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gea les rentes 6 pour 100 en rentes 5 pour 100, en procurant l'énorme économie pour l'époque de 8 millions 500 mille francs. Elle fut suivie de trois autres dans le xvIIIe siècle. Dans le nôtre ont eu lieu celles de 1822, de 1826, de 1830, de 1834, de 1844 et de 1854, qui n'ont laissé sur les registres de l'Echiquier que des rentes 3 p. 100. Et en même temps que la Grande-Bretagne diminuait les arrérages de sa dette, elle en restreignait le capital, on l'a vu, d'à peu près 3 milliards, soit par l'amortissement, soit surtout par la transformation d'une notable partie de ses rentes perpétuelles en rentes viagères ou en annuités à terme. Sage, habile mesure, qui remonte à 1809, et qu'a recommandée à de nombreuses reprises M. Gladstone. L'Angleterre est cependant loin d'avoir donné à de telles transformations l'extension qu'elles ont reçues des Américains, depuis la guerre de sécession, sans que ces derniers aient pour cela renoncé, comme on ne l'avait non plus jamais fait avant eux, à l'amortissement et aux conversions. Les Américains ont, en moins de douze années, effectivement réduit d'un tiers le capital de leur dette, qui dépassait 15 milliards, et de plus d'un tiers ses intérêts.

Quant à nous, nous n'avons encore eu que trois conversions: celle de M. de Villèle, qui, grâce à l'opposition parlementaire qu'elle a rencontrée, est demeurée facultative et fort incomplète, et qui a créé le 3 pour 100 à la place d'une partie du 5 pour 100 converti (1); celle de M. Bineau, très heureusement accomplie en mars 1852, qui a transformé tout le 5 pour 100 existant en 4 1/2, et celle de M. Fould, plusieurs années ensuite, dont le but était bien plutôt de dissimuler un nouvel emprunt que de faire bénéficier le pays d'une nouvelle économie. Voudriez-vous vous convaincre qu'il n'y a point à s'inquiéter de pareilles opérations, moyennant quelque prudence? Lorsque M. Bineau a réalisé sa conversion, le 5 pour 100 dépassait à peine le pair; il était à 103; nous sortions d'une affreuse guerre civile; nous assistions à l'avènement d'un gouvernement très attaqué, et la totalité des remboursements réclamés n'a pas excédé quatre-vingts millions. De même, quand en 1844 le gouvernement britanique a réduit le 3 1/2 en 3 1/4, le premier de ces fonds, qui se montait à plus de 6 milliards, n'était qu'à 102, et le second était au-dessous du pair. Les remboursements demandés n'ont pourtant été non plus que d'un demi par mille, et le

(1) Elle s'est opérée en 4 1/2 pour 100 au pair et en 3 pour 100 à 75 fr. Les rentes 5 pour 100, volontairement converties en 3 pour 100, s'élevèrent à 30,574,116 fr., et celles converties en 4 1/2 pour 100 à 1,149,840 fr. L'économie réalisée par l'Etat fut de 6,239,157 fr., qui réduisirent d'autant l'impôt foncier.

nouveau 3 1/4 n'a pas tardé à gagner le cours de 103 francs. Il n'y aurait donc nul danger en ce moment, à convertir en 4 pour 100 notre 5 et notre 4 1/2. Une convention avec la Banque, semblable à celle passée par M. Bineau, nous garantirait même contre tout souci possible.

Je n'ai pas répondu, je le reconnais, à un dernier argument contre la conversion, emprunté par M. le ministre des finances à M. Gambetta, que l'abaissement d'intérêt sur la rente nuirait au crédit industriel et commercial, lequel se règle toujours, ainsi que le remarquait justement M. de Villèle (1), sur le crédit de l'Etat. C'est que j'aurais désiré le passer sous silence. Où un pareil abaissement a-t-il nui, et comment pourrait-il nuire ? C'est le contraire qu'il fallait dire; on n'attaque pas apparemment son crédit en payant ou en diminuant ses dettes; voyez la Hollande, l'Angleterre, les Etats-Unis. Dès que notre 5 pour 100 ne traînerait plus le boulet de la conversion, notre 4 et notre 3 pour 100 atteindraient des cours plus élevés, et, avec de plus grandes facilités de crédit, nos affaires, notre production, nos échanges reprendraient leur essor.

Quelques économistes, frappés de la baisse d'intérêt qui se manifeste depuis un certain temps, et peu convaincus de la pensée de Turgot, tant de fois reproduite, sur les bienfaits qu'entraîne un tel événement, l'ont presque représentée de leur côté comme le plus fatal terme marqué aux sociétés par la main implacable du présent. Jamais semblable effroi n'était provenu d'assistance nouvelle. Car n'est-ce pas une précieuse, une inappréciable assistance qu'un crédit offert aux conditions les moins onéreuses? L'industrie qui se passe de secours est toujours fort exceptionnelle; rien ne vaut sur le marché des affaires des prêts faciles, commodes, en temps de crise notamment, lorsqu'il s'agit moins de se maintenir dans la carrière de la production que d'y rentrer. La belle comparaison de Turgot restera toujours vraie. Sans doute, l'abaissement de l'intérêt résulte quelquefois d'une regrettable stagnation commerciale, d'un défaut d'emploi des capitaux; mais croit-on qu'ils seraient d'autant plus sollicités de reprendre la place qu'ils doivent occuper dans le fonds de roulement social, que moins de personnes seraient à même de s'en servir? Les voies les plus suivies ne sont nulle part les plus abruptes et les plus périlleuses. Loin de nous plaindre de

(1) C'est le grand consommateur qui fait les cours, disait M. de Villèle, en soutenant la conversion qu'il avait proposée, et quand le gouvernement paye cher, ne pensez pas obtenir ailleurs à bon marché les fonds nécessaires. Faire mieux ne nous a pas été possible, faire autre chose nous a paru moins bien, ne rien faire du tout nous paraîtrait dangereux et contraire à l'intérêt de l'Etat.

la baisse d'intérêt qui se manifeste, nous en devons attendre la prochaine et durable reprise du travail; puisque les perfectionnements apportés dans l'exploitation des métaux précieux, l'extension des travaux publics, la production sans cesse accrue, l'épargne partout développée, les améliorations des institutions de crédit la garantissent pour longtemps. Les guerres et les révolutions pourraient seules y mettre fin. Quelque opinion, au surplus, qu'on professe à ce sujet, ce n'est pas en se refusant aux conversions de rentes qu'on prétendrait sans doute relever pour toujours l'intérêt. La lutte entreprise contre le cours des choses réussit rarement, et quel peuple consentirait à nous imiter? La Belgique ne vient-elle pas de convertir, sans aucune difficulté, sans le moindre inconvénient, son 4 1/2 en 4 pour 100? Nulle bonne valeur ne rapporte non plus maintenant au delà de cet intérêt de 4 pour 100; le 3 pour 100 anglais touche au pair.

Mais de quelle façon se devrait faire notre conversion? Je l'ai dit, elle devrait se faire en 4 pour 100. On croit que si M. Léon Say l'opérait, il chercherait à l'effectuer en 3 pour 100 amortissable, et c'est l'opinion qu'ont soutenue plusieurs autres personnes fort autorisées. Le 4 1/2 doit évidemment être abandonné; dépassant 112 fr., il se sentirait menacé dès le premier jour, aurait à traîner à son tour le boulet maintenant attaché au 5 pour 100. Qui voudrait, au reste, être remboursé avec une conversion en 4 pour 100 puisqu'on ne peut pas mieux placer son argent? La précaution que recommandait Montesquieu pour les conversions, tout en les approuvant et en rappelant ce qu'avait pratiqué si heureusement un Etat d'Europe (1), « de se procurer une grande quantité d'espèces » avant d'offrir aux rentiers le remboursement ne serait assurément pas nécessaire en ce cas. La conversion en 3 pour 100 amortissable vaudrait une économie annuelle de 40 millions plus forte sur les arrérages que celle en 4 pour 100, tout en réservant 34 millions pour l'amortissement, espacé sur 75 ans ; c'est vrai. Mais il faudrait porter le capital de 7 milliards de notre 5 pour 100 à 9 milliards 333 millions, puisqu'il y aurait à se reconnaître débiteur de 133 fr. par chaque 5 fr. de rente. Ce serait recommencer l'impardonnable faute commise lors de nos différents emprunts. Un ministre des finances qui sacrifierait ainsi l'avenir au présent serait profondément coupable. N'augmentons pas notre dette, elle est assez considérable. Dans un temps rapproché le 4, qui dépasserait, dès le lendemain de la conversion, le pair, se changerait facilement en 3 112 et, un peu plus tard, en 3 pour 100 amortis

(1) Je n'ai pas besoin de dire que cet Etat est l'Angleterre.

sable, qui pourrait même, je crois, ne pas se prolonger 75 ans. Tout, de la sorte, serait bénéfice; l'intérêt serait de plus en plus amoindri, et nulle aggravation ne serait imposée au capital. Après les exemples des Etats-Unis etde l'Angleterre, il semble réellement impossible qu'on agisse autrement.

Le patriotique et douloureux conseil que M. Gladstone donnait à son pays, dans un écrit demeuré célèbre, conviendrait à bien des peuples, à nous surtout, tant notre dette est élevée. « Nous ne devons pas, disait-il, plus faire obstacle à la prédominance de l'Union américaine sur l'Angleterre, que Venise, Gênes et la Hollande n'ont pu faire obstacle à notre grandeur. Un devoir urgent nous incombe, celui de préparer, par un énergique effort, la réduction de notre dette nationale, en prévision du jour inévitable où le fardeau dépassera nos forces (1). »

Il est indigne de la France de traîner en toute chose dans la routine et l'indécision; le pire des partis est encore celui qui ne résout rien et compromet tout. Un publiciste, que j'ai plaisir à citer, M. Bonnet, le demandait avec raison, veut-on recommencer, à propos de la dette, ce qu'on a fait à propos de la monnaie ? On n'a pas effectivement osé supprimer l'étalon d'argent, alors qu'il perdait 2 pour 100 sur l'or, et que nous en avions pour 1 milliard 800 millions; aujourd'hui, nous en avons pour au moins 2 milliards et demi et il perd 14 ou 15 pour 100. Je termine sur ce point en disant qu'il importerait de consacrer au rachat de la rente les fonds qu'on obtiendrait de la conversion. Ce rachat, qui pourrait ainsi s'élever dès l'an prochain à 130 millions, en ne tenant compte que de la conversion et des 50 ou 60 millions que j'ai demandé qu'on y affectât sur nos économies budgétaires, permettrait lui-même de hâter les autres conversions, puisqu'il contribuerait à relever les cours. Mais, on s'en souvient, nos différents emprunts ne sont pas tous compris dans notre dette consolidée, ni même viagère. Lisez le tableau officiel des Engagements du Trésor contractés pour le remboursement des avances faites à l'Etat et pour l'exécution de divers services publics, dont la première partie donne le Relevé des dettes contractées par l'Etat, sous la forme d'avances faites pour travaux publics et remboursables par annuités, et la seconde le Relevé des engagements à long terme contractés par l'Etat pour l'exécution de divers services publics, et vous serez surpris du nombre de ces emprunts. Ils résultent des événements de 1870 et de 1871 ou de certains travaux publics, et entraîneront ensemble, pour l'année 1880, une annuité de

(1) Article non signé, mais attribué par tout le monde à M. Gladstone, publié dans la North-American Review.

359,949,917 fr. Mais à partir de cette année, cette somme diminuera assez pour n'être plus que de moitié en 1889, d'un tiers en 1900, d'un cinquième en 1915, d'un centième en 1960, et pour disparaître entièrement en 1963. Il ne faudrait donc que dix ans, grâce à la régulière extinction de ces annuités, en les réservant pour l'amortissement, comme grâce à la conversion opérée en 4 pour 100 ou peut-être alors en 3 1/2, avec une légère allocation budgétaire, pour disposer en faveur de la réduction annuelle de notre dette de plus de 300 millions. Dans dix ans cesseront, en outre, les garanties d'intérêt qui nous lient aux compagnies de chemins de fer et qui nous coûtent par an 40 ou 50 millions. Elles nous vaudront même à ce moment, j'en suis convaincu, un accroissement de revenu, à raison de l'incessante extension du trafic et des recettes des compagnies, qu'elles constituent nos débitrices. D'après des calculs que tous les faits jusqu'ici ont justifiés, les insuffisances de produits qui nous soumettent aux garanties d'intérêt se prolongeront jusqu'en 1890, et laisseront alors l'Etat créancier de 950 millions, disponibles pour de nouvelles économies et de nouveaux rachats. Peut-être d'autres concessions ou quelque ralentissement dans les transports éloigneront-ils cette date ou élèveront-ils cette somme, mais ils la retarderont peu ou l'élèveront médiocrement, si nous sommes assez sages en cela aussi pour ne pas compromettre nos intérêts.

Enfin à tous nos emprunts perpétuels et à temps s'ajoute notre dette flottante, qui effrayait tant récemment encore, lorsqu'elle atteignait 500 millions, et qu'on trouve fort simple aujourd'hui de porter, sous ses diverses formes, à plus de 1 milliard. N'y a-t-il pas là cependant une extrême imprudence, un énorme danger? Le souvenir de ce qui s'est passé, sous ce rapport, en 1848, ne saurait être détruit par l'affirmation inattendue de M. le ministre des finances, que plus sont élevés les budgets plus les dettes flottantes peuvent être considérables. Car il n'est pas prouvé qu'on porte plus aisément deux fardeaux qu'un seul, surtout quand l'un et l'autre sont écrasants. Aussi bien une forte dette flottante estelle toujours le résultat d'une mauvaise administration financière; il en existe à peine une en Angleterre, tandis qu'elle est démesurée en Turquie. Ce qui nous rapproche également des Etats les plus arriérés, c'est, fidèles aux traditions de l'ancien régime, de continuer de puiser à de nombreuses caisses particulières pour alimenter cette dette. Caisse des dépôts et consignations, caisses d'épargne, caisses de receveurs généraux, nous avons recours à tout, quoique les facilités actuelles du crédit s'offrent à chaque besoin, et que les bons du Trésor se placent couramment à 1 pour 100. II

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