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Un géologue anglais, le professeur Newberry, parcourait tout récemment les districts miniers du pays des Mormons, et revenait tout émerveillé de leur richesse en argent ou en cuivre, et il y avait visité aussi des gîtes aurifères qui offraient un champ d'exploitation aussi aisé qu'énorme. Jusqu'à présent, toutefois, les mineurs n'y ont pas afflué beaucoup ils préfèrent les mines argentifères du Colorado, dont l'ouverture ne remonte point au delà du mois de mars de l'an dernier et qui ont déjà livré 10,000,000 de doliars de minerai. L'extraction y marche actuellement sur le pied de 1,500,000 dollars par mois, et il s'y est formé un centre de population, nommé Leadville, que peuplent déjà 12,000 habitants, sans parler des 8,000 mineurs répandus sur les hauteurs environnantes. La Société y est naturellement assez mêlée, et, pour parler comme le correspondant d'un journal de New-York qui l'a visité, on rencontre à Leadville, à côté de fort honnêtes gens, les plus grands coquins, peut-être, qui soient en Amérique. Jusqu'à l'exploitation des mines de Leadville l'exportation du bétail l'emportait au Colorado sur celle des métaux précieux, et il serait vraiment fâcheux que, par un phénomène inverse de celui dont la Californie a été le théâtre, ce territoire, plein d'avenir, allât de l'agriculture à l'extraction minière. L'agriculture avait jeté les fondements de sa prospérité; dans toute sa partie méridionale surtout la colonisation faisait d'incessants progrès, et une ville peuplée de 4 à 5,000 habitants s'y était bâtie. Située sur les bords du rapide et turbulent Arkansas, en face des pics neigeux de la Sierra Nevada, Puebla est une localité fort agréable: elle attirait tous les gens du voisinage jouissant de quelque aisance et heureux d'échanger, de temps à autre, le soin de leur bétail et de leurs moutons contre les plaisirs de la ville.

En fait, dans cette bande de terrain, longue de 3,200 kilomètres et large de 555, qui va du golfe du Mexique à la Colombie anglaise, la plus grande industrie n'est pas l'exploitation minière. La production lainière se développe de plus en plus dans le Texas: on calcule qu'il possède 5,000,000 de bêtes ovines, et que les vastes prairies du Colorado, du Dakotah, du Mentana, du NouveauMexique, du Wyoming n'en renferment pas moins de 15,000,000 de têtes, sur les 35,740,000 que les plus récentes statistiques assignent à l'Union entière (1). Feu Horace Greeley avait coutume de dire qu'il n'en coûtait pas plus dans l'Ouest d'élever un taureau qu'un poulet, et tout annonce que, dans un avenir assez rapproché,

(1) Elles y ajoutent 19,250,000 boeufs et génisses; 11,500,000 vaches laitières; 24,135,000 porcs.

ces territoires seront autant de grands marchés d'approvisionnement de bétail. Ce lot paraît devoir être surtout celui du Wyoming, et déjà les immenses plaines qui environnent Laramie sont couvertes de plantureux pâturages où la bunch fournit au bétail une nourriture qui en aucun temps de l'année ne lui fait défaut. Là où bondissaient en pleine liberté des bandes de bisons, de cerfs et d'antilopes, paissent maintenant des troupeaux de bœufs et de moutons; là où s'élevaient quelques misérables huttes, pompeusement décorées du nom de cités, se dressent aujourd'hui des maisons bien bâties, de spacieuses boutiques, de beaux édifices publics, et la rapidité avec laquelle cette transformation s'est opérée explique le surnom de perle des montagnes, - The gem city of Mountains, qui a été donné à Laramie bien que située dans la plaine.

A cent quarante-quatre kilomètres de Laramie et à l'Est se trouve Cheyenne, chef-lieu du territoire. Lorsqu'un voyageur y arrive lui dit-on qu'il y a onze ans il n'existait là qu'une simple cabane en planches, son premier mouvement est l'incrédulité; mais quand il l'a surmonté, il est bien près de prendre à la lettre le nom de Magic city of the Plains que ses habitants donnent à cette localité. Ses commencements furent loin d'être brillants, et pendant plusieurs années sa population, qui en 1869 montait déjà à 4,000 personnes, n'était qu'un ramassis de gens sans aveu, habitant des demeures plus sordides encore que la Log House de 1867. Ils passaient leur vie en orgies et en querelles perpétuelles : nulle sécurité pour la vie, ni pour les biens, et finalement les meurtres et les vols devinrent si communs que le peu de citoyens honorables égarés dans cet enfer se virent contraints de se protéger eux-mêmes selon la mode si usitée dans le Far-west. On lyncha une douzaine de coquins de la pire espèce, et ces exécutions sommaires, effrayant les autres, quelque ordre commença de régner et quelque sécurité de se produire. Aujourd'hui, les rues de Cheyenne sont aussi tranquilles et aussi sûres que celles de villes beaucoup plus anciennes et originellement formées d'éléments moins rétifs aux accords sociaux. Il s'y rencontre bien encore quelques « conservateurs à outrance», comme disait plaisamment un vieux settler qui regrettait le bon vieux temps d'il y a onze ans; mais ces singuliers laudatores temporis acti sont généralement connus de la police: elle a les yeux sur eux et surveille leurs faits et gestes.

Assez longtemps, la richesse en bétail du territoire tout entier ne dépassa point une centaine de têtes, tandis qu'aujourd'hui le seul comté de Laramie compte au moins 3,000 chevaux ou mulets, 140,000 moutons et 150,000 bêtes à cornes. C'est par milliers et par centaines de milliers que ces animaux trouveraient à se sustenter

dans les plaines de Laramie ou dans celles de Rawlins, le troisième centre populeux du territoire, que ses habitants appellent une ville, suivant l'habitude emphatique d'une région où le proverbe veut «qu'une étable et deux salons constituent une cité.» En fait, Rawlins n'a pas plus de 600 habitants, et si les eaux sulfureuses qui se trouvent dans son voisinage peuvent un jour y amener quelques malades, pour le moment les seuls touristes qui s'y rendent sont des chasseurs attirés par la quantité de bêtes fauves, hôtes de ses prairies ou de ses montagnes. Le territoire lui-même ne réunit pas encore plus de 30 à 40,000 habitants, et on y compte huit hommes contre une femme. S'il s'agissait donc dans le Wyoming de décider si les femmes jouiront du droit au suffrage, l'argument contraire qui se tire de la supériorité numérique du sexe faible sur le sexe fort et de l'imprudence qu'il y aurait de laisser la suprématie politique aux femmes dont les sentiments sont très partiliers, et que ni leurs habitudes de vie, ni leur instruction générale ne préparent à un pareil rôle, cet argument serait sans portée. Mais la question n'est plus là-bas en litige: à Cheyenne, à Laramie, à Rawlins les femmes votent, et comme tous les électeurs sont jurés, de même que toutes les fonctions électives, on a vu des femmes siéger dans le jury et l'une d'elles s'asseoir même sur le banc des juges. Quoique entreprise dans des conditions exceptionnelles et sur une bien petite échelle, l'expérience n'a pas laissé d'être intéressante, elle a donné raison à la crainte souvent exprimée par les adversaires du suffrage féminin qu'il ne fût très susceptible de compromettre l'unité de la famille et d'y jeter un nouveau brandon de discorde. Du moins affirme-t-on au Wyoming qu'habituellement le vote de la sœur est l'opposé de celui du frère, et vice versa, la femme et le mari semblant se complaire, au dire des mauvaises langues, à s'infliger sur ce terrain des démentis réciproques.

Ces territoires et ces Etats constituent avec l'Iowa, le Wisconsin et le Michigan, ce qu'on pourrait appeler le jeune Ouest par rapport au vieil Ouest, qui comprend l'Indiana, l'Illinois, l'Ohio et le Kentucky. L'Iowa et le Wisconsin comptent parmi les grands greniers d'abondance de l'Ouest, quoique sur les 4,028,000 hectares de terrain arable du premier et les 3,156,000 du second, il y en ait bien la moitié pour l'un et plus d'un tiers pour l'autre qui restent encore incultes. L'Indiana et l'Illinois peuvent justement prétendre au même titre; l'un offre 16,400,000 hectares de terre arable, dont plus de la moitié sous culture, et l'autre 8,364,000, dont environ les deux tiers sont emblavés. Le Kentucky et l'Ohio, l'un avec 7,305,000 d'hectares de terre arable et l'autre 8,228,000, en

ont aussi les deux tiers sous culture. Mais le voyageur qui parcourt le dernier de ces Etats ne peut s'empêcher de faire la remarque que les emblavures n'augmentent pas et même qu'on ne tire pas des terrains cultivés tout le parti possible. Les fermes les plus prospères se rencontrent dans les contrées de Rochester et de Salem; elles embrassent généralement moins de 80 hectares et l'élève du mouton y est très répandu. L'Ohio possède en effet 4,500,000 bêtes ovines, ce qui le classe troisième sous ce rapport dans l'Union; on leur reproche, il est vrai, d'appartenir, pour les deux tiers, à des races indiennes que le croisement n'a pas améliorées, mais cela n'empêche point les éleveurs d'être en général fort contents de leur situation.

La vérité est que l'Ohio tend à devenir un Etat plus industriel qu'agricole. Cincinnati sa première cité, peuplée de plus de 200,000 âmes, a reçu le surnom de Porcopolis, parce que c'est-elle qui, la première en Amérique, entreprit la préparation en grand des viandes salées et fumées. Elle répudie, il est vrai, cette appellation vulgaire et lui a substitué proprio motu celle de « Cité-Reine », qui sonne infiniment mieux. La seconde ville de l'Ohio, fondée en 1795 par un général qui lui a donné son nom, Cleveland, rivalise avec la Pensylvanienne Pitsburg, le grand centre aux Etats-Unis du commerce de la houille, du fer et du pétrole. Cleveland renferme des fonderies de fer, des ateliers de construction de machines à vapeur, des verreries et des raffineries de pétrole, des brasseries, et grâce à sa situation sur le lac Érié, dont elle est le port le plus animé, elle fait, principalement en céréales et autres produits agricoles, un trafic qui se chiffre dans les bonnes années par un milliard de francs.

Jadis les fermiers de l'Ouest tuaient leurs veaux parce qu'ils ne savaient comment ils pourraient s'en défaire une fois devenus bœufs et ils s'appliquaient à faire surtout du fromage et du beurre. Ils ont changé cette façon de faire dès que l'expérience fut une fois faite que le bétail pouvait être transporté vivant, sans risque pour sa vie et sans inconvénient pour sa qualité. Comme d'autre part il était facile, grâce aux voies ferrées, de les faire venir de tous les points des Etats-Unis à Boston, à New-York, à la Nouvelle-Orléans, et comme on les arrimait snr le pont, ou en d'autres parties du navire qui d'ordinaire servaient aux passagers, les animaux ne prenaient la place d'aucune grosse cargaison. Pour ce motif, le fret était relativement plus bas que pour la viande abattue et les risques de mer demeuraient très petits, de telle sorte que les compagnies d'assurances n'exigeaient que des primes très modiques. Aussi le nouveau commerce prit-il dès son début même une allure régu

lière, et ne tarda-t-il point à prendre des développements magnifiques, comme l'attestent les chiffres suivants sur les quantités de bétail vivant importées des Etats-Unis, ou du Canada, dans les ports de Liverpool, Glasgow, Southampton, Londres, Hull.

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Quelque considérables qu'ils soient, ces chiffres ne donnent pas cependant une idée suffisante de l'extension que ce commerce semblait destiné à prendre; plusieurs steamers s'apprêtaieut à s'y livrer, et ils étaient installés de façon à recevoir des cargaisons de 500, voire même de 700 têtes, alors qu'autrefois la moyenne d'une cargaison n'allait point au delà de 200 à 300. C'est dans ces circonstances que le conseil privé du Royaume-Uni a fait application au bétail venant des Etats-Unis des dispositions sur les épizooties du Public Health Act de 1875. Les animaux pourront, comme par le passé, être importés vivants, mais ils devront être débarqués dans certains ports désignés ad hoc, où dès leur arrivée ils seront mis en quarantaine, ou abattus dans un délai de dix jours au plus. Cette mesure a été prise à la suite de cas manifestes de péripneumonie qui s'étaient manifestés chez diverses cargaisons, notamment celle du steamer Ountario, composée d'animaux achetés à Buffalo, et débarqués à Liverpool, et elle se justifie d'elle-même. Elle n'en change pas moins, du tout au tout, les conditions d'importation du bétail américain en Angleterre; au lieu de gagner vivant comme autrefois les marchés de vente, ce bétail u'y'arrivera plus que sous forme de viande, et l'effet immédiat de ce changement a été de ralentir le trafic. Il s'agit là d'une question fort intéressante pour les consommateurs du Royaume-Uni; chaque année ils tirent du dehors une plus forte quantité de substances alimentaires, et c'est surtout sur les viandes de toutes sortes que cet accroissement d'importation s'est manifestée. Ainsi, en 1858 le bétail importé vivant ne représentait une valeur totale que de 1,390,000 liv., st., tandis que pour 1878 cette valeurs'est élevée à 7,454,000, et dans le même intervalle de 4,344,000 liv. st. la valeur des viandes abattues, lard, conserves est montée à 30,144,013.

Le transport du bétail sur pied était venu faire une heureuse concurrence à celui des viandes abattues, mais conservées fraîches à l'aide de divers réfrigérants. Après une traversée d'une dizaine de jours la viande arrivait à destination très saine; mais selon l'expression des bouchers, elle n'avait plus de fraîcheur, — it had lost

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