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l'hygiène, il conviendrait d'applaudir sans réserve à ce déplacement. En l'état, il n'avait point procuré aux ouvriers tous les avantages qu'ils étaient en droit d'en attendre: il en était résulté même l'inconvénient qu'ils se trouvaient maintenant plus éloignés de leurs patrons qu'autrefois.

Un des besoins les plus impérieux d'une grande agglomération d'hommes n'est pas encore entièrement satisfait à Manchester; on y boit des eaux pures, mais ces eaux ne sont point assez abondantes. La ville, cependant, vient d'être autorisée à capter la nappe du lac Thirlmere, qui couvre une surface de 200 hectares, mais ce n'a point été sans lenteur et sans quelque peine, nous assure-t-on, que cette autorisation a été obtenue. Le Parlement s'est fait tirer l'oreille jusqu'au dernier moment pour la donner, et l'évêque de Carlisle s'est fait l'interprète des doléances des sentimentalistes,

Ces amants de la nuit, des lacs, des cascatelles,

pour parler comme A. de Musset, qui jetaient les hauts cris à la perspective de voir s'édifier des villas et des cottages sur les collines dont le romantique Thirlmere est enceint, « comme s'il n'y en avait pas tout autour du lac Majeur et du lac de Come, sans que l'œil du touriste s'en offusquât le moins du monde. » Manchester va donc être pourvue d'une distribution libérale d'eau pure, et son système d'égouts marche vers son entier achèvement. Ses ordures sont déjà utilisées pour les besoins de l'agriculture, et il se fabrique avec elles, dans l'établissement municipal de Holt-Town, de 20 à 30,000 tonnes d'un engrais concentré, lesquelles vendues au bas taux de 50 francs la tonne laisseront à la ville un profit annuel de 2 à 2 fr. 50 c. la tonne, soit de 60 à 75,000 francs, qui viendra en déduction des 1,500,000 ou 1,700,000 francs que son nettoyage lui coûte bon an, mal an.

Aucune affection contagieuse n'a depuis plusieurs années ravagé ni Manchester ni Salford, son grand faubourg, et le taux de la mortalité n'y excède pas 20 à 22 pour 1000 en temps normal. Mais c'est là une moyenne, et le docteur Fraser se défie des moyennes. Elles unifient de grands écarts, et il sait, à n'en pas douter, que si dans la partie de la ville qu'il habite lui-même il ne meurt que 10 ou 12 personnes sur 1000, cette même proportion va jusqu'à 60 et 70, dans certaines cours ou ruelles de Salford. C'est quelque chose, cependant, que la fièvre typhoïde et le typhus aient disparu, quoique cela n'autorise point à regarder Manchester «< comme un paradis terrestre, voire une Arcadie. » Son évêque croit bien même que le Dr Richardson n'y songeait pas en traçant la peinture de sa cité modèle, de son Hygeia idéale; mais, ajoute-t-il : « on mourait

en Arcadie; il faut croire qu'on mourrait aussi en Hygeia, et si on mourait certainement à Manchester, c'était néanmoins une consolation de penser que la faute n'en était pas à l'incurie de ses édiles. » Mais, peut-être, ses habitants ne se soignent-ils point assez eux-mêmes et la sobriété ne paraissait pas leur fort, si on en jugeait par cette seule circonstance qu'on rencontre dans la ville 135 débits de boisson pour 1000 personnes, alors que dans la ville suédoise de Gothembourg, ce même rapport n'est que de 1 sur 1000.

Quelques jours avant la réunion du congrès, le prélat avait consacré un nouveau cimetière: il est situé à 8 kilomètres du centre de la ville, couvre une superficie de 39 hectares et a coûté pour son établissement la jolie somme de 2,500,000 francs, y compris l'achat du terrain. Le Dr Fraser loue la beauté du lieu et son parfait aménagement en vue de sa funèbre destination; mais pendant la cérémonie de consécration, il n'a pu s'empêcher de songer à deux choses, à son éloignement, qui était un grave inconvénient pour les gens pauvres, et à la diminution que les besoins croissants des municipalités et des travaux publics faisaient subir au sol arable. Or, il est d'avis qu'on ne s'inquiète point assez de cette circonstance, bien qu'elle réduise incessamment les ressources alimentaires du pays, déjà insuffisantes, et l'extension rapide des cimetières le préoccupe. La crémation des morts choque, il l'avoue, «ses sentiments et ses instincts »; mais il convient en même temps que c'est, peut-être, sans raison et sans logique, et il fait bon marché des scrupules religieux que ce procédé a parfois rencontrés. Il tient que a la terre a été faite pour l'homme et non l'homme pour la terre» dans le même sens que l'on dit « le Sabbat fait pour l'homme et non l'homme pour le Sabbat», et il n'admet pas «< qu'une foi intelligente puisse supposer qu'aucune doctrine chrétienne soit affectée par la façon dont notre corps mortel éprouve sa fin et voit sa corruption s'accomplir. »

Passant aux habitudes morales des populations du Lancashire, le prélat a constaté qu'à en juger par les seuls dépôts des caisses d'épargne, elles seraient les plus économes de toute l'Angleterre. Il paraît certain toutefois que les épreuves de la Cotton famine ont diminué chez elles le sentiment de la prévoyance et atteint leurs vieilles habitudes de dignité personnelle. Avant cette époque, un ouvrier du Lancashire aurait eu honte de rien demander à personne : aujourd'hui, ce scrupule se trouve encore chez quelques-uns, mais. d'autres ayant une fois appris le chemin du bureau de bienfaisance sont trop disposés à le reprendre. L'hiver de 1878 a vu à Manchester et à Salford de cruelles souffrances; elles ont sévi

pendant quatorze semaines, et des gens en mesure d'être bien informés, affirment que ces quatorze semaines ont plus grevé le budget de la charité que les quatorze mois de la Cotton famine. Une somme de 650,000 francs avait été réunie par voie de souscriptions publiques, et àun moment donné le comité chargé de répartir ces secours eut à sa charge 45,000 personnes, hommes, femmes et enfants, tandis que le Board of Guardians en assistait de son côté 20,000. Les résultats de cette double action n'ont guère été satisfaisants, et le Dr Fraser serait bien d'avis qu'il conviendrait d'introduire dans sa ville épiscopale le système de visites et de contrôle connu vulgairement sous le nom de système d'Elberfeld, quoique originaire de Hambourg. On l'essaie, en ce moment même, dans l'un des faubourgs de Manchester, celui de Pendlebury; mais l'épreuve a duré trop peu de temps encore pour que l'on puisse préjuger son succès ou son insuccès final.

Très nourri, comme tout bon scholar, des souvenirs de l'antiquité classique, le Dr Fraser a rappelé, en terminant son discours, le panégyrique d'Athènes, prononcé par Périclès sur la tombe des Athéniens tombés sur le champ de bataille pendant la première guerre du Péloponèse. L'orateur n'y vantait pas seulement l'heureuse situation d'Athènes et son grand commerce qui lui apportait les productions de tous les pays; il se félicitait encore de l'esprit sociable de ses habitants et des plaisirs aussi délicats que variés qu'ils rencontraient dans leurs murs. Sous le rapport commercial la grande Angleterre n'a certes rien à envier à la petite république. Mais le peuple anglais a-t-il, dans ses amusements, le goût raffiné du peuple athénien? Dans son admirable roman de Kenil worth Walter Scott fait dire au comte de Sussex qu'à toutes les fadaises de Skakespeare, il préfère le glorieux combat de maître Bruin avec un boule-dogue, et n'était la fausse honte, peut-être plus d'un membre du Peerage actuel avouerait la préférence du pair du XIVe siècle. Toujours est-il, pour parlerc omme l'évêque de Manchester, qu'il est peu de pays où les divertissements populaires tournent plus aisément qu'en Angleterre à la grossièreté et à l'indécence. L'acteur Charles Calvert, dont la scène anglaise regrette la perte récente, s'était efforcé dans son temps d'intéresser les ouvriers de Manchester et de quelques autres grands centres manufacturiers à des représentations théâtrales d'un ordre plus relevé que les farces vulgaires dont ils font volontiers leurs délices, et le D' Fraser avait encouragé cet effort «au risque d'être inscrit sur le livre noir de gens bien intentionnés, sans doute, mais moroses. » On ne change pas, malheureusement, en quelques années des habitudes séculaires, Charles Calvert s'en aperçut, et il disait lui

même que sa tentative avait échoué devant le mauvais goût du public, non seulement du parterre, mais des loges aussi.

Un des sujets dont nos voisins s'occupent le plus et dissertent le plus depuis quelques années est l'instruction, ou comme ils disent en terme plus générique, l'éducation publique, et l'abordant, qucique d'une façon incidente dans son discours, le Dr Fraser a établi que la loi de 1870, The elementary Education Act, quels que pussent être par ailleurs les vices de son mécanisme ou de son système, avait atteint son objet immédiat, c'est-à-dire une plus grande fréquentation des écoles. C'est ce que font voir les chiffres concernant les 27 principales villes de l'Angleterre que l'on rencontre dans le dernier Rapport adressé au Conseil privé sur cette matière. En 1871, la population scolaire de ces 27 villes ne dépassait pas le chiffre de 403,263 enfants, et en 1878, ce même chiffre a été de 803,143; en d'autres termes il a presque doublé. Le taux d'accroissement toutefois présente, selon les lieux, des différences très notables. De 26 0/0 seulement à Bath, il a été de 44 0/0 à Manchester, de 87 à Salford, 102 à Londres, 108 à Bolton, 135 à Bradford et Huddersfield, 136 à Newcastle-on-Tyne, 151 à Sheffield, 167 à Birmingham, 170 à Leeds, 183 à Hull et 197 à Leicester. Mais ce système, s'il a le mérite de faire affluer les enfants aux écoles, a le tort de trop isoler ces écoles les unes des autres et de ne pas graduer suffisamment l'enseignement qui s'y distribue. Ce reproche, le Dr Fraser l'adressait, il y a quatorze ans, aux errements d'alors et, au congrès de Manchester, il l'a de même adressé au système d'aujourd'hui. Une fois qu'il a atteint un certain niveau scolaire, qui n'est guère élevé, l'enfant anglais quitte l'école, ou s'il y reste ce n'est qu'à titre exceptionnel, et parce que ses parents ne reculent point devant de lourds sacrifices, tandis qu'aux Etats-Unis il parcourt successivement tous les degrés de l'échelle scolaire jusqu'à ce qu'il en ait monté le dernier. C'est ainsi qu'à Boston, ville dont la population se rapproche très sensiblement de celle de Manchester, et qui renferme 56,800 enfants dans l'âge scolaire, c'est-à-dire de 6 à 15 ans, on trouve 9 écoles supérieures, High Schools, que fréquentent 1,019 garçons et 1,053 filles; 49 écoles grammaticales, Grammar Schools, avec 12,471 garçons et 11, 392 filles et enfin 416 écoles élémentaires, peuplées de 18,463 enfants dont 10,314 garçons et 8,553 filles. Le tout, il est vrai, coûte à la ville la grosse somme annuelle de 1,865,720 dollars ou de 7,325,600 francs, et ce n'est pas toujours sans mau40 SERIE, T. VIII.

15 novembre 1879.

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gréer que les contribuables supportent la lourde taxe scolaire qu'elle fait peser sur eux.

L'évêque de Manchester n'a point caché ce fait; seulement pour lui, membre de ce haut clergé anglican si longtemps et si servilement attaché à la doctrine de la prérogative royale, en d'autres termes de l'absolutisme, c'est par son côté égalitaire et démocratique que le système américain le séduit. « Dans ce grand et généreux système,» s'est-il écrié, «<si généreux qu'il peut presque être taxé d'extravagance, l'enfant qui débute, à 5 ans, dans la plus basse classe de l'école primaire peut s'élever, pour peu que ses parents ne s'y opposent pas, jusqu'à la classe la plus élevée de l'école supérieure, et je me rappelle bien avec quel honnête orgueil l'admirable maître de la Latin High School de Boston me désignait son premier élève, fils, me dit-il, d'un briquetier irlandais qui s'apprêtait à entrer à l'Université d'Harvard, grâce à une de ces munificences privées si communes aux Etats-Unis et dont le vrai mérite bénéficie presque certainement. Il est facile de comprendre que la jouissance de pareils avantages réconcilie même le plus humble avec son lot terrestre, et la satisfaction qu'il ressent est immense à l'idée que son fils court la chance de devenir un jour président de la République, le nec plus ultra, pour un Yankee, de l'ambition humaine, à la conviction, en termes plus modestes, que dans sa patrie le talent ne trouve pas de voie barrée. »

Dans la section d'éducation M. Lyulph Stanley, qui la présidait, et M. S. Wilkins, professeur à l'Owens College, ont également traité de l'instruction secondaire et de l'instruction supérieure, mais de celle-là tout particulièrement. M. Stanley s'est plaint de l'insuffisant développement de l'instruction secondaire, surtout à l'endroit des filles, sujet déjà spécialement abordé par M. Mathew Arnold dans une grande Revue, et s'est déclaré partisan d'une inspection des Universités par l'Etat, sous la réserve qu'elle n'entraînât point l'uniformité de leur curriculum d'études et la destruction de leur propre individualité. Il a déclaré, en outre, qu'à tout ce qui pourrait se faire désormais en faveur de l'instruction secondaire, il fallait donner une base entièrement laïque, an unsectarian basis. M. Wilkins ne désire pas moins que M. Stanley une forte instruction secondaire pour son pays; mais il ne l'attend pas maîtres actuels de cet enseignement, lesquels, à l'entendre, ne savent ni ce qu'ils prétendent enseigner, ni comment l'enseigner, ni même ce qu'il faut enseigner. Il s'agit maintenant de savoir si le gouvernement peut en quelque chose remédier à cette situation. li pourrait selon M. Wilkins, qui n'accepte toutefois le moyen qu'avec une certaine hésitation, exiger de ces maîtres un titre univer

des

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