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Montpellier fut choisi à une immense majorité (session du Havre). Le Congrès de Montpellier promettait donc d'être brillant; il a tenu parole. Nous regretterons seulement en ce qui concerne la section d'économie politique que l'invasion toujours croissante des travaux relatifs à la pédagogie l'ait souvent détournée de l'objet de ses études. Nous avons lieu d'espérer que cet inconvénient ne se renouvellera pas et qu'un local distinct sera mis à la disposition des personnes qui s'occupent spécialement d'instruction et d'éducation. De notre côté, dans ce compte-rendu, nous n'insisterons pas sur les travaux de cette nature.

La session a été ouverte le 28 août par un discours de M. Bardoux, ancien ministre, sur les méthodes d'enseignement et d'éducation. M. Laissac, maire de Montpellier, a souhaité la bienvenue aux membres du Congrès; M. le Dr Cazelle, préfet de l'Hérault, a traité de l'Esprit scientifique, et a terminé en assurant l'Association que la plus entière liberté serait laissée à ses travaux, le gouvernement ayant des aspirations franchement en harmonie avec les véritables tendances de celle-ci, et se trouvant porté naturellement à encourager l'exercice de la fonction sociale qui appartient aux savants: faire l'éducation de l'opinion. M. de Saporta, secrétaire général, a lu le compte-rendu de la session de 1878 à Paris et a énuméré les récompenses décernées à des membres de l'Association. Puis M. Masson, trésorier, a exposé la situation financière : notons que le capital actuel représente aux prix d'achat 255,000 fr., et aux cours actuels 330,000 fr. placés en rente sur l'Etat.

Après la séance d'ouverture, les différentes sections se sont réunies dans les locaux qui leur avaient été assignés, et ont procédé à la constitution de leur bureau. La section d'économie politique, présidée par M. Frédéric Passy, nommé l'année dernière, a élu pour président d'honneur M. d'Eichthal, pour vice-président M. Rozy, professeur à la Faculté de droit de Toulouse, et pour secrétaire M. Ch. Breul, avocat.

Le lendemain, 29 août, les lectures ont commencé. M. Mismer, directeur de la mission égyptienne à Paris, a traité de la réforme des méthodes d'enseignement: il recommande ce qu'on a appelé ailleurs l'enseignement intégral. M. Groult, fondateur des musées cantonaux, dans une note sur le progrès dans les cantons ruraux par l'initiative privée, voudrait voir la littérature pénétrer dans les campagnes par des représentations théâtrales dont les acteurs se recruteraient sur place et sollicite l'éclosion d'une littérature spéciale en vue de ce résultat. Puis M. Frédéric Passy aborde les questions économiques en traitant des fêtes publiques et particuliè

rement des fêtes locales. 11 s'élève contre la tendance qu'ont ces dernières à se multiplier: chaque pays, si petit qu'il soit, veut aussi avoir sa fête. Cela fait gagner de l'argent, dit-on. Erreur, car il y a réciprocité entre toutes les communes voisines. Tout le monde y perd son temps et son argent, sauf les cabaretiers et les aubergistes. C'est l'occasion de spectacles plus ou moins mauvais : les théâtres forains se livrent à une parade stupide et immorale devant des enfants, des ouvriers, des ignorants. Il faudrait réagir contre ces habitudes qui entretiennent une population interlope, malpropre, sans mœurs, transportant facilement le germe des maladies contagieuses. Dans cet ordre d'idée M. Passy est amené à déplorer la tolérance de la police à l'égard de certains dessins, de certaine littérature qui sont un cours public de démoralisation, et de certains étalages... vivants. On ne peut, dit-il, empêcher ce qui relève du for intérieur, mais on devrait supprimer ce qui se montre sur la voie publique. M. Rozy s'associe aux paroles de M. Passy, et revenant à la question des fêtes publiques, il établit le droit de la puissance publique, conservatrice du capital humain, à fixer des jours de repos, notamment en ce qui concerne le repos hebdomadaire. Quant aux fêtes, il faudrait rechercher un criterium entre les bonnes et les mauvaises. M. Grasset, président honoraire à la Cour de Montpellier, insiste surtout sur le résultat déplorable des fêtes rurales au point de vue de la famille. Le mari et les fils quittent le foyer où ils laissent la femme et les filles. Non seulement il y a dépense d'argent, absence de revenus, mais ils rapportent des habitudes que sans cela ils n'auraient pas connues. M. Usquin, directeur des postes et télégraphes de l'Hérault, voudrait que dès à présent on fit exception pour les concours de tir et de gymnastique (Approbation). M. Kownacki, chef d'institution à Paris, ne croit pas que l'Etat puisse fixer un jour obligatoire de repos. On pourrait alors lui demander une indemnité pour suspension de travaux, et ce serait ouvrir la porte à ce qu'il y a de pire dans le socialisme. M. Frédéric Passy estime que l'Etat peut bien arrêter à jour fixe la grande machine administrative, mais qu'on ne peut empêcher un particulier ou un entrepreneur de faire travailler s'il en a besoin. Enfin, M. d'Eichthal fait observer que cette question revient à déterminer où s'arrêtent le droit individuel et le pouvoir de l'Etat. Il ajoute qu'en Angleterre le repos du samedi s'est ajouté à celui du dimanche non par la loi, mais par les mœurs, et qu'on en est arrivé à se demander si ce n'était pas une cause d'infériorité pour l'industrie anglaise que ce chômage de cent. quatre jours par an. Il termine en indiquant le besoin de distraction des populations rurales, et l'utilité des fêtes pour éveiller et

dégrossir l'esprit du paysan. Il faut seulement éviter l'abus. Dans cette même séance, M. d'Eichthal a fait une intéressante communication sur l'importation des blés américains. Frappé de l'augmentation rapide de cette importation, il a soupçonné qu'il devait y avoir là une question de transports. Renseignements pris, voici ce qu'il en était: quatre chemins de fer transportent les blés de Chicago vers la mer, sans compter les bateaux à vapeur qui leur fontconcurrence par les lacs et le Saint-Laurent.En général, au commencement de l'hiver, les chemins de fer, d'accord entre eux, relèvent leurs tarifs (dont ils sont maîtres), pour profiter de la gelée des lacs qui les délivre de leurs concurrents. Mais depuis dix-huit mois environ, il s'est établi une lutte entre ces compagnies jadis coalisées, et le prix de transport est tombé de 65 cents à 5 cents. Il s'est relevé successivement à 10 et 15 cents, et depuis le 1er août à 25 cents. On avait profité de la baisse pour conduire les blés à la mer, et l'exportation avait monté de 2 millions à 6 millions 500,000 boisseaux, mais l'Amérique y a perdu sa réserve de blé et de pareils transports ne pourraient longtemps durer. Il n'y a donc là rien de bien inquiétant pour l'avenir, et la panique a été singulièrement exagérée.

Le 30 août, M. Courty, professeur à la Faculté de médecine de Montpellier, a lu un long mémoire sur la nécessité de suivre, dans l'organisation des premières études, l'ordre physiologique de développement des circonvolutions cérébrales et des diverses facultés intellectuelles. Après une discussion occasionnée par cette communication et à laquelle prennent part MM. Passy, Glaize, juge suppléant à Montpellier, Kownacki et Rozy, M. Yves Guyot donne lecture au nom de M. Menier, d'un important mémoire sur les finances municipales. Dans ce travail, l'honorable député rappelle la supériorité des impôts directs sur les impôts indirects perception moins coûteuse, proprotionnalité et répartition plus équitable, avantage pour le contribuable de savoir ce qu'il paie et pourquoi il paye. Or les villes ont établi des octrois, véritables impôts indirects, qui s'opposent à leur développement, obligent les intermédiaires et le consommateur à faire à la commune et à l'Etat l'avance d'un impôt dont ils ne se rembourseront peut être pas en cas de vente difficile des marchandises ou de chômage: c'est encore la prospérité industrielle d'une ville soumise à l'arbitraire souvent très mal éclairé de l'administration locale. On cherche des débouchés nouveaux: supprimez les octrois, vous en aurez immédiatement de considérables. L'auteur cite les heureux résultats qu'a produits en Belgique cette suppression.

Chez nous, presque tous les revenus de la ville sont fournis par cet impôt qui grève le consommateur. La ville de Paris devrait y renoncer et donner l'exemple d'une réforme. Pour remplacer l'octroi, M. Menier propose un impôt sur la fortune assise, sur la propriété. C'est elle, dit-il, qui profite de tous les avantages de la ville, il est juste qu'elle en subisse les charges. Les propriétaires se couvriraient de ce nouvel impôt par une élévation de loyers que le locataire pourrait supporter lorsqu'il n'aurait plus à payer de taxe sur tous les objets de consommation. M. Menier propose donc pour Paris un impôt de 4 p. 1000 sur la propriété bâtie, et il voudrait qu'en tout cas: 1o les communes soient autorisées à remplacer leur octroi par des taxes directes; 2° qu'elles puissent déterminer elles-mêmes l'assiette de ces taxes; 3° que ces taxes soient toujours proportionnelles; 4° que les communes puissent à l'aide de centimes additionnels ajoutés au principal de ces taxes, se rédimer envers le Trésor des droits perçus pour son compte à l'entrée des villes. Ces ont les conclusions de son travail.

Une discussion s'engage immédiatement. M. Rozy se déclare adversaire des octrois, mais il combat l'établissement d'un nouvel impôt foncier pour les remplacer. Les services étant rendus à une collectivité, la propriété foncière ne doit pas être seule à en supporter le poids. M. Guyot se montre au contraire partisan de la manière de voir de M. Menier, maintient que les propriétaires sont plus directement que tous autres intéressés au développement des villes et que d'ailleurs ils récupèreront par répercussion le montant de cet impôt. Il rappelle qu'en Belgique on a déplacé l'assiette de l'impôt lors de la suppression de l'octroi, et que cela s'est traduit par un avantage, les taxes se trouvant réparties sur tout le territoire. M. Bouvet, de Lyon, croit qu'on a bien exagéré les inconvénients des octrois dont le consommateur ne supporte pas seul les charges, car il fait payer plus cher son travail ou son industrie, et celles-ci se distribuent d'elles-mêmes. Mais il se montre l'adversaire de l'impôt proposé par M. Menier. Rien n'est difficile, dit-il, pour l'ouvrier et le petit commerçant comme de payer une somme un peu forte à échéance fixe, et dans ce système l'impôt viendrait encore s'ajouter au loyer et en grossir le montant. L'octroi a du moins cet avantage de percevoir l'impôt au jour le jour et sur les ressources actuelles. D'ailleurs il ne faut pas s'adresser à une seule classe de contribuables, car le fléchissement pourrait se produire; en s'adressant à tout le monde rien de semblable n'est à craindre. M. Guyot reconnaît que la répercussion de l'impôt continue audelà du consommateur, mais la question est de savoir qui doit faire l'avance de l'impôt.

Dans le système actuel ce sont les classes pauvres, et pour pouvoir récupérer sur le salaire l'impôt qu'elles ont payé, il leur faut lutter, recourir à des grèves. Et puis, qu'un chômage survienne, l'impôt reste tandis que le salaire est supprimé. M. Muller, professeur au lycée, fait remarquer qu'en adoptant le mode de perception indiqué par M. Menier, on ferait aux propriétaires une situation analogue à celle des curiales à la fin de l'empire romain. En outre, une semblable mesure exciterait immédiatement les populations contre une seule classe, à cause de l'élévation immédiate des loyers. M. Passy condamne absolument les octrois dont il rappelle les nombreux inconvénients, mais il approuve les conclusions du travail de M. Menier laissant les villes libres de pourvoir au remplacement de leur octroi par une taxe appropriée à leur situation financière ou à leurs ressources, à condition de respecter certains principes généraux fixés par la loi, comme le respect de la libre circulation, la prohibition de la progressivité dans un sens ou dans l'autre. Il ne voit pas d'inconvénients à laisser, dans ces limites, les villes libres de se chercher des ressources. Enfin M. Guyot constate l'accord presque unanime de la section à condamner les octrois, et montre l'utilité que peuvent trouver les villes à les remplacer par des taxes variant suivant les pays et les ressources locales.

Le même jour, M. le Dr Drouineau, chirurgien adjoint des hospices civils de La Rochelle, lit une note sur le budget de l'hygiène publique en France où il propose d'établir, sur des bases qu'il indique, une légère taxe dont le produit, mis à la disposition des conseils d'hygiène, permettrait de donner satisfaction aux plus pressants besoins.

Dans une séance générale tenue la veille au théâtre, M. Fréd. Passy avait traité une question autour de laquelle les protectionnistes mènent assez grand bruit: la balance du commerce. Il avait montré que si elle n'était pas en notre faveur, ce n'était pas un signe de décadence et l'indice d'une ruine prochaine; l'encaisse de la Banque dépassant par moments la circulation de son papier serait une première réponse à laquelle se joindrait la vue de la prospérité générale malgré la crise que nous avons subie. Revenant sur cette question dans la séance de la section d'économie politique, M. F. Passy ajoute que les importations sont naturellement supérieures aux exportations parce que les premières arrivent avec la plus-value normale des frais de transport, d'assurance,de douane,etc., sans compter les bénéfices légitimes des intermédiaires, tandis que pour les exportations ce n'est qu'à l'étranger que cette plusvalue peut être comptée. D'ailleurs, qu'on examine les livres d'une.

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