblesse, les incertitudes de l'Etat et de l'opinion ont amené une telle confusion, de telles intermittences et de telles inégalités dans le traitement de ces sociétés, communautés et congrégations, que de graves conflits se sont élevés, conflits dont la solution a été trop souvent arbitraire et contradictoire.

Je n'ai pas l'intention de passer, ici, en revue toutes les difficultés, toutes les discussions intervenues à propos des associations et communautés, mais je veux rappeler les principales, pour donner au lecteur une idée de cette interminable lutte entre la loi, la jurisprudence et les mœurs, et pour fournir une base à ma conclusion personnelle.

On n'a pas oublié la célèbre affaire du comte de Montlosier contre la Société de Jésus; à ce propos, la Cour de Paris, par un arrêt de 1826, se fondant sur ce que les lois de 1790 et 1792 ont expressément défendu en France les ordres monastiques et religieux des deux sexes, dispositions prohibitives renouvelées par le décret du 3 messidor an XII, a décidé « qu'il appartenait à la haute « police du royaume de dissoudre tous établissements, congréga«<tions ou associations qui sont ou seraient formés au mépris des «lois et règlements. »

La Cour de Caen (arrêt du 20 juillet 1846) a reconnu «< qu'aucune ❝ congrégation religieuse ne peut s'établir en France si elle n'a été

«< formellement autorisée par le gouvernement sur le vu des sta<«<tuts et règlements sous lesquels elle se propose de vivre; qu'il << appartient aux magistrats de rechercher et de décider si, sous la « forme apparente d'une société purement civile, une véritable «< congrégation religieuse ne se trouve pas déguisée. »>

C'est par application de ces principes que le gouvernement a prononcé, en divers temps et circonstances, la dissolution de plusieurs communautés religieuses par exemple, en 1831, la dissolution de la communauté des Trappistes de la Mailleraye, près Nantes; en 1833, celle d'un établissement de capucins, à Lyon, et, en 1848, celle de diverses autres associations religieuses qui s'étaient formées sans autorisation dans le département du Rhône.

Mais, d'un autre côté, on a contesté l'exactitude de ces principes; on a soutenu que les lois de 1790, de 1792 et le décret de l'an XII avaient été abrogés par la Charte et les lois postérieures; on a interprété en ce sens les termes de l'exposé des motifs de la loi de 1825, qui semblent admettre que des communautés non reconnues ont pu librement s'établir en France et qu'il importe de leur faciliter les moyens de se pourvoir d'autorisations régulières. On a prétendu que si ces communautés n'avaient pas de situation légale elles n'en possédaient pas moins une existence réelle, irréprochable eu égard à l'ordre public, du moment qu'elles se conformaient, d'ailleurs, aux lois de police et de sûreté générale. Plusieurs Cours ont consacré cette opinion, notamment la Cour de Toulouse, dans un arrêt du 23 juillet 1825, et celle de Grenoble, par arrêt du 13 janvier 1841.

Mais, en admettant, d'après ces dernières décisions, que l'installation des communautés non pourvues d'autorisation ne doive pas être considérée comme radicalement nulle et traitée comme illicite, il ne paraît pas moins certain que toute communauté non reconnue n'a pas d'établissement légal, qu'elle ne constitue pas un être moral, une personne civile; qu'elle ne saurait être admise à ester activement en justice; qu'elle ne peut être propriétaire, acquérir, posséder, vendre, etc., puisque les communautés reconnues, ellesmêmes, ne peuvent acquérir à titre gratuit; qu'elles ne peuvent acquérir à titre onéreux que dans certaines limites et conditions et avec l'autorisation spéciale du gouvernement. Le Conseil d'Etat, par avis du 22 avril 1831, du 26 août 1837, du 1er juin 1838, différents arrêts, notamment celui de la Cour d'Aix du 27 janvier 1825 dans l'affaire des Pénitents noirs d'Arles, la Cour de cassation, le 30 décembre 1857 (affaire Fabre), etc., ont proclamé ces principes. Sans être directement contestés, ces principes ont été mal accueillis, on le comprend, par les communautés non reconnues, qui

ont essayé de les tourner, d'éviter leur application, pour faire fraude à la loi, et, il faut bien le reconnaître, elles y ont souvent réussi, dans ces derniers temps. Ne pouvant acquérir directement en leur nom de communauté, elles se sont servies de prête-noms, elles ont acheté, possédé, transmis des biens, par personnes interposées, et plaidé devant les tribunaux par les mêmes moyens.

Or, si la Cour de Paris (arrêt du 5 janvier 1856), la Cour de Montpellier (24 août 1856), la Cour de cassation (arrêt du 15 décembre 1856 et du 5 juillet 1842) ont décidé que tout acte, même à titre onéreux, fait au profit d'une communauté religieuse (même d'une communauté reconnue), sous le nom d'une personne interposée, est nul, par cela seul que l'interposition a eu pour objet d'éluder le contrôle et l'autorisation du gouvernement, d'autres Cours de justice, à Grenoble (27 mars 1857), à Toulouse (23 juillet 1835), à Aix (en 1871) ont décidé le contraire. Elles ont été jusqu'à placer les propriétés non reconnues dans une situation privilégiée, préférable à celle des communautés légalement autorisées.

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En effet, ces décisions prétendent que l'examen de la question d'interposition de personne est même inutile, attendu que les communautés religieuses non autorisées ne constituant pas un corps moral capable de posséder en propre, les legs ou ventes, faits à certains individus appartenant à ces communautés, sont acquis personnellement à ces individus; qu'en admettant même que ces individus ne seraient que des personnes interposées pour faire passer la donation ou l'immeuble acheté à tous les individus composant l'association religieuse, les donataires ou acquéreurs apparents étant tous personnellement capables de recevoir ou d'acheter, la donation, le legs ou la vente n'en serait pas mois valable.- La Cour d'Alger, par son arrêt du 27 mai 1868, maintenu par arrêt de la Cour de cassation du 1er juin 1870, dans l'affaire dite des Pères du Saint-Sacrement, semble se ranger aussi, plus ou moins explicitement, à cette manière de voir.

Enfin, mêmes luttes, mêmes discussions contradictoires sur la question de savoir si les communautés non reconnues peuvent ester en justice, soit en demandant, soit en défendant. Les derniers arrêts cités admettent l'action et la défense en justice des communautés non reconnues, soit ouvertement, soit par représentants ayant pouvoir. Quelques jurisconsultes approuvent ces décisions et déclarent que « les communautés, tout en restant frappées des incapacités prononcées contre elles par la loi, trouveront, du moins, dans ces précédents d'une équité incontestable le moyen de se défendre sûrement contre des tentatives iniques de spoliation et

celui de faire valoir avec succès des droits inséparables de leur existence.» (V. Gazette des tribunaux du 17 avril 1879.)

Oui, c'est vrai, inséparables de leur existence; mais d'autres jurisconsultes répondent que, précisément c'est cette existence irrégulière que la loi proscrit formellement, ou regarde, du moins, d'un œil hostile; que c'est, précisément, pour la rendre difficile, impossible même, sans recourir à la violence, qu'elle a imaginé, comme sanction de ses prescriptions et de ses vœux, les obstacles et les entraves contre lesquels tentent de réagir les communautés irrégulières; que les magistrats ne doivent pas, sous prétexte d'équité, les aider à faire fraude à la loi; qu'enfin si l'on peut admettre que les communautés non autorisées, sans pouvoir constituer des sociétés régulières, n'en existent pas moins comme sociétés de fait, il faut alors leur appliquer les principes consacrés par nos lois en matières de sociétés ordinaires et commerciales. Lorsque celles-ci ont été irrégulièrement formées et qu'elles ne constituent que des sociétés de fait, la nullité ne peut être invoquée par les membres de ces sociétés à l'égard des tiers, mais les tiers, au contraire, sont admis, soit à actionner ces sociétés sans invoquer leur formation illégale, soit à plaider leur nullité, sans que celles-ci puisse être alléguée par les sociétaires.

Ces difficultés sont graves; ce sont, en effet, pour les communautés irrégulières, des difficultés de vivre fort sérieuses, mais qui paraissent intentionnelles de la part du législateur; et les voilà tantôt sanctionnées, tantôt méconnues, par les juges chargés de l'interprétation et de l'application des lois.

Cet état de choses est fâcheux; c'est un mal assurément.
Quel peut être le remède?

Où l'exécution stricte, constante, impartiale de la loi, ou bien sa réforme; il faut choisir.

Eh bien, on penche aujourd'hui vers une réforme. On désire plus de liberté, et c'est là un vœu bien concevable sous une constitution républicaine; quelques impatients déclarent même vouloir immédiatement toutes les libertés, sans exception ni conditions. On parle de la liberté de réunion en même temps et dans les mêmes termes que de la liberté d'association. On semble les mettre sur le même pied, les déclarant toutes deux de droit naturel.

Quant à moi, je crois qu'il importe de distinguer. Que le droit de réunion soit pour les hommes et les citoyens un droit naturel, cela peut et doit s'admettre. Le droit de se réunir et de s'assembler occasionnellement, quand on le désire, doit pouvoir s'exercer librement, à la condition, toutefois, qu'il s'exerce sans tumulte, sans

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