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que de 30 ou 40 millions sur l'ancienne annuité de la Banque, de 150 millions économisés sur nos divers services, ce que le moindre ministre des finances fera quand il le voudra,-et des plus-values d'impôts, qu'il est impossible d'évaluer à moins de 130 millions, puisqu'elles dépassent déjà cette somme, qu'on aurait une ressource disponible de plus de 300 millions pour diminuer notre fardeau fiscal et pour songer à l'amortissement de notre dette. Quelle aisance, quelle prospérité, quels féconds travaux, quelles consommations nouvelles, quelle réelle indépendance naîtraient d'une telle épargne! Jamais, malgré toutes les prétentions révolutionnaires, ni changements de Constitution, ni changements de gouvernants ne vaudraient autant de bienfaits. Se peut-il qu'après des échecs aussi répétés nous ne nous persuadions pas encore que chaque réforme désirable exige les conditions matérielles, qu'ils l'autorisent et la peuvent seules rendre utile? Nous ne savons par malheur, comme le héros du poète, que poursuivre dans le vide les fantômes qui nous apparaissent.

Irruat, et frustra ferro diverberet umbras.

Il importe de connaître, sous ses différentes formes, la répartition de notre dette:

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Nulle part encore pareille dette n'avait existé. La dette anglaise

(1) V. Traité de la science des finances, de M. Leroy-Beaulieu, t. II, p. 464.

était loin d'en approcher quand Napoléon, comme l'avait déjà fait Rousseau, annonçait l'inévitable et prochaine banqueroute de l'Angleterre. Ce n'est pas tout cependant; le 3 pour 100 amortissable, qui doit au moins atteindre 5 milliards d'ici dix ans, va s'ajouter à cette dette. Il s'éteindra sans doute par des tirages annuels, éche lonnés sur soixante-quinze ans, semblables à celui qui a eu lieu au mois de mars dernier, mais ce n'en est pas moins une nouvelle charge avec laquelle il y a lieu de compter et de beaucoup compter. Que serait-ce si l'on commettait l'impardonnable faute de racheter les chemins de fer? On doit néanmoins remarquer que l'annuité de 5 p. 100 des sommes empruntées sous la forme amortissable, et qui semblait nécessaire pour en garantir l'intérêt et l'amortissement, ne sera pas atteinte. Les 439 millions empruntés déjà et émis à peu près sur le cours de 80 francs, n'obligent qu'à une annuité de 19 millions et demi, en laissant un bénéfice de plus 2 millions. Or, il serait difficile d'admettre que les prochaines livraisons se fissent à un cours moins élevé, puisque ce fonds dépasse maintenant 84 francs.

Pour les autres titres de notre dette, le 3, le 4, le 4 1/2, le 5 p. 100, il n'est malheureusement aucun amortissement en cours d'exercice ou en espérance. Tous les gouvernements nous ont promis de réduitre notre dette; aucun ne l'a fait, sinon pour des sommes insignifiantes. M. Thiers disait, aussi lui, dans son message du 13 décembre 1871: «La portion des nouveaux impôts qui reste à voter est surtout destinée à faire face au service de l'amortissement, service important, indispensable; car il ne faut pas seulement assurer l'intérêt des emprunts, il faut en assurer aussi le remboursement; soin du premier ordre, qui vient d'être négligé pendant vingt années, et qu'il faut reprendre sous peine de forfaiture envers l'avenir, envers les générations qui nous suivent. » Pas un centime cependant de nos nouveaux emprunts ou de nos nouveaux impôts n'a confirmé ces rassurantes paroles, à part ce qui concerne la créance de la Banque. Nous restons au grand dommage de notre fortune et de notre travail, autant que de notre dignité et de notre puissance, la nation la plus taxée et la plus obérée. Nul contribuable ne serait pourtant aujourd'hui de l'avis de Voltaire, que l'Etat qui ne doit qu'à lui-même ne s'appauvrit pas, et quel Etat ne doit plus qu'à lui-même ? Comme Montesquieu le disait du cœur, les capitaux sont citoyens du monde; ils vont partout où ils trouvent à gagner.

Toutefois la créance de la Banque est éteinte; plusieurs de nos annuités, sur lesquelles je reviendrai dans un instant, n'existeront plus d'ici peu d'années, et il est très aisé, il est urgent de réduire

de 37 ou mieux de 78 millions, les arrérages de nos rentes, par la conversion du 5 p. 100 en 4 1/2, ou par la conversion du 5 et du 4 1/2 en 4 p. 100. J'ai indiqué comme se devant transformer en dégrèvement les économies que j'ai énumérées précédemment, ainsi que les plus-values d'impôts, à l'exception de 60 millions environ, réservés pour l'amortissement. C'est à amortir sérieusement notre dette que je voudrais maintenant voir consacrer, à mesure de leur disponibilité, toutes les sommes provenant de l'extinction de nos annuités et de la conversion de nos rentes. Une ressource considérable, que je mentionnerai plus loin, devrait être aussi, à mon avis, destinée à cet usage. En chaque situation difficile il est bon d'affecter des ressources spéciales à des dépenses spéciales.

Je crois inutile d'ajouter qu'il faut renoncer à notre caisse d'amortissement, l'un de ces coûteux rouages administratifs qui produisent constamment le contraire de ce que l'on en attend. Qui persisterait aussi bien à vanter les calculs du docteur Price, quoique loués autrefois avec tant de complaisance par Walpole? Eclairé peut-être par l'Essai sur l'amortissement de lord Granville, paru l'année précédente, Robert Peel accusait, dès 1826, les caisses d'amortissement d'être la principale cause des déficits des différents Etats. Il savait bien qu'une caisse semblable avait entraîné, sans aucun bénéfice pour l'Echiquier, une dépense de 525 millions, de 1793 à 1817, et ne l'empêchait pas d'être encore grevé de dettes contractées sous Guillaume III, comme notre Trésor, malgré ses banqueroutes mêmes, reste toujours soumis à quelque portion d'emprunts consentis par Charles V. Personne ne dirait plus que Christophe Colomb, grâce aux métaux précieux du nouveau monde, ou Price, grâce à l'intérêt composé, aurait dû assurer la libération de toutes les dettes européennes. C'est seulement depuis que l'amortissement résulte simplement, en Angleterre, de l'excédant des recettes sur les dépenses budgétaires, qu'on y a réduit la dette de 861,039,049 livres st. à 727,994,000 livres st., ou 18 milliards 195 millions (1). Réduction importante sans doute, mais bien inférieure, toute proportion gardée, à celle qui s'est opérée sur l'impôt, et dans laquelle l'amortissement véritable, ce

(1) En 1839, Goulburn, chancelier de l'Echiquier, fit voter par le Parlement que l'administration des finances dresserait, dans les trente jours qui suivent l'expiration de chaque trimestre, un compte des recettes et des dépenses effectuées dans les douze mois précédents, et qu'un quart de l'excédant des recettes de ces douze mois serait remis aux commissaires de la réduction de la dette, afin d'être employé dans le trimestre suivant à cette réduction.

lui de l'excédant des recettes sur les dépenses, ne figure en réalité, du reste, que pour 14 millions de francs.

Même en Angleterre et sous sa dernière forme, l'amortissement a donc rendu peu de services. C'est aux conversions de rentes, que je viens de rappeler qu'il convient surtout de rapporter la diminution, sinon des capitaux, du moins des arrérages des dettes publiques, et qui voudrait en contester aujourd'hui la légalité, l'entière légitimité? Ceux qui la niaient pour renverser M. de Villèle, sous la Restauration, étaient loin déjà d'être tous convaincus de l'opinion qu'ils proclamaient. Mais M. de Villèle est le plus remarquable ministre des finances que nous ayons eu depuis l'ancienne monarchie, après le baron Louis; peut-être tenait-on que ce n'était pas trop, pour le combattre, que d'invoquer les arguments qu'on savait les moins fondés. De nos jours, la conversion de notre 5 pour 100 a semblé désirable à tout le monde, dès qu'il a atteint le prix de 111 ou de 112 francs; chacun l'a considérée comme inévitable, lorsqu'il est monté, au moment du congrès de Berlin, à 117 fr.

Elle paraissait alors tellement prochaine que, durant deux bourscs, le 5 p. 100 s'est coté au-dessous du 4 1/2, qui dépassait luimême 110 francs. L'on ne saurait vraiment comprendre qu'on l'ait ajournée jusqu'à présent; il y allait d'un devoir envers les contribuables, le pays tout entier. Ce n'était pas uniquement une économie à réaliser de 37 ou de 78 millions, selon qu'elle aurait eu lieu en 4 1/2 ou en 4 pour 100, comprenant alors le 41/2, c'était le crédit de l'Etat relevé, le crédit commercial et industriel rendu pour tous plus facile et plus sûr. On peut affirmer que notre 4 p. 100 dépasserait notablement aujourd'hui le pair, s'il était depuis quatre ou cinq mois seulement notre fonds le plus important. Les divers bureaux de la Chambre des députés avaient toute raison de réclamer cette utile, cette nécessaire réforme, quand ils ont nommé la commission du budget de 1880. Mais encore une fois le gouvernement l'a ajournée, sans oser l'approuver, ni la repousser. A tenter si souvent, néanmoins, de nager entre deux eaux, sans changer de place, on risque fort de couler un jour à fond.

Ce serait une mesure non condamnable, mais inopportune, a déclaré M. le ministre des finances, et la raison principale qu'il en a donnée, c'est que l'inquiétude des rentiers ne se doit pas mêler à la crise industrielle que nous subissons depuis bientôt six années. Singulière découverte ! Rapprochement si bizarre qu'il n'est venu, j'imagine, à la pensée de personne de le tenir pour décisif. Serait-ce donc en continuant à surcharger les contribuables qu'on rassurerait les rentiers, qui ne peuvent croire eux-mêmes, les soubresauts de la bourse le montrent suffisamment, à une aussi déraisonnable et

inique libéralité en leur faveur. Expliquez autrement aussi qu'aux cours actuels le 3 pour 100 ne rapporte que 3 fr. 38 c. quand le 5 pour 100, qui au même taux devrait être à 139 fr. 55 c., rapporte 4 fr. 22 c. Les ministres des finances ont en vérité autre chose à faire qu'à maintenir des taxes inutiles ou qu'à donner des rébus à deviner. On a pareillement voulu comparer le danger de la conversion pour la nouvelle république, tant on tient apparemment à révéler sa faiblesse, à celui qui a fait courir à la république de 1848 l'impôt de 45 centimes. Mais cette comparaison, si elle était exacte, n'entraînerait pas seulement le retard de la conversion, elle la rendrait impossible. Si d'ailleurs la propriété souffrait énormément en 1848, et si l'impôt des 45 centimes était une monstrueuse illégalité, la rente a progressé dans des proportions inespérées, et sa réduction d'intérêt constitue un droit indiscutable. Tandis qu'il ne se trouve, en outre, que deux millions sept cent soixante mille titres de rente 5 pour 0/0, chiffre du reste remarquable, il y avait douze millions de cotes foncières dès 1848. Enfin que signifie le patriotisme des prêteurs, dont ministres et orateurs ont fait tant de bruit, lorsqu'ils se composent en si grand nombre d'étrangers, dont le gain n'est pas inférieur à près de cinquante pour cent? On trouverait, on l'avouera, du patriotisme à moindre prix, et les contribuables sont-ils moins bons patriotes, parce qu'ils sont presque tous Français, supportent sans compensation des charges écrasantes et ne gagnent rien aux spéculations de hausse ou de baisse ? J'oubliais la traduction donnée par M. Léon Say, dans la dernière discussion du budget, d'un passage du discours de M. Tierney, en 1824, contre la conversion opérée, en Angleterre, deux années auparavant par M. Robinson. La renommée financière de M. Tierney a dû quelque peu surprendre les auditeurs du ministre, qui pourtant ont sans doute admiré que ce dernier, ne voulant prouver que l'inopportunité de la conversion, citât un discours qui en condamnait de façon radicale, absolue, le principe. Peut-être doit-on penser, il est vrai, qu'il eût été trop difficile de conclure d'une inopportunité non démontrée de 1822, à une inopportunité de 1879.

Ce n'en est pas moins par de successives conversions, dont la première remonte à 1817 et dont la dernière est de 1854, que l'Angleterre, je le répète, a presque seulement diminué, depuis 1815, les arrérages de sa dette, qu'on croyait ne devoir être jamais dépassés. Elles les ont réduits de 5,551,138 livres sterling (1). La première conversion anglaise, demeurée classique et due à Walpole, échan

(1) En 1815, les arrérages de la dette anglaise s'élevaient à 32,645,618 liv. st. 40 SÉRIE, T. VIII. 15 décembre 1879.

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