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reuse conception. Il était aussi bien difficile, après les exemples donnés par l'Angleterre et les Etats-Unis, d'ajouter de nouvelles rentes perpétuelles à notre dette. Chose curieuse, l'emprunt Morgan, contracté au milieu de nos désastres, fournissait lui-même à cet égard un modèle à suivre. Ce nouveau 3 0/0 soumis à un amortissement automatique, le seul vraiment efficace, doit, on le sait, disparaître 75 ans après chacune de ses émissions.

Les dépenses des travaux publics soldées sur ce dernier fonds figurent, depuis 1879, au budget sur ressources extraordinaires. Mais ce qu'on doit surtout regretter, à propos de nos deux budgets, ordinaire et extraordinaire, si largement pourvus, c'est leur insuffisance à côté de ces deux grands courants; car, là où se versent nos épargnes et quelquefois nos capitaux, s'en rencontrent beaucoup d'autres, à flots aussi pressés, sinon aussi nombreux, je le rappelais au commencement de ce travail. Les plus fâcheux sont ceux qui forment les crédits supplémentaires ou extraordinaires, qu'on ne découvre souvent que lorsqu'ils sont épuisés. Veut-on s'édifier surle respect accordé, parmi nous, aux budgets primitifs, véritables, qu'on ouvre le compte général de l'administration des finances pour 1869. On y retrouvera année par année, de 1840 à 1869, la somme des crédits supplémentaires ajoutés aux crédits réguliers. Or, sur ces vingt-neuf années, il n'en est qu'une seule où les dépenses réalisées aient été au-dessous des dépenses prévues. La plupart du temps ces dernières sont dépassées de 100 et de 200 millions; tandis qu'elles n'ont été, dans le même laps de temps, qu'exceptionnellement atteintes en Angleterre. En somme, l'excédant des dépenses, de 1840 à 1869, se monte à 5 milliards 186 millions. Dans ces dernières années, les crédits supplémentaires ont constamment dépassé 100 millions, si ce n'est en 1877; ils ont été de 125 millions en 1875, de 187 millions en 1876. Où nous aurait conduit une semblable administration financière si la fortune ne nous avait autant protégés? Quel respect du budget, quelle comptabilité sont possibles avec de tels usages? Ce serait déjà trop que les dépenses absorbassent toutes les annulations de crédit opérées en fin d'exercice; lesquelles se sont élevées à plus de 50 millions en 1875, et à plus de 120 millions en 1876.

Pour mettre fin aux dépenses exagérées, M. Léon Say demandait que, à l'exemple du Parlement anglais, le nôtre s'interdit d'ajouter aucune proposition budgétaire à celles du gouvernement. Mais nos Chambres ne sont pas seules coupables; que de crédits elles ont ratifiés, sans les avoir préalablement votés ! Quand l'un de nos ministres a-t-il énergiquement, réellement combattu les réclamations intéressées de quelque député ou de quelque sénateur,

aboutissant à de nouvelles subventions ou à de nouveaux traitements? M. Say ni aucun de ses prédécesseurs n'ont jamais encore justifié le portrait que traçait M. Gladstone d'un vrai ministre des finances, en le comparant à un voyageur qui marche à son but, entouré partout d'opiniâtres larrons. Le but, ajoutait-il, c'est l'équilibre du budget, les larrons, ce sont les administrations et leurs partisans. M. Say demandait lui-même cette année de rétablir les inutiles (1) perceptions des villes, portait de 20 à 36 les perceptions de Paris et augmentait le budget de 1880 de 53 millions sur celui de 1879.

Je lui en voudrais presque d'avoir autant cherché à convaincre, par de curieux rapprochements d'ailleurs, de l'essor de notre richesse depuis un demi-siècle. Que nos impositions, si lourdes qu'elles semblent, ne prélèvent pas une plus large part de nos revenus que celles, beaucoup plus restreintes, du gouvernement de juillet, c'est possible. Les déclarations des droits de succession depuis 1840, que M. Say invoquait dans son discours sur le budget de 1877, fournissent la preuve de cet accroissement de fortune (2). Mais cela justifie-t-il toutes les dépenses faites ou proposées ? Avant de monter à la tribune, M. Say aurait, je crois, bien fait de relire quelques chapitres de son illustre aïeul sur la mission des gouvernements ou l'importance de l'épargne. La France n'était pas, en outre, il y a quarante ans, le pays le plus grevé du monde entier, n'avait pas éprouvé les maux qu'elle vient de subir et ne redoutait pas les périls économiques et politiques qui la menacent. Plusieurs publicistes ont, de même, remarqué que notre budget ne prélève pas une part de nos revenus, sextuplés depuis 1789 (3), plus considérable que celui présenté par Necker; mais aucun d'eux non plus n'a prouvé que les 531 millions réclamés par Necker parussent alors faciles à recouvrer; et qu'il s'en faut que la richesse des autres peuples, avec lesquels nous nous trouvons maintenant partout en concurrence, soit restée stationnaire ! Les recettes de l'income-tax prouvent mieux que toute comparaison entre déclarations successorales que la fortune anglaise, par exemple, s'est prodigieusement développée depuis que Robert Peel a commencé les bienfaisants dégrèvements qui, depuis, ne se sont plus arrêtés. Consultez les ouvrages de MM. Porter, Dudley

(1) Inutiles avec les recettes générales et particulières.

(2) D'après ces déclarations, notre richesse aurait augmenté de 50 p. 100 de 1840 à 1861, de plus de 50 pour 100 de 1861 à 1874. De 1840 à 1874, l'accroissement serait de 133 pour 100.

(3) En tenant compte de la perte de moitié de valeur des métaux précieux.

Baxter, Robert Giffen et vous en serez encore mieux convaincus. Les satisfactions de Pangloss nous siéraient mal, quand nos budgets généraux, départementaux et communaux absorbent plus de 12 1/2 p. 100 de l'ensemble de nos revenus, tandis qu'en Belgique les mêmes budgets ne prélèvent que 6 p. 100 et en Angleterre que 8 p. 100 des mêmes revenus. La richesse territoriale est restée, parmi nous, la plus considérable, nos populations rurales sont de beaucoup les plus nombreuses et, d'après les publications du ministère des finances, le revenu net des immeubles et des propriétés bâties, le revenu des maisons étant le sixième de celui des immeubles, était parmi nous, en 1874, de 3 milliards 959 millions, dont l'impôt foncier seul, en principal et en centimes additionnels, abstraction faite de toute autre taxe grevant la terre, prélevait 8 1/2 p. 100: dans quelle autre contrée trouverait-on un fait semblable?

II

Les budgets de 1870 et de 1871 n'ont été qu'une suite de comptes de guerre et d'expédients de trésorerie. Ceux de 1872, 1873, 1874 représentent une période d'essaiet de transition, et je n'ai pas besoin de dire qu'ils se sont soldés, comme les deux précédents, en déficit. Pour 1872, le déficit s'est élevé à 81,917,283 fr.; pour 1873, à 44,982,565 fr.; pour 1874, à 64,414,280 fr., soit, en totalité, à 191 millions. Les budgets de 1875, de 1876 et de 1877, non encore réglés, se solderont, au contraire, mais fort irrégulièrement, en excédant de recettes, qu'on peut assez exactement estimer à 66 millions et demi pour 1875, à 75 millions et demi pour 1876 et à 30 millions en 1877. Ce qui donne, à 20 millions près, l'équivalent des déficits des trois années antérieures. Pour 1878, il y aura pareillement un excédant de recettes tout aussi réduit et tout aussi irrégulier. Bien peu de personnes savent que l'unique budget de 1829 s'est soldé en équilibre, sans emprunt ni taxe additionnelle, depuis Colbert. Serait-ce pour dissimuler, autant qu'il se peut, les résultats d'une telle gestion financière qu'on tarde tant à régler nos budgets? La Cour des comptes, fidèle copie, due à Napoléon, des Chambres des comptes de l'ancienne monarchie, ne perdrait pourtant rien de sa considération ni de son utilité, en apportant moins de lenteur à ses travaux, fort mal appréciés d'ailleurs en général.

C'est à l'emprunt qu'on a toujours demandé de pourvoir aux déficits, sans parvenir souvent à les combler. M. Wolowski avait trop raison de dire à l'Assemblée nationale, dans son rapport du budget de 1876, à propos des finances du second Empire : « Le dé

ficit dans le règlement du budget annuel était devenu comme le fait normal de l'administration de l'Empire, malgré les emprunts successifs qui ont accru de 120 millions d'arrérages le montant de la dette inscrite, sans tenir compte de la conversion qui avait réduit d'une vingtaine de millions la charge des intérêts. » Mais l'emprunt s'est uni, depuis 1870, à l'impôt dans de bien autres proportions et, je le montrais à l'instant, les déficits ne s'en sont pas moins largement développés. Si favorable qu'il fût à toutes les œuvres de l'Assemblée nationale, M. Wolowski se croyait forcé, avant de parler des emprunts, d'ajouter dans le rapport que je viens de citer, pour atténuer l'effet fâcheux des nouveaux impôts, portés successivement à 800 millions et votés par cette Assemblée : «Beaucoup de ces impôts nouveaux ne se justifient que par la dure loi de la nécessité..... Ce n'étaient pas les débats des temps calmes qu'on avait à poursuivre; il fallait courir au plus pressé; il fallait quelquefois s'écarter des enseignements de la science financière et préférer l'impôt le plus facile et le plus sûr à percevoir à l'avantage des taxes mieux équilibrées et plus rationnelles, mais exigeant d'autres habitudes et présentant les difficultés d'une assiette immédiate. »>

En réalité, tous les impôts établis dans le passé ou le présent. ont été appliqués, et quand l'érudition a fait défaut, l'on a recouru à l'imagination, parfois la plus singulière. L'on n'a pas craint, par exemple, de faire de la fabrication des allumettes un monopole d'Etat et de reconstituer, pour les vendre, une sorte de ferme générale. On n'a guère renoncé qu'à l'ancienne taxe des tulipes de la Hollande et à celle des perruques de la république de Venise. Aussi que d'épargnes perdues, de capitaux détruits, de bonheur et de jouissances pour toujours disparus ! Cependant, quoi qu'on ait souvent admiré la grandeur financière de l'Angleterre, soldant, sans arrêter sa marche ascendante, les énormes dépenses de ses guerres d'avant 1815, peut-être avons-nous plus facilement satisfait encore à nos derniers besoins, infiniment plus considérables. C'est que l'industrie, cette merveilleuse et unique pourvoyeuse, je me plais à revenir à cette pensée, qui, grâce au génie des Watt, des Arkwright, des Adam Smith, avait engendré les richesses qui, sous l'incomparable direction de Pitt, ont alimenté le trésor anglais, a, grâce également à ces grands serviteurs de l'humanité, pour rappeler le langage de Bacon, et à leurs successeurs, les Fulton, les Stephenson, les Ampère, les Cobden, fourni les ressources qui nous étaient nécessaires. Il nous a malheureusement manqué un Pitt.

La critique la plus répétée adressée à nos nouveaux impôts, c'est

4 SÉRIE. T. VIII.

15 décembre 1879.

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d'être des impôts indirects, destinés principalement à ménager la fortune territoriale. M. Wolowski, que je cite d'autant plus volontiers qu'il exprime mieux l'opinion courante, reproduisait longuement cette critique lorsqu'il proposait, dans la discussion du budget de 1874, de rétablir, au profit de l'Etat, les 17 centimes additionnels remis sur la taxe foncière en 1850. Ce qui aurait produit, eu égard à la taxe existante, une recette supplémentaire de 28 millions. C'est aux contributions indirectes, il est vrai, qu'on a puisé de préférence pour faire face aux charges laissées par la guerre et la révolution, parce qu'elles offrent maintenant, surtout sous la forme des taxes de consommation, les secours les plus abondants. La richesse mobilière n'a pourtant pas été non plus oubliée, et comment l'aurait-elle été avec les développements si rapides qu'elle prend chaque année? Il aurait même été équitable d'en réclamer une plus importante assistance, tout en tenant compte des ménagements qu'imposent ses faciles transports et sa nature variable. Mais la richesse foncière a-t-elle réellement été favorisée? Elle est encore de beaucoup la plus grevée, puisque dans nos 600 millions de taxes directes les deux tiers proviennent d'elle seule à peu près, quoiqu'elle dépasse peu la richesse mobilière aujourd'hui. M. Victor Bonnet, dont la compétence n'est pas douteuse, tient que notre fortune mobilière paye 10 p. 100 de ses . revenus et notre fortune immobilière 17 ou 18 p. 100. Pour moi, je crois cette différence plus marquée encore, et combien de nombreuses et lourdes contributions ont atteint indirectement, depuis quelques années, cette dernière forme de la richesse ! N'est-ce pas elle, effectivement, qui souffre le plus des droits d'enregistrement et de timbre, qui dépassent infiniment, en France, les droits semblables de l'étranger? Ne sont-ce pas les produits qu'elle vend ou qu'elle achète qui, à raison de leur poids et de leur volume, sont le plus grevés par les taxes de transport? Et d'où proviennent aussi, pour la plus grande portion, nos 700 millions d'impositions départementales ou communales? M. Léon Say faisait remarquer à la Chambre des députés, il y a deux ans, que les centimes additionnels départementaux aux contributions directes, qui ne dépassaient pas 60 millions en 1838, et que les centimes communaux, qui n'étaient non plus alors que de 32 millions, se trouvaient être, en 1875, de plus de 144 et de 143 millions; soit, en moins de 40 ans, une augmentation de 140 et de plus de 400 p. 100. Quelle richesse souffre le plus d'une telle charge, si ce n'est celle qui paye les deux tiers du principal? Tout ensemble les taxes d'octroi, qui se doivent évaluer, je l'ai dit, à 235 ou 240 millions, ainsi que les prestations, représentant environ 860 millions, ne pèsent-elles

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