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les étrangers étaient fort bien accueillis. Aussi leur nombre étaitil considérable. D'après M. Lumbroso (1) les Lagides trouvèrent l'Egypte (surtout le Delta) déjà bien hellénisée; les Grecs prirent une telle influence que leur langue devint très usitée, même parmi les Egyptiens et les étrangers, tels que les Perses, les Juifs, les Arabes, et que certaines villes (Ptolémaïs, Naucratis, Hermopolis, Lycopolis et Alexandrie) possédèrent une administration totalement hellénique. A côté des Grecs mentionnons les Phéniciens établis à Migdol, Baal Zéphon, Liebris, Canope et Nisib, des Perses, des Indiens, des Arabes, des Ethiopiens, des Juifs en Thébaïde (2). La colonisation juive s'accrut encore sous les premiers Ptolémées; la Cyrénaïque et les parties habitables de la Libye reçurent un grand nombre d'Israélites (3).

Telle était la situation de l'Egypte dans les temps anciens au point de vue qui nous occupe. Actuellement sa population n'augmente que très lentement. Lors du recensement du 16 décembre 1846, d'après M. de Régny, elle s'élevait à 4,463,224 habitants : au 1er janvier 1871 elle atteignait environ 5,195,293 habitants (dont 85,000 étrangers). L'on ne saurait dire que la décadence de ce pays est la suite du faible accroissement de sa population; la vraie cause, ainsi que l'a justement fait remarquer Malthus (4), c'est l'affaiblissement du principe d'industrie et de prévoyance.

JOSEPH LEFORT.

serait peut-être transformée en de simples conditions administratives imposées à ceux qui partaient.

(1) Lumbroso, op. cit., p. 58 etc.

(2) Josèphe. Ant. jud., 11, 8, 6.

(3) V. Grætz. Gesch. d. jud., 3, 26; Ebers, Ægypten, f. 110.

(4) Malthus. Principe de la population, p. 98.

LA

CRISE AGRICOLE EN ANGLETERRE

ET LA CONCURRENCE AMÉRICAINE

D'après M. SHAW - LEFÈVRE, membre du Parlement.

Ainsi qu'on le disait récemment ici même, c'était M. ShawLefèvre, membre du Parlement et l'un des leaders du parti libéral qui devait prononcer au Congrès scientifique de Sheffield l'Inaugural Adress de la section d'économie politique, et il avait choisi un sujet très intéressant: la crise agricole en Angleterre et la concurrence américaine (1).

Empêché par un deuil de famille, la brusque mort de son père, l'éminent homme politique ne put assister aux séances du Congrès; toutefois, on y donna lecture de son Adress transformée en Paper, et les journaux anglais l'analysèrent dans les comptes-rendus du Congrès. Seulement ce fut d'une façon si sommaire qu'elle ne disait rien ou presque rien. Mais M. Shaw-Lefèvre vient de publier in extenso son étude (2), et l'on peut maintenant parler en connaissance de cause de la manière dont il envisage cette double et grave question.

M. Shaw-Lefèvre part d'un premier fait, c'est qu'à dater de 1849, la production du froment n'a cessé d'aller en décroissant dans le Royaume-Uni, tandis que sa consommation croissait avec la population elle-même, et que dès lors l'importation de cette céréale n'a pu que s'accroître. Il a dressé, sous la forme du tableau suivant, la marche de ce double mouvement.

(1) Voir dans la livraison de septembre du Journal des Economistes le compterendu du Congrès de Sheffield.

(2) Sous le titre : Adress to the Economic Science and statistical section of the British Association (Sheffield, août 1879).

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Cela veut dire que dans l'espace d'une trentaine d'années la production annuelle du froment a baissé d'environ 2/7 et que son importation a plus que triplé, la population elle-même ayant augmenté de 1/5. Quant aux prix, on les a vus, pendant la période de 1849 à 1868, généralement varier en raison inverse des quantités produites; mais à partir de 1873, on assiste à deux phénomènes concomitants: les mauvaises récoltes se succèdent et les prix fléchissent; le déficit moyen de la récolte est de 13 0/0 et les prix moyens descendent de 55 shellings 5 deniers le quarter, moyenne de la période précédente, à 49 sh. 7 den.

Ce résultat veut être envisagé d'un double point, par rapport au producteur et au consommateur. Le prix moyen du froment ayant été de 1873 à 1878, moindre de 6 shellings par quarter qu'il ne l'était pendant les six années antérieures, celui-ci, sur une consommation annuelle de 23,000,000 de quarters a fait une économie d'environ 6,900,000 liv. st. par an (173,500,000 francs). Ce n'est pas tout à supposer que ce prix eût crû, en raison inverse de la quantité produite, comme cela avait eu lieu pendant la période 1849-68, il serait devenu de 62 sh. 6 den. par quarter, au lieu de 49,6 den., soit une différence de 13 sh. et c'eût été pour le consommateur un accroissement annuel de charges qu'on peut évaluer à 15,000,000 liv. sterling (375,000,000 de francs). Il est évident dès lors que le bas prix du blé a été très avantageux à la communauté en général, et M. Shaw-Lefèvre ne doute pas qu'il ne faille chercher là le motif pour lequel les classes ouvrières ont traversé la crise avec si peu de souffrance générale. C'est aussi pourquoi, ajoute-t-il, les garçons de ferme ont joui pendant ces six dernières années d'une aisance plus grande qu'à aucune autre période du dernier siècle. Non seulement ils ont réussi à obtenir, en 1872, une augmentation de leurs salaires; mais grâce au bas prix du blé, cette augmentation leur a été réellement plus profitable qu'elle ne l'était nominalement.

Voyons maintenant quel a été l'effet de ces mêmes phénomènes

(1) On sait que le quarter vaut 291 litres.

pour le producteur. Un prix de 49 sh. 6 den., au lieu de 55 sh. 5 dien., fait ressortir à 7 liv. 9 sh. le produit par acre, soit 2 liv. 8 sh. 6 den. de moins que pendant la période 1853-1872, et ces chiffres font assez voir quelle perte les producteurs ont eu à subir. L'aire actuellement emblavée en froment dans le Royaume-Uni est de 3,300,000 acres, et à raison de 2 liv. seulement par acre, la diminution de produit brut se chiffre par 6,600,000 liv. st. (165,000,000) par an, ou par 39,600,000 liv. st. pour six ans (990,000,000 de francs). Evidemment, la situation de ceux des fermiers qui regardent le froment comme leur principale source de bénéfice doit être très ébranlée, et c'est avec un découragement extrême qu'ils doivent envisager la perspective, ou pour mieux dire, la certitude aujourd'hui acquise d'une mauvaise récolte venant s'ajouter à six autres.

Mais quelles causes ont donc empêché la vérification de la loi économique des prix, alors qu'une série de mauvaises récoltes semblait assurer une hausse très considérable de ceux du froment? M. Shaw-Lefèvre, en se posant la question, ne croit pas très difficile d'en discerner une, qu'il tient pour la principale et qui lui paraît intimement liée à la principale cause aussi de la crise générale du commerce et de l'industrie. On sait que les années 18691872 virent aux Etats-Unis un énorme excès de production industrielle, due surtout à l'énorme extension des voies ferrées dans les Etats de l'ouest, extension qui venait elle-même, en partie, de la libéralité imprudente avec laquelle le Congrès distribua des millions et des millions d'acres de terres domaniales aux concessionnaires de ces lignes, partie aux prêts inconsidérés des capitalistes anglais ou allemands. Dans l'espace de quatre ans, il ne se construisit pas moins de 17,000 milles de ces voies, et leur installation, dont la spéculation ne manqua point de se mêler, eut pour conséquence un développement extraordinaire et anormal des industries du fer et de la houille en Amérique, ainsi qu'une immense importation de rails anglais en ce même pays. Cette circonstance stimula également les prix en général et fut la principale cause de l'excès de production d'alors.

Le résultat immédiat de cet accroissement du réseau ferré des Etats de l'ouest fut l'apport au marché d'une grande quantité de blés, jusque-là inaccessibles aux consommateurs anglais, et dès l'année 1873 on ressentit en Angleterre l'effet de cette offre nouvelle. La deuxième conséquence fut une réaction telle qu'il n'y en avait pas eu d'exemple dans le cours de ces trente dernières années, et dont les Etats-Unis souffrirent plus que tout autre. En 1873, 7,000 milles ferrés tombaient en déconfiture et étaient mis en vente

par leurs créanciers; la moitié des fabriques de fer de l'Union suspendait ses travaux, l'importation des rails anglais cessait totalement et des milliers de travailleurs étaient mis sur le pavé. En une seule année, les importations américaines déclinaient d'une valeur de 40,000,000 sterling (1,000,000,000 de francs). Mais la meilleure mesure de la crise qui fondit alors sur l'Amérique, c'est la cessation complète de l'immigration : à un moment donné, il fut plus difficile de trouver de l'ouvrage à New-York, à Philadelphie, voire à Chicago, qu'à Liverpool ou en Irlande, et tandis qu'en 1872 et 1873 l'afflux des immigrants avait été de 230,000, en 1876 et en 1877 il y eut plus de départs que d'arrivées nouvelles.

Pendant ces cinq dernières années toute la main-d'œuvre, ainsi rejetée par les manufactures, s'est portée vers les débouchés que les nouveaux chemins de fer venaient d'ouvrir, et la culture du blé prit dans le grand ouest des proportions jusqu'alors inconnues, ainsi qu'on peut en juger par le tableau de la production du froment seul, depuis 1849:

Etats.

1877

4849 1859 1869 1878 (Boisseaux). (Boisseaux). (Boisseaux). (Boisseaux). (Boisseaux). De l'Atlantique. 51.657.000 53.294.000 57.476.000 64.344.000 65.000.000 43.522.000 94.458.000 140.877.000 147.890.000 150.000.000 5.306 25.352.000 89.392.000 152.860.000 215.000.000 Totaux.... 95.284 306 173.104.000 287.745.000 365.094.000 430.000.000

....

Du centre.
De l'ouest.....

Ainsi, dans l'espace de trente ans, la production du froment a quadruplé aux Etats-Unis: elle est restée à peu près stationnaire dans les Etats du bord de l'Atlantique; mais elle a plus que triplé dans les Etats du centre et dans les Etats au delà du Mississipi; elle est actuellement quatre-vingts fois plus forte qu'elle ne l'était en 1849. L'aire cultivée en froment s'est élevée de 19,000,000 d'acres (7,600,000 hectares), en 1870, à 30,000,000 d'acres (12,000,000 d'hectares, et celle de l'indian corn ou mais de 38,000,000 à 50,000,000 d'acres (15,200,000 hectares à 20,000,000). Enfin, depuis dix ans, l'exportation des froments américains est montée de 50,000,000 de boisseaux à 90,000,000, quantité dont l'Angleterre prend plus que la moitié. De 1854 à 1866, la proportion de ces froments importés en Angleterre n'était que de 35 centièmes de l'importation totale de ce pays; elle tomba même à 24 0/0 durant les six années suivantes; mais elle s'est relevée de 44 et même de 50 p. 0/0, de 1873 à 1878, si aux blés des Etats-Unis on joint les blés

canadiens.

Pour tout dire, les États-Unis et le Dominion produisent à cette

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