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consommateurs, c'est ce renchérissement artificiel, c'est-à-dire un impôt mis sur tous au profit de quelques-uns.

Je propose, en un mot,que dans toutes les polémiques, toutes les discussions, tous les exposés de doctrines économiques, les partisans du libre-échange ne se servent plus que de l'expression vraie de renchérissement artificiel aux lieu et place de celles de protection et compensation.

Agréez, etc.

8 novembre 1879.

L. MARCHAL.

SOCIÉTÉ D'ÉCONOMIE POLITIQUE

RÉUNION DU 5 NOVEMBRE 1879.

COMMUNICATIONS: Mort de MM. Louis Reybaud, Henri Carey et Ernest Bréhau. - L'union douanière de la France et de la Suisse, de la Belgique et de la Hollande. La réunion publique pour le traité franco-américain. - Le congrès ouvrier de Marseille.

DISCUSSION: La question ouvrière.

OUVRAGES PRÉSENTÉS.

M. Fédéréric Passy, membre de l'Institut, un des vice-présidents de la Société, préside la réunion.

En ouvrant la séance, le Président, dans quelques paroles auxquelles s'associe la réunion, rend hommage à la mémoire de M. Louis Reybaud, récemment décédé à l'âge de 81 ans, et l'un des membres fondateurs de la Société des Economistes.

Atteint d'une surdité précoce, et depuis quelques années absolue, M. L. Reybaud, dit-il, était retenu loin de nous; mais son esprit actif n'est demeuré étranger à rien de ce qui se faisait dans le monde économique; il lisait avec intérêt les comptes-rendus de nos réunions.

Ecrivain fécond et laborieux, sa plume s'était exercée dans des genres très divers; il avait écrit des romans, des voyages; et même dans le cercle des questions économiques ses ouvrages ont marqué par une variété et une originalité qui font de lui une figure à part. Les premiers travaux qui l'avaient réellement signalé à l'attention du monde savant sont les Etudes sur les Réformateurs ou Socialistes modernes, livre intéressant et plein de verve, et par lequel lui

même peut-être fût gagné à la science. Dans Jérôme Paturot à la recherche d'une position sociale, bien que la forme ne fût pas aussi sérieuse, les idées sont assises et les doctrines affermies. C'est un livre qui sous des dehors légers cache en réalité beaucoup de profondeur.

Jérôme Paturot à la recherche de la meilleure des Républiques, écrit dans un temps de fièvre où il fallait aller vite et forcer les couleurs, ne garde pas, à distance, la même valeur. C'est un livre à relire cependant et dont certaines parties sont d'une grande vigueur et d'une vérité encore trop actuelle.

Mais le titre le plus considérable de notre regretté confrère, ce sont ses Etudes sur la condition des ouvriers employés dans les industries du fer, de la soie, du coton et de la laine. L'Académie, qui l'avait chargé de ce long travail, l'a entendu avec le plus vif intérêt et le public ne lui a pas fait moins bon accueil. C'est une œuvre qui restera, ne fût-ce que comme constatation de l'état de l'industrie française de 1860 a 1870, et qui sera consultée après nous comme nous consultons aujourd'hui les voyages d'Arthur Young quand nous voulons connaître l'état de la France et de son agriculture à la veille de la Révolution.

Comme homme, M. L. Reybaud était du caractère le plus bienveillant et le plus aimable, et ceux qui ont pu l'approcher garderont de lui le meilleur souvenir.

M. Carey, qui avait en Amérique une grande notoriété, était à beaucoup d'égards un adversaire plutôt qu'un allié. Chef du protectionnisme parmi ses compatriotes, du moins pendant la seconde et la plus active moitié de sa vie, ii a accumulé écrits sur écrits contre la liberté commerciale. Ce n'en était pas moins un homme de mérite, fort instruit, très laborieux, d'un fonds d'esprit original, d'ailleurs plein de bienveillance et comprenant la contradiction. Ses études sur la rente du sol, en opposition avec la théorie de Ricardo, sont incontestablement, qu'on admette ou non ses conclusions, parmi les documents à lire et à étudier. M. Carey était venu en France; il a été l'hôte de la Société, et les anciens se souviennent parfaitement de sa conversation vive et pleine de saillies.

M. JOSEPH GARNIER ajoute quelques mots à ce que vient de dire M. Passy pour rappeler, au sujet de M. Reybaud, une particularité qui concerne la Société d'Économie politique. Lors de la fondation de la Société et de la création du Journal des Economistes, à la fin de 1841, M. Louis Reybaud était un publiciste de bon sens, mais sans direction bien arrêtée au point de vue économique; c'est par

ses rapports avec les collaborateurs de la revue, les hommes éminents de la Société et le directeur de la librairie, M. Guillaumin, son ami, qu'il est devenu un des fermes défenseurs des principes économiques.

M. A. MANGIN apprend à la réunion la mort, à l'âge de 49 ans, de M. Ernest Brehaut, un des membres récemment admis. Il était attaché à la Bibliothèque nationale et professeur d'histoire au collège Chaptal.

Après la présentation de quelques écrits par M. le secrétaire perpétuel (voyez plus loin), la réunion entend diverses communications.

M. G. DE MOLINARI fait une communication relative aux unions douanières.

En publiant, dit-il, son projet d'une « Union douanière de l'Europe centrale » au mois de janvier dernier, il ne s'attendait pas à ce que cette idée trouvât un accueil aussi favorable; elle a été discutée dans presque toute la presse européenne, notamment dans la presse allemande et autrichienne; M. Gustave Bugmann, ancien député de Strasbourg, la développait dans la Gazette de l'Allemagne du Nord, en y annexant la question des transports à bon marché. Un publiciste alsacien, envisageant la question principalement au point de vue de la paix, s'écriait: c'est le Zollverein qui a été le père de l'unité allemande. L'union douanière entre l'Allemagne et la France serait la fin des guerres et le signe du progrès en Europe. Un autre publiciste alsacien, protectionniste celui-ci, M. Auguste Lalance, se rallie au Zollverein de l'Europe centrale, en affirmant qu'il est dans l'intérêt des nations continentales d'être libre-échangistes entre elles et protectionnistes vis-à-vis de l'Angleterre.

M. de Molinari n'a pas besoin de faire remarquer, dit-il, qu'il ne partage nullement cette manière de voir; une union douanière telle qu'il la conçoit ne serait pas dirigée contre l'Angleterre; ce ne serait pas une nouvelle édition du blocus continental, elle faciliterait au contraire les relations commerciales de l'Angleterre avec le continent. Enfin, il a reçu du syndicat des imprimeurs sur coton de Mulhouse une chaleureuse lettre d'adhésion et d'encouragement. En Suisse, l'idée de la suppression des barrières intérieures du continent n'a pas trouvé moins d'écho qu'en Alsace. Deux jeunes et intelligents négociants de Zurich, MM. Emile et Charles Dreyfus, lui ont écrit pour lui proposer de constituer un comité qui se chargerait d'étudier d'abord la question d'une union douanière entre la France et la Suisse, comme un acheminement à une union plus

étendue. Il s'est empressé d'accepter cette proposition et il s'est rendu à Lucerne où une réunion préparatoire avait été convoquée, le 12 octobre dernier. Des industriels notables de Zurich, Winterthur, Saint-Gall, etc., yassistaient. Le département fédéral du commerce y avait délégué son secrétaire, M. le Dr Willi; on y remarquait encore les conseillers nationaux Bucker et Steiner, le général Schumacher, le colonel Weber Disteli, M. Steinman Bucher, auteur d'une brochure relative à l'union douanière. M. Émile Dreyfus a ouvert la séance par un discours dans lequel il a fait vivement ressortir les avantages qui résulteraient pour la Suisse d'un rapprochement commercial avec la France. C'est la Suisse, a-t-il dit, qui a, la première, pratiqué le droit d'asile, c'est sur son territoire qu'a pris naissance la convention internationale pour les se cours aux blessés, que la question de l'Alabama a été résolue et que l'union universelle des postes a été conclue; notre tâche doit être aujourd'hui de faire triompher le principes du libre-échange. Les petites unions conduiront à la grande. M. de Molinari a pris ensuite la parole et il a développé les avantages d'un Zollverein central européen, lequel demeurerait d'ailleurs ouvert et auquel les autres nations, l'Italie, l'Espagne, etc., pourraient se rattacher. Il pense que la manière la plus pratique de procéder c'est de conclure des unions partielles; il est question en ce moment d'une union douanière entre l'Allemagne et l'Autriche, travaillons à en conclure une autre entre la Suisse et la France; la Hollande et la Belgique sont disposées, de leur côté, à mettre fin par un rapprochement commercial à leurs vieilles querelles politiques. Ces unions partielles finiront par fusionner, et les barrières douanières qui ne sont plus qu'un anachronisme en présence du développement des chemins de fer et de la multiplication des relations internationales disparaîtront de l'Europe. Les conseillers nationaux MM. Bucher et Steiner ont répondu à M. de Molinari, en lui opposant principalement des objections d'un caractère politique; une union douanière serait, à leur avis, la perte de l'indépendance de la Suisse, car elle entraînerait fatalement son absorption par la France. Un industriel notable de Winterthur, M. Rieter Fenner, appuyé par le commandant Lang, s'est attaché à dissiper les craintes des deux précédents orateurs, en montrant, au contraire, l'existence de la Suisse fortifiée par l'essor que l'extension de ses débouchés ne manquerait pas de procurer à son industrie. MM. de Molinari et Dreyfus ont fait remarquer encore qu'il s'agirait non pas d'une union fermée, mais d'une union ouverte, puis, sur la proposition de M. legénéral Schumacher, la réunion a décidé qu'il y avait lieu de constituer un comité et elle en a désigné les membres. Ce comité est entré en

fonctions et, d'après les informations que l'orateur a reçues récemment, il a recueilli des adhésions importantes dans toutes les parties de la Suisse.

De Lucerne, M. de Molinari s'est rendu en Belgique et en Ho!lande, où l'opinion est depuis longtemps acquise à la cause de la liberté commerciale. M. de Molinari a communiqué déjà à la Société le remarquable rapport de la chambre de commerce de Verviers sur son projet d'union de l'Europe centrale. Au congrès de géographie commerciale qui a eu lieu à Bruxelles au mois de septembre, un vœu a été émis en faveur de l'union douanière entre la Belgique et la Hollande. Le ministre des finances actuel de Hollande, M. Visserings, est un économiste des plus distingués, ancien professeur à l'Université de Leyde. M. de Molinari a pu constater chez lui les dispositions les plus sympathiques à un rapprochement commercial des deux pays et, à son passage à Bruxelles, après sa visite à La Haye, il a été charmé de rencontrer des dispositions favorables chez M. Frère Orban, ministre des affaires étrangères et libre-échangiste d'ancienne date.

Le PRÉSIDENT remercie l'orateur de cette intéressante communication et le félicite d'avoir engagé cette nouvelle campagne dans l'intérêt de la cause de la liberté commerciale.

M. FOUCHER DE CAREIL, sénateur, entretient la réunion de l'état des négociations préparatoires, exclusivement dues à l'initiative du comité franco-américain en vue de la conclusion d'un traité de commerce entre la France et les Etats-Unis.

Ce comité n'a rien négligé depuis un an pour assurer cet important résultat. Son délégué, M. Chotteau, est retourné en Amérique où il a fait une seconde campagne de sept mois qu'il a racontée dans un écrit intitulé: « Mes deux campagnes en Amérique. » Cette fois il a surtout visité les diverses chambres de commerce. M. Cyrus Field, le grand ingénieur, leur a adressé un pressant appel à la suite duquel de nombreux meetings ont eu lieu. Toutes n'ont pas adhéré aux idées libre-échangistes et l'on a fait grand bruit d'une décision récente de la chambre de San Francisco qui a été d'ailleurs, comme il arrive trop souvent, très mal interprétée dans les dépêches et les télégrammes français. Ce qui est incontestable, après avoir lu le rapport de M. Chotteau, c'est que la très grande majorité des chambres de commerce est favorable non pas au libre-échange (il ne s'agit pas de cela et c'est ce qui a motivé l'équivoque), mais bien à un traité de commerce avec la France sur les bases d'une juste réciprocité ! En Amérique, pays d'opinion et de

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