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paix publique. Les juges élus, dont le mandat est sur le point d'expirer, acquittent à l'unanimité leurs électeurs. Enfin, on arrive au grand jour du scrutin. La majorité réactionnaire qui a osé faire tirer sur le peuple est remplacée par une majorité démocratique et sociale. Tous les fonctionnaires bleus sont remplacés par des fonctionnaires rouges. On n'en compte pas moins de cinq millions, car « toutes les industries qui constituent des services publics, l'enseignement, les chemins de fer, les assurances, les usines, les grandes industries et le reste,

sont réunies entre les mains de l'Etat ». Les cinq millions de fonctionnaires rouges sont satisfaits; mais les fonctionnaires bleus, qui leur ont cédé la place, ne sont pas contents, et ils éprouvent des difficultés à se créer de nouveaux moyens d'existence. En attendant, ils se préparent à prendre leur revanche à la prochaine élection. Cependant la crise politique a cessé, le pays est calme et les affaires ne demandent qu'à marcher. Par malheur, les communes libres ont usé de leur liberté pour engager une guerre de tarifs. Les communes protectionnistes ont prohibé absolument les produits étrangers. La commune de Rouen a poussé les choses jusqu'à interdire le passage de son territoire aux calicots anglais. On fait déshabiller les voyageurs à la station de Rouen pour s'assurer s'ils ne cachent pas des marchandises prohibées. La ville de Bordeaux, au contraire, a proclamé le libre-échange universel, et elle se prévaut de sa qualité de commune libre pour interdire l'accès de son territoire aux douaniers et aux rats de cave. L'impôt rentre difficilement.

Nous ne devons pas achever le tableau et montrer comment finirait la république démocratique et sociale. A quoi bon ? Nous savons trop, hélas ! comment elle a l'habitude de finir; mais pourquoi faut-il que les cruelles leçons de l'expérience soient demeurées comme non avenues pour ses apôtres, et qu'eux aussi ils n'aient rien oublié et rien appris?(Journal des Débats.)

G. DE MOLINARI.

SOCIÉTÉ D'ÉCONOMIE POLITIQUE

RÉUNION DU 6 OCTOBRE 1879.

COMMUNICATIONS: Mort de M. Benjamin Smith; lettre de M. Michel Chevalier.

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campagne libre-échangiste par la Ligue des consommateurs. DISCUSSION: Moralité des emprunts à primes ou à lots. OUVRAGES PRÉSENTÉS.

M. Frédéric Passy, membre de l'Institut, a présidé cette réunion à laquelle avaient été invités: M. Horace White, rédacteur en chef de la Tribune de Chicago, M. Léon Chotteau, délégué du comité français pour le traité franco-américain, M. Cahuzac, secrétaire de ce comité, M. Franco, rédacteuren chef de l'Economista de Flo

rence.

Au début de la conversation générale, M. Joseph Garnierannonce la mort de M. Benjamin Smith, ancien membre de la chambre de commerce de Manchester et du Parlement, qui fut un des fondateurs de la ligue célèbre qui a obtenu la réforme douanière en Angleterre. Certainement M. le secrétaire perpétuel n'aurait pas oublié de citer le nom de ce vaillant champion de la liberté commerciale; mais M. Michel Chevalier lui a écrit pour lui rappeler les titres de ce digne homme au souvenir des économistes. Voici ses propres paroles:

<< M. Jules-Benjamin Smith, ami intime de Cobden, qui fut un des principaux personnages de la Ligue de Manchester et quia beaucoup aidé aux débuts de Cobden, lorsque celui-ci vint à la chambre de commerce de Manchester dont Benjamin Smith était un des membres les plus influents (peut-être le président). Il a toujours soutenu carrément la doctrine de la liberté du commerce, dans toute son étendue.

« Lorsque la Ligue fut en faveur dans l'opinion publique, et que plusieurs de ses membres furent envoyés au Parlement, Benjamin Smith fut élu à Stockport.

«Ila représenté cette ville un quart de siècle et il s'est retiré spontanément quand il s'est senti vieux.

« Il vient de mourir à 86 ans toujours plein de foi dans la liberté

commerciale, entendue à l'anglaise, c'est-à-dire très largement. A la chambre de commerce il a voté constamment avec Cobden et Bright.

« Au mois d'octobre 1859, lorsque je me rendis en Angleterre, pour faire à M. Gladstone la proposition du traité de commerce, c'était un secret qui était resté entre Cobden et moi. Bright, sans lequel Cobden ne voulait rien faire, n'était pas au courant du projet. Cobden pensa que je devais aller lui demander son assentiment et son concours, et il me fit accompagner dans cette démarche par Benjamin Smith. Par l'effet d'une interprétation inexacte, beaucoup d'Anglais, d'ailleurs tous free traders, répugnaient à un arrangement tel qu'un traité de commerce. Il était possible que Bright partageât cette prévention. Nous partimes donc ensemble, Benjamin Smith et moi, pour Rochedale, où résidait Bright. La présence de Benjamin Smith avec moi produisit le meilleur effet sur Bright qui, après quelques mots d'explications, me reçut à bras ouverts et m'embrassa, ce que les Anglais font rarement. >>

M. LE PRÉSIDENT, avant de consulter la réunion sur le sujet à mettre en discussion, exprime le regret de ne pas avoir à sa droite, comme il l'avait espéré, l'honorable Fernando Wood, président de la commission du budget (comité des voies et moyens), des EtatsUnis, qui a prononcé hier, au cirque des Champs-Elysées, un si admirable discours. M. F. Wood, venu en Europe pour sa santé, s'est trouvé fatigué de cette séance, dans laquelle il a déployé une puissance oratoire extraordinaire; il vient de se faire excuser.

A son défaut, l'Amérique est représentée ce soir par M. Horace White, rédacteur en chef de la Tribune de Chicago, et l'un des plus fermes champions des doctrines économiques aux Etats-Unis, dont les communications ont été plus d'une fois utilisées dans les publications du Cobden-Club, de Londres, et l'un des hommes qui se sont le plus sérieusement employés à préparer le rapprochement commercial de son pays et du nôtre. M. Léon Chotteau, délégué du comité français pour le traité franco-américain, assis en face de lui, à côté de son président, M. Wilson, et M. Cahuzac, secrétaire général de ce comité, savent quels services a rendus à cette cause l'intelligent journaliste américain. Qu'ils soient, ainsi que M. Franco, rédacteur en chef de l'Economista de Florence, les bienvenus au sein de la Société !

M. LE PRÉSIDENT annonce ensuite que M. Rameau, maire de Versailles, et le conseil municipal de cette ville, réalisant une bonne pensée déjà ancienne, vont joindre à leurs autres cours d'adultes un cours d'économie.politique. Ce cours, dont M. Frédé

ric Passy fera l'ouverture le 15 novembre, sera confié à M. Lucien Rabourdin, élève diplômé du cours de la chambre de commerce de Bordeaux, déjà connu par plusieurs années d'enseignement à Orléans et par des conférences très réussies dans le département d'Eure-et-Loir.

L'Association philotechnique de Paris, à laquelle M. Letort a prêté depuis deux ans son excellent concours, développe elle aussi l'enseignement économique. Un cours nouveau va être ouvert dans la section de Fontanes. D'autres suivront, si les professeurs ne font pas défaut ; et M. F. Passy fait à cet effet appel à ceux de ses collègues qui pourraient en indiquer.

Enfin, sur une question de M. le secrétaire perpétuel, M. Frédéric Passy donne quelques renseignements sur les travaux de la Conférence pour la réforme et la codification du droit international, à laquelle il s'est rendu, à Londres, au commencement d'août dernier, ainsi que sur le Congrès de l'Association française pour l'avancement des sciences, tenu à Montpellier à la fin du même mois, et dont il a présidé la quinzième section (économie politique, statistique et pédagogie). Entre autres conclusions dignes d'être mentionnées, cette section avait, à l'unanimité, émis le vœu que le gouvernement fût prié d'inscrire sur les pièces de monnaie, sans y rien changer d'ailleurs, quant à présent, le poids et le titre.

Cette requête si naturelle et dont les motifs n'ont pas besoin d'être rappelés ici n'a pas trouvé faveur auprès du conseil d'administration de l'Association, sans l'assentiment duquel les vœux des sections ne peuvent être soumis à l'assemblée générale, et la mesure réclamée a été repoussée comme inutile ou insuffisante. C'est peut-être, ajoute M. Frédéric Passy, une preuve de plus, parmi trop d'autres, de l'insuffisante instruction des hommes, à d'autres égards les plus instruits, en matière économique, et de la nécessité, par conséquent, de répandre partout les notions élémentaires de la science.

M. GEORGES RENAUD rend compte à la Société de la campagne libre-échangiste organisée dans le Midi par la Ligue pour la défense du consommateur et du contribuable. Cette campagne, poursuivie parallèlement avec celle de l'association pour la défense de la liberté du commerce, avait été inaugurée à Paris par deux conférences de MM. Pascal Duprat dans le 12 arrondissement et de Yves Guyot dans le 7° arrondissement. M. Renaud a continué la campagne dans le Vaucluse, où il s'est trouvé dans toutes les petites villes, centres agricoles du département, Cavaillon, Pertuis, Apt, Caumont, Avignon. Il a traité la question

ensuite au Congrès de Montpellier. Partout des vœux ont été émis en faveur du renouvellement des traités de commerce le plus promptement possible pendant le plus grand nombre d'années possible ». A Montpellier, M. Passy a demandé une addition afin d'obtenir des modérations de tarif s'il était possible au gouvernement de les faire accepter. Cette modification a été adoptée. Enfin, un industriel du Nord a demandé qu'on ajoutât l'indication d'une réduction graduelle des tarifs arrêtée à l'avance et échelonnée sur un certain nombre d'années, 20, par exemple. Cette modification a été également votée par la section, mais le Conseil de l'Association n'a pas voulu endosser la responsabilité de ces vœux, qui, dans son idée, l'eussent compromis.

M. Yves Guyot a continué la campagne par une conférence libre-échangiste à Nîmes, et M. Renaud par une grande réunion libre-échangiste de 1,200 personnes organisée au théâtre d'Auch, par M. Jean David, député, et sous sa présidence. L'auditoire a accueilli par de fréquents applaudissements les conclusions libreéchangistes des deux orateurs, ainsi qu'avaient fait dans le Vaucluse les nombreux auditoires de cinq, six, sept cents personnes qu'y avait attirées la parole de MM. Renaud et Saint-Martin, député d'Avignon. Les centres agricoles, qui ont souffert généralement, surtout dans le Sud-Est, sont partout protectionnistes, grâce au sommeil des libre-échangistes qui n'ont pas réagi assez tôt contre l'initiative protectionniste du Nord. A Apt, à Pertuis notamment, dont le député Naquet est absolument libre-échangiste, ces idées sont très accentuées. La manière dont la question leur a été posée, et l'exposé de l'impossibilité où était aucun gouvernement d'imposer le pain et la viande ont eu raison de ces idées irréfléchies et ont été accueillis partout par de très vifs applaudissements.

Après ces communications et la présentation de quelques écrits (voyez plus loin), il est procédé au choix d'une question pour l'entretien de la soirée et la majorité se prononce pour la question suivante :

LA MORALITÉ DES EMPRUNTS A LOTS OU A PRIMES.

La question était formulée en ces termes au programme, par M. Joseph Garnier: « Les primes aux premiers numéros sortants sont-elles immorales? >>

M. Joseph Garnier prend le premier la parole pour la position de la question.

Il fait remarquer que dans toute spéculation, dans toute entreprise, comme dans tout amusement, le hasard intervient peu ou

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