mais qu'on produit plus en travaillant moins, ni que le paresseux ait autant de mérite que le laborieux. La Revue trimestrielle d'Economie politique de M. Wiss (Berlin, Herbig), fascicule 62, renferme, en tête, un article de M. Hermann Scheffler, administrateur de chemin de fer, institulé: Des Bilans. Les lois de la plupart des pays imposent aux sociétés par actions l'obligation de publier périodiquement, ou au moins de soumettre annuellement à leurs actionnaires,- un bilan, c'est-àdire un état de situation, la mise en regard de l'actif et du passif de la société. Le législateur veut que les intéressés, public ou actionnaires, sans parler des obligataires auxquels personne ne semble penser, soient mis en état de comparer l'avoir et le devoir de la compagnie, et de se faire une idée de la situation. Les bilans se publient, mais la plupart sont rédigés avec une absence de clarté telle que le plus grand nombre, » qu'on nous permette cette expression familière, n'y voit que du feu. Nous ne dirons pas plus que M. Scheffler que ces bilans soient rendus obscurs avec intention; non, ils le deviennent par l'usage d'y réunir des articles ou « Items » réels avec des articles idéaux inscrits pour ordre, abstraits. Et pourquoi met-on ces articles qui manquent de réalité? C'est que le terme de bilan emporte la nécessité de balancer l'actif et le passif. Or le commun des lecteurs ne sait pas toujours distinguer la nature de chaque chiffre et il en résulte que satisfaction est donnée à la lettre de la loi, mais non à son esprit. Cette questions des Banking balance sheets est considérée comme si importante, qu'un projet de loi actuellement devant le Parlement anglais prescrit une forme de bilan, forme que les journaux anglais viennent de discuter. The Economist l'a même critiquée et dans son numéro du 17 mai dernier (p. 559) propose une autre formule. Les amateurs pourront étudier cette balance sheet à l'endroit indiqué. M. Scheffler fait plus, il étudie la valeur de tous les articles qu'on inscrit ou qu'on n'inscrit pas dans le bilan; il examine ce qu'il faut entendre par doit réel et doit apparent, par avoir réel et avoir apparent; il montre comment on doit indiquer le changement de valeur subit par un des articles; comment on doit estimer cette valeur, question bien plus compliquée, bien plus ardue qu'on ne pense,--et termine par une formule où il applique ses vues. Le travail de M. Scheffler est trop technique pour qu'on puisse utilement le résumer, sa formule est très-développée, et a besoin d'être motivée, mais si jamais la question des sociétés par actions arrive à l'ordre du jour, il conviendra de consulter ce travail d'un homme pratique et peut-être de s'en inspirer. Le deuxième article est de M. Wiss et étudie les moyens de lutter contre la peste. Espérons que cette terrible maladie, qu'on a heureusement combattue avec l'aide de l'élément qui purifie tout, le feu, ne sera jamais à l'ordre du jour. En attendons, passons. M. P.-Ch. Hansen a fourni le 3 article, il traite des logements ouvriers en Danemark. C'est un très-intéressant résumé de ce qui a été fait depuis 1588 jusqu'à nos jours. On voit que les logements ouvriers ont une histoire à Copenhague, où le roi Christian IV a fait bâtir tout un quartier: larges rues et petites maisons, pour les ouvriers de la marine. Beaucoup de ces maisonnettes, d'un style uniforme, très-simple, badigeonnées de la même couleur jaune, sont encore debout. En 1850 commença la série des entreprises dues à l'initiative privée et la série en a été longue. Beaucoup a été fait, et sous différentes formes; telle société a cherché à procurer aux ouvriers de petites maisons pour une famille en toute propriété; telle autre a construit de petites cités ouvrières, où il s'agissait de mettre à la disposition des familles peu aisées des logements sains, composés de une, deux ou trois chambres et une cuisine, à un prix bien inférieur au cours habituel des habitations à Copenhague ou dans d'autres villes. Nous passons les correspondances, les variétés et la bibliographie. Les comptes-rendus de livres sont souvent très-étendus et très-instructifs. Le Jahrbuch de MM. de Holtzendorff et L. Brentano, 3 année, fascicules 1 à 3 (Leipzig, Duncker u. Humblot) est sous nos yeux. Nous remarquons avant tout un exellent article de l'éminent professeur de Bonn, M. Nasse, sur la question : L'Etat peut-il prévenir les crises industrielles? Après avoir examiné et apprécié tout ce qui a pu être dit en faveur de l'affirmative il conclut négativement. Tout ce que l'Etat peut faire, c'est de ne pas se prêter à de trop brusques changements économiques et d'empêcher autant que possible les violentes crises politiques. Il attribue une influence un peu plus directe aux grandes banques centrales, réglant la circulation fiduciaire, ressentant rapidement les effets d'un mouvement accéléré, et pouvant, si elle y voit le symptôme fiévreux d'un état aigu du marché, immédiatement enrayer ce mouvement en faisant jouer le frein de l'escompte. Après avoir lu ce travail, écrit dans l'esprit économique le plus pur, reconnaissant l'action des lois naturelles, on se demande comment M. Nasse a pu se réunir au groupe dit des socialistes de la chaire, dont la plupart se plaisent à nier ces lois. C'est là précisément la seule différence théorique qui existe entre les Kathedersocialistes et nous nous admettons les lois, ils les nient; il y a ensuite quelques différences pratiques qui dépendent dans une forte mesure du tempérament d'un chacun. Le même fascicule renferme encore une lettre à M. Cernuschi, dans laquelle M. Hertza combat le bimétallisme avec de très-bons arguments; un article de M. Thun, sur l'industrie des soies de Crefeld et la crise, est un chapitre emprunté à un ouvrage avec lequel nous ferons plus amplement connaissance dans une prochaine revue; un article de M. F.-M. Toussaint sur l'organisation de l'arpentage et du cadastre, dans lequel l'auteur compare les procédés dans divers Etats; un article de M. L.-A. Muller sur les juridictions administratives en Bavière, deux articles sur des congrès; enfin, c'est la bonne bouche,- un petit article de M. Held sur notre Quintessence du socialisme de la chaire. On se rappelle que dans ce travail nous avons profité d'un résumé des vues du socialisme de la chaire, fait par un savant autorisé comme M. Held, pour combattre ces vues. Dans le Jahrbuch, M. Held nous répond, mais sans succès, nous a-t-on dit, ce qui ne nous étonne pas, car il n'aborde pas les questions au fond, mais cite mal deux ou trois passages et se donne le plaisir de réfuter ce que nous n'avons pas dit. Nous ne voyons aucune utilité à insister sur cette polémique, car ce n'était pas la personne de l'honorable M. Held que nous attaquions, mais certaines doctrines (1); ces doctrines nous les combattrons chaque fois que nous pourrons le faire utilement, et nous distinguons tellement l'auteur de son travail que rien ne nous empêchera de louer les travaux de M. Held chaque fois qu'ils le mériteront. Nous en avons l'occasion dès le fascicule suivant. Son article est naturellement le premier qui devait nous frapper en ce moment, puisqu'il est intitulé: Protection et libre-échange. La question est à l'ordre du jour dans le monde entier, et, circonstance spéciale, quelques semaines auparavant venait d'avoir lieu à Francfort un congrès organisé par le groupe de la « politique sociale », présidé par M. le professeur Nasse. Les protectionnistes ont saisi l'occasion, ils se sont entendus pour venir en masse, et ils on en effet emporté les principaux votes. Il est vrai qu'ils étaient soutenus par quelques membres de la Société, et notamment par un homme du talent de M. le professeur Schmoller, dont on pourra lire les discours dans le compte-rendu (Verhandlungen, etc. Ueber die Zolltarifvorlagen. Leipzig, Duncker et Humblot). Qu'on nous permette d'intercaller une parenthèse un peu longue, nous avons deux choses (1) D'une phrase qui a échappé à l'auteur il résulterait que ces messieurs ne veulent pas être confondus avec nous, les économistes classiques, pour qu'on ne puisse pas dire d'eux qu'ils sont les épigones d'Adam Smith. Ils veulent être des coryphées. De qui? à dire en passant: l'une est relative à M. Schmoller; ce savant se trompe s'il croit avoir converti les libre-échangistes parce qu'il n'est plus question de liberté absolue des échanges. Il est de nombreux libre-échangistes qui n'ont jamais rien voulu d'absolu, ils ont toujours tenu compte des nécessités de la pratique, qui commandent les transactions. Le second point que nous désirons relever s'applique à beaucoup de sociétés savantes: on y est trop formaliste. Qu'on imite les assemblées parlementaires pour tout ce qui concerne l'ordre et la régularité des travaux, c'est très-bien, mais qu'on n'oublie pas la différence qu'il y a entre une réunion de savants. et une assemblé de législateurs, souvent divisés en partis passionnés. Nous ne citerons pas les faits que nous avons en vue, nous désirons uniquement appeler l'attention des futurs congrès scientifiques sur les inconvénients de ce formalisme exagéré et parfois ridicule. Nous fermons la parenthèse. Nous n'avons pas perdu de vue l'article de M. Held, et nous désirons en faire l'éloge parce qu'il donne le spectacle d'efforts sérieux faits pour arriver à la vérité, malgré les liens dans lesquels on est retenu par certaines doctrines. Au point de vue de la pratique politique, administrative, commerciale ou autre, nous recommandons le procédé employé par M. Held: il fait abstraction des principes et étudie les faits dans leurs effets immédiats; or, cette étude lui montre que la protection ne fera pas le bien qu'on en attend, et même qu'elle produira souvent du mal. Cela n'empêche pas M. Held de déclarer que : « le libre-échange n'est pas un principe. » Au risque de nous faire ranger parmi les épigones, nous déclarerons qu'il y a là cependant un tout petit principe: le droit protecteur est un impôt établi sur les citoyens en faveur d'un ou de plusieurs particuliers, et les citoyens ne devraient payer l'impôt qu'à l'Etat. La cause du libre-échange en Allemagne doit être trèsforte, puisque M. Held a trouvé de bons arguments en sa faveur, sans s'appuyer sur ce principe fondamental. Il n'admet d'ailleurs la protection que comme un moyen transitoire, pour permettre à une jeune industrie de grandir, et qui devra disparaître au bout d'un certain temps; mais si l'on jugeait nécessaire d'acclimater une industrie dans un pays, ne vaudrait-il pas mieux lui accorder une subvention directe, ce qui permettrait de savoir exactement à quoi l'on s'engage? Un point sur lequel nous sommes encore relativement d'accord avec M. Held, c'est quand il s'élève contre ceux qui, dans la chaleur de la discussion, confondent la protection avec le socialisme. Qu'il y ait de la parenté, cela est évident, mais il nous semble qu'il est plus sage de se servir d'autres arguments. Le socialisme, qui était d'abord simplement un système de vues utopiques, est devenu un parti plus ou moins politique, avec des visées pour la plupart subversives; vous ne ferez donc jamais croire à un usinier ou à un grand manufacturier qu'il est socialiste, et le public, ou le gouvernement, ne le croiront pas non plus. Il faudra employer des arguments plus topiques. On comprend que M. Held ne dise pas exactement la même chose que nous, notre mouvement est parallèle, nous marchons dans la même direction, mais sans jamais nous rencontrer. Il ne s'agit ici, bien entendu, que des choses dont il vient d'être question; mais nous sommes disposé à converger vers lui lorsqu'il dit que du manchesterthum il déteste jusqu'au son du mot (il n'a qu'à l'éviter ). On sait qu'un certain groupe d'économistes allemands, les « socialistes de la chaire», ont donné aux économistes libéraux le sobriquet de « hommes de Manchester », terme que nous n'avons jamais pu nous appliquer, parce que, quelle que fût notre estime pour Cobden, que nous avons connu, nous n'avons absolument rien appris de lui, ni d'aucun habitant de Manchester. Par ce sobriquet on prétendait indiquer que les économistes libéraux ne sont que des libre-échangistes, et « rien que des libre-échangistes » (Nichts als Freihändler); c'est là encore un reproche que nous ne pouvions accepter. Eh bien, M. Held déclare la guerre à cette expression. Il trouve que le manchestérisme n'est nullement identique avec le libre-échange. Il en donne la définition qui suit (p. 183): « Le manchestérisme (1) » complet consiste à ne pas reconnaître d'autres intérêts que ceux du capital mobilier ou qu'on puisse satisfaire par les procédés commerciaux. Le vrai manchestérien est par principe un ennemi de la grande propriété, des militaires (de l'armée), de la bureaucratie. Une intervention de l'Etat qui n'a pas pour but de favoriser les affaires des grands capitalistes, ne lui paraît jamais justifiée. Pour lui, l'honneur national n'est qu'une chimère, et il n'y a de réel que les gros profits. Le manchestérien excuse l'esclavage et se prononce contre les lois de fabrique qui protégent les femmes et les enfants. Il est contre toute activité de l'Etat qui dépasse le maintien de la sécurité publique, et cela non parce qu'il a réellement soif de liberté et qu'il (1) Nous ne pouvons pas nous passer d'un équivalent pour le mot Manchesterthum, terme absurde qui ne fait pas honneur à son inventeur, mais qui existe. Ce qui est amusant pour nous autres spectateurs de la lutte, c'est que M. Held, s'étant prononcé contre la protection, semble avoir été qualifié d'homme de Manchester. Il est donc obligé de distinguer le manchestérisme du libre-échange, seulement, pour dégager ce dernier, il accumule sur le dos du premier toutes les opinions qui lui paraissent détestables. Il en résulte que ce n'est plus un portrait qu'il trace, mais une image de fantaisie qui ne ressemble à personne. |