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semblable occurrence, on a parlé un peu de tout: du monopole des banques, d'associations coopératives, de corporations à reformer, des abus du crédit de consommation, des conseils de prud'hommes, de certificats de capacité ouvrière à créer, etc. Il y a lieu pourtant de constater que l'intervention officielle dans le domaine de l'industrie a rencontré assez peu d'adhérents, et un délégué genevois, M. A. Lombard, s'est fait très explicitement l'interprète de cet ordre d'idées.

Il est partisan déclaré du libre-échange et repousse le tarif de combat. Il ne veut pas non plus d'une banque centrale et tient pour les banques locales. Chaque communauté doit avoir son escompte propre, comme c'est le cas en Allemagne et surtout en Ecosse, où ce fait a largement contribué au développement de l'industrie. Or, M. le rapporteur n'a pas parlé du crédit industriel, chose très importante cependant. Enfin, M. Lombart n'est pas d'avis de réduire les heures scolaires au profit de l'instruction professionnelle, car cela ne pourrait que nuire au développement intellectuel des enfants. Par contre, il approuve l'idée des certificats de capacité, qui ne pourrait que contribuer à l'amélioration de l'industrie. Ces certificats, délivrés par des syndicats de patrons et d'ouvriers, ne rencontreraient, sans doute, pas d'opposition.

Il n'y aurait peut-être pas d'inconvénient à essayer. Quant au résultat, on peut rester indécis.

IV

Mais venons à l'autre question, qui figurait la première, comme je l'ai dit, dans le programme du congrès : la question de l'assurance.

-

On sait qu'en Suisse l'assurance a été généralement pratiquée, — l'assurance contre l'incendie, du moins, jusqu'à présent sous les auspices du monopole cantonal, et à titre obligatoire. Dans les cantons pastoraux l'assurance contre l'épizootie, vu son importance locale, a suivi le même régime et, précisément, une très récente communication adressée à l'Economiste français (1) en constatait les avantages. L'assurance sur la vie, d'origine beaucoup plus récente, procède de compagnies libres et concurrentes. L'assurance contre l'incendie tend même, depuis quelques années, à entrer dans cette voie. L'insuffisance de garanties du monopole cantonal, mise cruellement en relief, il y a quinze ans, par l'effroyable incendie de Glaris, n'a pas peu contribué à ce revirement, et Genève n'hésita plus, après une étude approfondie du sujet, pour laquelle l'éminent professeur A. de Candolle écrivit un mémoire des plus concluants, à renoncer à l'assurance par l'Etat, et y persiste, malgré des velléités de retour au passé émises dans le parti radical. Son exemple a été imité par Neuchâtel. Revenons au congrès.

(1) Lettre de M. Paul Muller.

4. SÉRIE, T. VIII. 15 novembre 1879.

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Voici en quels termes le comité central de la Société avait précisé les éléments du débat.

I. « La fondation et l'administration d'établissements d'assurance par l'Etat ou par les cantons est-elle désirable et justifiée ? Dans quelles branches et sous quels modes? Par quels motifs ne l'est-elle pas pour d'autre branches?

II.

« Une exclusion d'établissement concurrents à côté des institusions de l'Etat est-elle ou non justifiée par la nature des choses?

III. « Peut-on, en présence des articles 31 et 34 de la Constitution fédérale, et après que la surveillance des établissements d'assurance non institués par l'Etat aura passé exclusivement dans la compétence de la Confédération, déduire de ce fait un monopole, et à quelles conditions?

IV. «En vertu de quels motifs une obligation légale, soit générale, soit dans un établissement déterminé, d'assurer ses biens ou sa vie, estelle justifiée ? Et dans quel domaine d'assurance?

«En outre, une obligation de ce genre peut-elle être admise au point de vue constitutionnel? >>

Le rapport a été présenté par M. Kummer, directeur du bureau fédéral de statistique, dans un travail très complet qui renferme de nombreux renseignements sur les divers genres d'assurance. Ces renseignements sont nourris de relevés statistiques. Un chapitre spécial est consacré aux assurances suivantes : transports, accidents, grêle, bétail, sur la vie, mobilière et immobilière.

Ses conclusions peuvent être être résumées ainsi : L'assurance par l'Etat est justifiée quand l'initiative privée demeure insuffisante. Il serait désirable que les deux modes coexistassent et concourussent au but. — L'organisation fédérale de l'assurance n'est pas conciliable avec la continuation du monopole cantonal, mais cet état de choses peut être modifié. Le monopole n'est pas d'ailleurs absolument nécessaire. · L'assurance obligatoire, contraire, en principe, aux droits et à l'indépendance du citoyen, n'est légitime que lorsque celui qui l'impose accepte aussi la responsabilité pour l'assuré (obligation et coopération dans l'assurance sur la vie), ou lorsque l'assuré ne dispose pas de l'objet (bâtiments hypothéqués ou soumis à une administration publique).

Les deux thèses fondamentales du débat: assurance par l'Etat ou par les compagnies, assurance obligatoire ou volontaire, ont trouvé, pour ou contre, des champions habiles et convaincus : la première surtout. L'assurance obligatoire a été faiblement défendue. En tête des partisans de l'asssurance par l'Etat on a vu figurer M. de Gonzenbach, une des sommités du parti conservateur bernois. Cet orateur n'admet, en fait d'assurance, pas plus qu'en médecine, de règle absolue. Pour un petit pays, l'assurance par l'Etat n'est pas sans danger; cependant le sor de

Glaris ne lui paraît point un argument sans réplique; l'assurance fédérale y répondrait et elle ne présente pas des difficultés insurmontables. On a vu, depuis un siècle, disparaître bien des habitudes et des lois, ce qu'on jugeait impossible. Les sociétés ne veulent assurer que les bâtiments bien construits et les châteaux. Ne faut-il pas assurer aussi leg châlets? L'assurance est plus nécessaire aux pauvres qu'aux riches. Dans le canton des Grisons, les agents d'une grande compagnie ne veulent pas assurer tous les bâtiments, ou y mettent des conditions onéreuses. L'Etat a son honneur à sauvegarder, ses ressources, sa force contributive surtout, qui n'est point à dédaigner. Quand on a l'Etat derrière soi, on est tranquille, et c'est ce qui arrive aux porteurs de billets de la Banque cantonale de Berne. Les assurances contractées auprès des compagnies étrangères font sortir chaque année du pays des sommes considérables. Une assurance suisse, n'importe de quelle manière, voilà le vœu le plus cher de l'orateur.

M. A. Lombard, de Genève, déclare, au contraire, que les véritables principes économiques répugnent au monopole et à l'intervention de l'Etat partout où l'industrie privée peut donner satisfaction aux besoins.

En fin de compte, l'assemblée, par l'organe de son président, M. Schenk, a déclaré ne pas vouloir soumettre à un vote les idées produites de part et d'autre, se conformant d'ailleurs en cela aux traditions de la Société, qui n'a pas l'habitude de poser des maximes, et se borne plutôt à discuter des questions. (L'Economiste français.)

H. DAMETH.

LE PROJET DU CANAL INTEROCÉANIQUE.

Lorsque l'isthme de Suez fut percé, l'œuvre accomplie par les hommes du XIXe siècle n'avait fait que réaliser le vœu des anciens maîtres de l'Égypte; car, si nous en croyons les historiens arabes, le Pharaon qui régnait du temps d'Abraham avait déjà conçu le projet de couper l'isthme africain en l'honneur de la visite du patriarche et de sa femme Sarah, afin d'établir entre l'Égypte et l'Arabie une voie navigable.

Est-il donc bien vrai, comme le dit le vieux proverbe, qu'il n'y ait rien de nouveau sous le soleil, et que nos œuvres d'aujourd'hui ne soient pas vraiment nôtres ? Ceux qui avant nous ont parcouru le monde et y ont marqué leur trace, ont-ils tout découvert, n'ont-ils laissé à leurs descendants qu'à exécuter leurs propres desseins? - Et quand même cela serait! Ce que nos pères ont entrevu dans leurs rêves, les vastes projets qu'ils ont conçus, mais devant lesquels ils ont reculé, n'est-il

pas glorieux de les réaliser, et d'affirmer ainsi le progrès accompli par notre race, par notre siècle, pour qui les obstacles semblent avoir disparu?

Hier, c'était Suez que l'on perçait, et celui qui écrit ces lignes a peutêtre le droit de rappeler avec un légitime orgueil comment l'année 1869 a vu réaliser ce qu'avaient souhaité les Pharaons du soixantième siècle avant l'ère présente, ce que n'avaient pu faire les hommes qui bâtirent les Pyramides et desséchèrent le lac Moris.

Aujourd'hui, sur le continent américain, une œuvre semblable se prépare; on s'occupe de trancher la langue de terre qui sépare les deux parties du nouveau monde. L'idée n'est pas moderne pourtant : c'est en 1492 que fut découverte l'Amérique, en 1513 que Balboa reconnut l'existence de la mer Pacifique, en 1514 que l'on chercha pour la première fois à joindre les deux océans; et lorsque les aventuriers espagnols se furent assurés qu'il n'existait entre l'Atlantique et le Pacifique aucun passage naturel, ce furent les plus illustres d'entre eux qui songèrent à percer un canal à travers les contreforts des Cordillères. Tant il est vrai que la nature humaine a horreur des difficultés, et tant elle se sent d'audace pour en triompher; tant il est certain aussi que le commerce maritime du globe souhaite ardemment la création d'une ceinture navigable, permettant de faire le tour immédiat de la mappemonde en supprimant le détour du cap Horn, comme est déjà supprimé le détour du cap de Bonne-Espérance.

La création d'un canal destiné à réunir l'Atlantique à la mer Pacifique ayant été l'objet d'une importante et vive discussion, il a paru intéressant de rappeler et de résumer ici les débats qui se sont engagés sur cette question.

I

Les écrits des conquérants espagnols étaient depuis plus de deux siècles ensevelis dans la poussière des archives de Madrid, quand on songea de nouveau à percer l'isthme. Dès que l'élan fut donné, il y eut comme un enthousiasme général qui porta vers ce point tous les marins hardis, tous les penseurs généreux, tous les explorateurs avides d'ouvrir au monde un chemin nouveau. J'en aurais long à dire s'il me fallait citer tous les noms qui s'attachent à cette entreprise immortelle. Je veux saluer pourtant au passage nos contemporains les plus illustres: Nelson, Childs, Lloyd, notre compatriote Garella; je veux saluer sur tout l'illustce Thomé de Gamond, qui, le premier, rêva de percer l'isthme sous-marin de Calais à Douvres. Ce rêve se réalise aujour d'hui, et il a pu le voir entrepris avant de dormir du dernier sommeil. C'est la suprême consolation de ceux qui consacrent leur vie à la pour

suite des vérités utiles, que d'assister au commencement de leur triomphe.

De 1780 à nos jours, on a vu se succéder une foule de projets empruntant tous les points de passage de l'isthme, et constituant, les uns des études sérieuses et approfondies, les autres de pures fantaisies, où l'imagination avait plus de part que la science. Mais les sept dernières années ont produit plus que toutes les autres. Lorsque le canal de Suez s'ouvrit en 1869, il se produisit une révolution complète dans les relations commerciales du globe, et je ne doute pas que cet événement n'ait exercé une grande influence sur les études qui eurent pour objet le percement du canal américain. C'est en effet depuis 1871 que les explorations se sont suivies de plus près; savantes, hardies, persévérantes, elles sont revenues riches en documents précieux, prêtes à éclairer cette question si grosse d'inconnues. - Hommage soit ici rendu aux hommes de bonne volonté qui ont aidé la science à faire ce grand pas!

En même temps, les études géographiques jadis négligées en France avaient été remises en honneur à la suite d'une épreuve douloureuse qui en avait démontré l'utilité. Les grandes questions qui touchent à la géographie cessaient d'être le domaine d'un nombre restreint de privilégiés; elles commençaient à passionner le public, et les sociétés savantes qui les inscrivaient à leur programme se réunissaient avec éclat pour propager l'amour de la science et poser les bases d'études communes.

C'est ainsi qu'au Congrès international d'Anvers, le général Heine eut l'occasion de développer un projet de canal interocéanique dû à M. de Gogorza. Au Congrès de Paris, en 1875, le même sujet eut les honneurs mérités de plusieurs séances qu'il me fut donné de présider; mais les documents manquaient encore pour traiter la chose à fond. On se contenta d'exprimer des idées générales, et ce fut là qu'on émit le vœu de voir convoquer à bref délai un congrès spécial, ou, pour mieux dire, un jury international chargé de réunir et de coordonner tous les documents utiles, et de formuler un avis définitif, en pleine connaissance de cause, sur la possibilité technique et financière de l'œuvre.

Cette résolution eut pour effet puissant et considérable de donner une nouvelle impulsion aux explorateurs, aux marins, aux auteurs de projets, qui tous devaient s'ingénier à fournir au jugement du congrès des études complètes et d'une rigoureuse exactitude. Aussi, dès que l'on sut dans le public la réunion prochaine du jury dont j'ai parlé plus haut, deux sociétés se formèrent pour tenter des expéditions nouvelles : l'une visait au Nicaragua, poursuivant l'ancienne route de Thomé de Gamond et de Blanchet; l'autre, sous la présidence de l'éminent général Türr, explora le Sud, c'est-à-dire les régions du Darien et de Panama, marchant sur les traces de Garella, de Lacharme et de Selfridge. Les

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