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kilogrammes, et celle du fromage 140,300,000. En 1860, on n'estimait point à plus de 122,000,000 de francs la valeur des céréales exportées; en 1878, on la porte à 905,885,000. De même l'exportation du beurre s'est élevée dans l'espace de dix ans de 914,600 kilos à 9,392,000, et celle du fromage de 25,954,000 kilos à 56,170,000. Une augmentation analogue s'est manifestée pour les denrées que voici: lard: 15,858,000 kilos en 1870 et 154,218,000 en 1878; bœuf: 12,107,000 et 42,000,000 kilos; jambons: 17,652,000 et 269,927,000. On ne nous donne pas en poids l'accroissement de l'exportation des viandes conservées; mais leur valeur, qui ne dépassait pas 1,569,000 francs en 1868, et qui monte aujourd'hui à 25,513,000 francs, en dit assez, et quant à l'exporfation des animaux sur pied, qui se développe tous les jours, le tableau suivant n'a pas moins d'éloquence.

1868.......

1874.......

3.667.000 fr. 16.652.000

1877....... 16.720.000 fr.
1878....... 29.073.000

Le grand agent de ces progrès a été l'immigration qui a peuplé la région de l'Ouest, utilisé ses immenses prairies pour l'élève du bétail, défriché ses bois et converti ses terrains incultes en emblavures. Les vieux Etats du Nord, tels que le Massachusetts, le Connecticut et le Rhode-Island n'ont pas été favorisés par la nature sous le rapport agricole, et peu à peu ils se sont tournés presque exclusivement vers l'industrie. Au centre, le Maryland et la Virginie produisent des tabacs renommés et la Virginie occidentale est très favorable à l'élève du bétail; mais la Pensylvanie, le deuxième des Etats de l'Union tout entière quant à la population, par ses mines d'anthracite et ses usines sidérurgiques, est essentiellement industrielle, tandis que le New-York, le plus peuplé de tous ces Etats, est, par sa grande cité maritime, le grand emporium du commerce américain. Dans les Etats du Sud, qu'ils bordent l'Atlantique, comme les deux Carolines, la Georgie et la Floride, ou bien le golfe du Mexique, comme l'Alabama, le Mississipi, la Louisiane et le Texas, ou qu'ils remontent le cours du Mississipi, comme le Tennessee et l'Arkansas, la culture prédominante, celle qui tend à absorber toutes les autres, est celle du coton. La concurrence du riz de l'Inde a chassé, en effet, le riz carolinien des marchés extérieurs, et l'inégalité qui naît pour la Louisiane d'un climat moins chaud et plus variable que celui des Antilles y rend très précaire la production du sucre, en dépit de tous les efforts du législateur de Washington pour corriger, par de hauts tarifs, cette injustice de la nature. Dans toute cette zone, la Virginie seule n'est pas un état cotonnier, et c'est précisément

son malheur, car dans la culture de ses tabacs si célèbres elle a été dépassée par certains Etats de l'Ouest, et le bas prix des blés de ces mêmes Etats fait que le fermier virginien ne trouve guère son compte à faire des céréales. C'est donc l'Ouest et dans cette immense région, surtout les Etats de Californie (1), de Nebraska, d'Iowa, d'Illinois, d'Indiana, de Wisconsin et de Minesota, qui sont les vrais nourriciers de la grande république transatlantique, de même qu'ils comblent les vides aujourd'hui passés à l'état normal de la production agricole du Royaume-Uni et les déficits accidentels de la récolte en France.

I

Fenimore Cooper a placé la scène d'un de ses plus magnifiques récits sur les bords du lac Champlain, dans ces forêts et ces solitudes qui séparaient alors les possessions françaises des treize plantations. Au milieu du xvir siècle et même à sa fin, les extrémités les plus septentrionales du New-York et les parties de la Pensylvanie qui confinent au lac Erié formaient en effet l'Ouest américain. En 1802, cette limite se recula par l'érection en territoire de l'Ohio, et à dater de cette époque la colonisation ne cessa de s'avancer vers l'Ouest, à un taux de marche qu'on a estimé à 15 milles ou 22 kilomètres par an. En 1818 elle atteignait l'Illinois, en 1821 le Missouri, et en 1837 le Michigan entrait dans la Confédération. En 1846, ce fut le tour de l'Iowa et du Texas; puis de la Californie en 1850; du Minesota en 1868; de l'Orégon en 1859; du Kansas en 1861; du Nevada en 1864 et du Nebraska en 1867.

Une dame américaine, mistress Clavers, a décrit d'une façon charmante et avec une grande verve une auberge de l'intérieur du Michigan, peu de temps après son érection en Etat. Cet hôtel, comme on l'appelait dans le pays, n'était autre chose qu'une cabane en bois de dimensions fort petites, et dont la vue inspira tout d'abord à notre voyageuse des craintes sérieuses, sinon pour son logement, pour son manger du moins. Elle se trompait cependant, et à peine était-elle entrée dans l'auberge que Mme Danforth, l'hôtesse, la conduisait « pour se reposer un instant, si cela lui plaisait, jusqu'à ce que le déjeuner fut prêt, » dans une chambre, mais quelle chambre! une soupente à laquelle il fallait

(1) Les Américains rangent la Californie avec l'Orégon sous le nom d'Etats du Pacifique, parce qu'ils sont riverains de cet océan. Géographiquement, ils n'en marquent pas moins l'extrême Ouest américain, et l'on connaît le grand rôle que joue la Californie dans la production des céréales américaines.

grimper par une échelle, et au centre de laquelle se dressait un lit à montant, flanqué par d'autres lits de toutes dimensions. Point d'oreillers et pour tous rideaux de vieilles couvertures attachées au moyen de fourchettes en fer aux traverses du toit. Mais un corps très fatigué n'est pas difficile: dans ce lit tel quel M. Clavers jouit d'un repos délicieux et, en descendant de son échelle, elle eut la satisfaction de se trouver en face d'un substantiel déjeuner dressé sur une table fort propre. Cependant, le repas fini, comme elle semblait chercher des yeux quelque chose, oh! lui dit son hôtesse, vous cherchez une cuvette n'est-ce pas? Et de verser immédiatement de l'eau dans un petit bassin en fer-blanc, de le porter elle-même sur un banc en dehors et de laisser la voyageuse faire al fresco ses ablutions comme elle l'entendait.

Depuis, les auberges du Michigan ont bien changé de face, et mistress Clavers n'entendrait plus raconter qu'une personne ayant demandé à un fermier une serviette pour s'essuyer obtint pour toute réponse ces mots caractéristiques: eh! n'avez-vous pas votre mouchoir? Aujourd'hui le farmer de l'Ouest, qu'il soit opulent ou simplement aisé, tient à posséder un intérieur confortable. De bons meubles garnissent ses chambres à coucher et de moelleux tapis garnissent le drawing room, ou salon, dans lequel, le soir venu, la famille se reunit pour causer, lire et même faire de la musique. Il couche dans un bon lit bien clos, et ce n'est point à la fontaine ou à la source la plus voisine qu'il s'acquitte de ses soins de propreté. Sous cette enveloppe de civilisation raffinée quelques traits font cependant retrouver le défricheur hardi, le squatter assez fruste. L'homme de l'Ouest, le Westerman, esi hospitalier, bon et bienfaisant, mais en même temps bourru au possible et naïvement grossier: qu'en chemin de fer ses bottes le gênent, il les ôte sans façon, ou bien s'il les garde il les pose n'importe où, quelque boueuses qu'elles puissent être; il fume du tabac, il le mâche et se mouche à la façon de notre premier père. Il puise à chaque instant à sa bouteille de Whisky, et quand il est pris de boisson, il est souvent d'humeur irritable: il ne faut pas alors trop le contrarier, car il porte un révolver dans une poche de pantalon pratiquée tout exprès, et il ne se gênerait pas trop pour en décharger quelques coups sur un importun.

Un voyageur anglais qui parcourait la Californie, il y aura bientôt quatre ans, était frappé de la vie qui y débordait, mais il ajoutait que cette vie était fébrile et tendue à l'excès. La journée y paraissait trop courte pour la besogne à faire; chacun vivait comme dans un tourbillon perpétuel, et personne ne faisait le moindre cas

de la réflexion ou du calme (1). Ces ardeurs, ces intempérances, cette surexcitation tiennent un peu au climat et beaucoup aux origines mêmes d'une population composée d'éléments ethniques très divers, rapprochés les uns des autres par l'auri sacra fames et mal fondus encore. Chacun sait que ce fut la découverte des riches placers aurifères de la vallée du Sacramento qui les réunit tout d'abord, et parmi les arrivants, les caractères aventureux, les existences déclassées étaient en foule. Au fur et à mesure que les immigrants s'aperçurent que toutes les productions de la zone tempérée et la plupart de celles de la zone tropicale réussissaient très bien en Californie, beaucoup voulurent échanger leur vie aventureuse et précaire de chercheurs d'or contre la vie plus paisible et plus assurée de l'agriculteur. Mais n'est-ce pas merveille que le violent gambusino ait pu se transformer subitement en ranchero tranquille, et que des mœurs pacifiques et régulières ne se soient pas substituées comme par enchantement à des habitudes déréglées et brutales. Avec le temps tout se calmera et s'équilibrera, sans doute, mais quelle différence déjà entre la Californie agricole, même avec ses côtés sombres et son assiette sociale encore imparfaite, et la Californie au temps de la première exploitation de ses gîtes d'or et de sa fièvre métallique, s'il est permis d'ainsi dire.

Un journal de San-Francisco, the Commercial Herald and Market Review, que nous avons sous les yeux, donne la mesure exacte de cette transformation au point de vue économique. On y lit, en tête de la première colonne et en gros caractères, qu'en 1878 cet Etat a récolté 272,000 hectolitres de vin avec 22,500,000 quintaux de froment, et que dans l'espace de vingt-deux ans il n'a pas exporté moins de 100,000,000 de quintaux de cette même céréale. Dans ce même intervalle, l'élève du mouton et la production lainière se sont développés dans des proportions énormes. On y compte 8,000,000 de bêtes ovines et la quantité de laine recueillie en 1878 a été de 18,944,000 kilos, au lieu de 89,265 vingt-quatre ans auparavant. C'est un chiffre considérable: il indique néanmoins une diminution assez sensible par rapport aux deux années précédentes où cette même quantité fut de 25,518,000 et de 25,099,000 kilos. Si la tendance actuelle à la conversion des pâtures en terres arables continue, cette décroissance est destinée à s'accentuer encore. Les éleveurs se plaignent, il est vrai, des prix actuels qu'ils disent n'être pas rémunérateurs; mais cette situation doit tenir à des circonstances particulières, car dans l'Union tout entière il y a peu d'Etats, s'il en est même, qui soient plus propices que la

(1) Hepworth Dixon: The White Conquest

Californie à l'élève du mouton. Comme elle renferme de vastes superficies impropres à toute autre chose qu'à la culture pastorale, il n'est point à craindre que la production lainière en disparaisse jamais; mais s'ils ne comprennent pas l'utilité de joindre un petit troupeau de moutons à leurs emblavures et de perfectionner leurs méthodes d'élevage, les fermiers californiens risquent fort de se laisser devancer de plus en plus dans cette voie non seulement · par leurs rivaux de l'Australie et du Cap, mais encore par leurs voisins de l'Orégon et des territoires du versant du Pacifique.

Le touriste qui parcourt la Californie et le littoral du Pacifique ne doit pas manquer de visiter, s'il aime les beaux sites, l'Oregon et la vallée de la Columbia, les voies ferrées qui dès aujourd'hui sillonnent le bassin de la Williammette et de l'Umqua lui rendant ce détour facile. Il verra les deux rives du chemin de fer bordées de champs de blé, de vergers, de riches fermes, de minoteries et de fabriques de lainages, de riants villages. Qu'il entre dans un de ces villages, des rues plantées d'arbres, des clochers d'église, des maisons couvertes à la mode française lui attesteront l'aisance des habitants, tandis que les cônes neigeux du mont Hood, du mont Jefferson, des Trois-Sœurs et les croupes boisées des monts Cascades, couvertes d'épaisses forêts de pins et de cèdres, impriment un cachet de grandeur à tout le paysage. Ces belles vues pâlissent encore à côté des sites de la vallée de la Columbia elle-même, dont les rives surpassent en pittoresque, assure-t-on, non seulement tout ce que la Californie, mais encore toute autre partie de l'Union, peut offrir en ce genre. Pour l'économiste, il est peu de pays dans l'extrême Ouest susceptible de l'intéresser davantage. La rivière Williammette arrose une région qui renferme plus de 120,000,000 d'hectares d'une terre d'excellente qualité et capable de produire à l'année 69,000,000 de boisseaux de céréales (1), sans parler de ses prairies immenses. Jusqu'en 1850, on n'y avait guère vu que des aventuriers de diverses sortes des chercheurs d'or, des coureurs de bois, des porte-balles. Mais à cette époque, le Congrès accorda gratuitement 256 hectares de terre aux hommes mariés et 136 aux célibataires qui voudraient se fixer dans l'Orégor, et cet Act a transformé le pays. Ses premiers settlers ont fait souche, d'autres sont venus, et lors de son dernier recensement, celui de 1870, l'Orégon était peuplé déjà de 160,000 habitants. Portland, sa principale ville, en renfermait une quinzaine de mille, et la cité naissante de Tacoma, sur les bords du Puget-Sound, pourrait bien devenir

(1) On sait que le bushel américain vaut 36 litres 38 centilitres.

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