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autres monuments, décors de la ville éternelle. Mais lorsque Constance vint au Forum de Trajan, construction unique sous le ciel, et, comme nous le pensons, que l'on peut avec le consentement des dieux appeler admirable, il s'arrêtait étonné portant son esprit vers ces gigantesques proportions indescriptibles et qui ne seront jamais reproduites. >>

Le splendide tableau que le vieux capitaine devenu conférencier faisait à ses auditeurs aurait à cette époque, trouvé des pendants dans les grandes capitales des provinces. Constantinople, Andrinople, Salonique, Lyon, pour ne pas en citer un plus grand nombre, avaient leurs monuments et, comme Rome elle-même, leurs égouts et leurs aqueducs. Partout il y avait des bibliothèques publiques. Elles étaient au moins au nombre de 29 dans la capitale de l'empire.

III

Mais ces établissements, ces édifices, ces ouvrages n'étaient comme les jardins suspendus de Babylone et les palais de Ninive qu'une affaire locale. Nous savons qu'il y avait de plus importants travaux pour la population de l'empire. Nous citerons ceux qui avaient été faits pour les routes et les ponts. Indiquons encore les mines où l'on récoltait les métaux plus ou moins précieux et le sel fossile. Les chemins et les grandes routes ont été dès le temps de la République et sont restés sous l'Empire une des grandes affaires du gouvernement. Un sénatus-consulte, rendu sous le consulat de • Jules César et d'Antoine, décida que ces routes seraient vues, visitées et mesurées à partir du Mille doré placé dans le forum, et considéré comme le centre du monde. On sait que des bornes chargées d'indications marquaient tous les milles pas la direction des routes et la distance du point où l'on se trouvait du Mille doré. Les routes principales étaient appelées dans tout le monde civilisé des routes royales, vix regales. Les autres de moindre importance conduisaient d'une ville à une autre ville de province. Les chemins vicinaux reliaient les communications avec les bourgs ou les grandes propriétés.

Le travail demandé par le sénatus-consulte dont nous avons parlé ne fut achevé qu'après trente-deux ans ; c'est alors qu'Agrippa fit peindre sur un portique une carte de l'empire où l'on avait tracé en couleur les villes, les cours d'eau, les routes, avec les lieux où les délégués de l'empereur trouveraient des maisons de repos, mansiones, dans lesquelles ils pourraient faire séjour, et ceux où il n'y avait que de simples abris sans importance et qui étaient des stations ou étapes, stativa. Cette carte dura des siècles. Elle était

corrigée suivant les événements. On y portait les routes nouvelles ; on en effaçait les anciennes quand elles étaient abandonnées. Les chefs militaires recevaient, avant de partir pour leurs commandements, la carte, itinerarium, des lieux par où ils devaient passer. Les séjours, les étapes, les localités où ils auraient des vivres, les postes aux chevaux avec le nombre des réquisitions qu'ils pourraient faire s'y trouvaient. Ces cartes indiquaient les bois, les défilés, les ponts qu'il fallait traverser; aucun obstacle n'y était oublié. Mais s'il était permis d'avoir des cartes générales pour enseigner la géographie, et il y en avait dans les écoles, il était défendu aux particuliers d'avoir des plans détaillés. On mentionne une condamnation à mort prononcée par Domitien contre un personnage qui avait un itinerarium sur parchemin et qui l'avait montré.

Quand ils avaient à construire une route, les Romains ne s'arrêtaient devant aucun obstacle. Ils la jetaient par-dessus les collines ou les lui faisaient traverser. La voie Flaminienne passait sous les Apennins. A Naples, une route souterraine avait été faite sous le mont Misène; une autre était sous le Pausilippe. Les rochers les plus durs étaient coupés pour laisser passer ces voies, qui traversaient les bois, les fleuves, les marais et qui franchissaient les vallées. A Narni, un pont réunissait ensemble les soramets de deux montagnes.

Les Romains avaient aussi des canaux. Comme les Egyptiens, ils savaient les employer aux irrigations, aux desséchements ou à la navigation. Le même canal servait parfois à plusieurs de ces usages. Un canal de desséchement, partant du Forum Appi, traversait les marais-pontins pour aboutir à Terracine; on l'employait pour la navigation. Un canal de desséchement portait souvent le nom de Emissarium. Tous les lettrés connaissent l'histoire de celui qui fut fait pour vider le lac d'Albe. C'était au temps de la guerre de Véies. Les oracles avaient dit que les Romains ne s'empareraient de cette ville qu'après avoir vidé le lac. Le déversoir fut creusé dans une seule campagne et Véies se rendit. Quant aux canaux d'irrigation, c'était une affaire entre particuliers; nos livres de droit s'en occupent à propos des servitudes.

Les Romains, établis à 25 kilomètres de la mer à peu près, avaient grand soin du port d'Ostie où s'abritaient leurs flottes. Ils l'avaient aggrandi et l'avaient recreusé. Ils veillaient à enlever les vases que le Tibre y apportait.

Le mot Pontife est absolument latin. Il a toujours désigné un homme revêtu d'une haute dignité sacerdotale. On en a souvent recherché l'origine et presque toujours on s'est arrêté à celle-ci,

qu'il signifiait un constructeur de ponts. C'est que l'art de traverser les fleuves sur des routes fixes était fort admiré. L'antiquité de ces ouvrages à Rome nous est prouvée par les plus anciennes histoires. Horatius Coclès arrêta l'armée de Porsenna en défendant le pont du Janicule. Et, en suivant les temps, nous constaterons l'enthousiasme causé par le pont si vite jeté par César à travers le Rhin. Deux siècles plus tard, Trajan, imitant César, soumettait le Danube et recevait aussi les applaudissements de ses contemporains.

Pendant l'Empire les travaux publics reçurent une grande extension. Une organisation savamment hiérarchisée présidait à la surveillance de ce qui était d'intérêt général. Il y a lieu de penser que les assemblées appelées convents, conventus ou forum, dernier mot que nous avons traduit par celui de foire, avaient une action sur ceux des travaux qui regardaient surtout une province. Nous le croyons d'autant mieux qu'au moyen âge nos états provinciaux avaient le soin des ouvrages publics. Nous savons que ces dernières assemblées dérivaient des premières, et qu'elles étaient composées de délégués, Legati, dont les droits et les devoirs sont consignés dans nos codes. Pendant que nos foires attiraient la foule, deux fois chaque année, dans la capitale de nos provinces, l'Orient continuait à faire du commerce et devait soigner ses voies de communication. Les points où se rencontraient les caravanes se développaient et devenaient des villes importantes. Ainsi grandit Palmyre dont le nom rappelle ceux d'Aurélien et de Zénobie. La conquête dévasta Palmyre et ses pareilles, puis l'empire Romain subit à son tour une transformation. La révolte des armées détruisit l'empire d'Occident et diminua beaucoup celui de Constantinople.

IV

Les Gaules n'avaient jamais obéi sans murmurer. Lorsqu'à la fin du ve siècle de notre ère toutes les nations résolurent de s'affranchir de la domination des empereurs, nos cités voulurent se rendre indépendantes. Partout on s'entendit avec les chefs des armées barbares campées sur les frontières, et la révolte fut à peu près générale. En l'an 408 de notre ère, les cités de l'Occident des Gaules avaient rompu avec l'Empire et s'étaient constituées en République. Les officiers de l'empereur se mirent à la tête de cette révolution pour rendre leurs fonctions définitivement héréditaires. La république des Armoriques ne vécut que jusqu'en 496, époque à laquelle elle accepta les secours, c'est-à-dire sa soumission à 4° SÉRIE, T. VIII.

15 octobre 1879.

8

Clovis, chef des Francs Saliens. Un traité avait certainement réglé les droits de ce roi; mais il ne s'en tint pas là. Il se fit nommer patrice et consul, afin d'exercer l'autorité que ces titres comportaient. Ainsi commença la lutte de la royauté contre les nobles seigneurs.

Au commencement du ve siècle les Gaules étaient couvertes de villes magnifiques. Des routes royales, d'autres de moindre importance sillonnaient le sol. On trouvait même de petits embranchements, canales, qui joignaient une route à une autre. Il y avait aussi des canaux, fossa. Marius passe pour avoir creusé les premiers qui ont été établis dans les Gaules. Les villes, qui avaient toutes un conseil municipal et des magistrats élus par le peuple ou par le conseil, continuèrent à entretenir leurs édifices publics. Elles ne reçurent plus de secours du trésor nationalet durent s'arrêter quand les dépenses étaient trop considérables. Elles laissèrent naturellement sans réparation ce qui avait été consacré au culte des faux dieux, aux fêtes du paganisme. De sorte que bien des monuments ont disparu dont nous regrettons la perte.

Les indications fournies par les livres, les inscriptions, ou par les constructions elles-mêmes prouvent qu'il y avait à ce moment environ 1,700 ponts que nous avons conservés. Il n'en a pas été ajouté beaucoup, car une statistique publiée en 1863 n'en comptait que 2,000 pour le temps actuel.

La séparation des Gaules d'avec l'Empire empêcha d'entreprendre de nouveaux ouvrages. Ainsi on ne faisait plus de travaux neufs et l'on négligeait d'entretenir les anciens. Les routes, les ponts n'étaient plus réparés. Les rois de la première race semblent ne pas s'être beaucoup occupés de ces choses, quoique les anciennes voies romaines aient porté dans certaines provinçes le nom de Chaussées de Brunehaut.

Les Carlovingiens tentèrent d'en revenir aux usages de l'empire Romain par les instructions données aux conseillers d'État en service extraordinaire, comtes à qui l'on donnait le titre de délégués du Maître, Missi Dominici discurrentes, envoyés ou chevaliers errants. Ces instructions leur disaient de faire construire des ponts et des routes où il en serait besoin et aussi de faire réparer les ouvrages détériorés. Les successeurs de Charles-le-Gros ne furent pas capables de se faire obéir, et l'on retomba dans le chaos d'où l'on était un moment sorti avec Pépin et Charlemagne.

Hugues Capet, en montant sur le trône, accepta la situation de chef de ses égaux, sans recevoir d'eux la faculté de les rendre obéissants. Par conséquent on continua à tellement négliger les

anciennes routes qu'il ne resta plus de ces grands travaux que des tronçons épars, à peine appréciables pour l'antiquaire.

L'histoire des premiers rois de la troisième race nous montre la lutte du pouvoir central contre les grands vassaux. Dans les récits sur cette époque on s'occupe beaucoup de la biographie des personnages, on ne s'attache pas à montrer le cadre dans lequel ils se sont trouvés. Sans doute, il est agréable de lire les exploits des guerriers et la description des fêtes dans lesquelles nos chevaliers montraient leur vaillance. C'est une étude attrayante dans laquelle on aperçoit les passions humaines jouant un rôle grandiose; car les bonnes et les mauvaises actions des souverains ont des effets considérables sur les populations.

Pourtant je préférerais à ces récits, ou plutôt je voudrais en outre, des données exactes sur les institutions de ces temps.

Et par exemple les ordonnances des rois de France contiennent des conventions faites entre Philippe VI, puis Jean son fils, avec les états du Languedoc. Il y est dit qu'en ce qui concerne les travaux publics le roi retirera ses délégués, Missi Dominici. Quels étaient ces états provinciaux? Comment étaient-ils composés ? Quels étaient les droits et les prétentions des Missi Dominici envoyés dans cette province. Je n'ai pas encore pénétré assez profondément dans ces époques pour en avoir dissipé toutes les obscurités; j'ai tenté l'entreprise, je l'indique à de plus hardis et de plus savants.

Les travaux qui intéressaient la nation entière étaient absolument négligés. On avait bien fait des églises, des hôtels de ville, des châteaux, refait quelques ponts, mais on ne créait plus guère de routes ou de canaux. Le spectacle qu'eurent nos rois, dans les expéditions qu'ils firent en Italie, leur donna le désir de faire des bâtiments d'un nouveau genre. Ainsi furent entrepris successivement le Louvre, les Tuileries, le Palais du Luxembourg, etc., etc. Ce n'étaient pas encore là des travaux d'intérêt général. Mentionnons cependant que sous le règne de François 1er les états de Bretagne avaient rendu la Vilaine navigable dans une certaine partie de son cours. A dater du règne de François Ier la lutte du pouvoir central contre les autorités locales prit un caractère de plus en plus âpre; le roi accentuait chaque jour ses prétentions.

Henri II, époux de Catherine de Médicis, suivit les errements de son père, en continuant les splendides constructions commencées ou projetées. En ce temps, les états du Languedoc autorisèrent un gentilhomme à créer un canal qui devait fertiliser la plaine de la Crau. Ce canal existe et est encore appelé canal de Craponne du nom de son auteur. Henri II avait en quelque sorte ressuscité l'institution des Missi Dominici. Il avait envoyé dans toutes les provinces

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