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justice a été mieux rendue. Les classes médiocrement aisées ou pauvres ont été mieux assurées de jouir du fruit de leur travail. L'instruction s'est beaucoup répandue, et elle a largement contribué à développer la fécondité du travail de l'homme. La politique, dans la plupart des Etats, s'est inoculée des principes nouveaux qui ont déterminé l'adoption successive, dans les différents Etats, du système représentatif, source de sécurité pour les intérêts présents et futurs. Telles sont les plus actives des causes morales auxquelles on doit le grand changement qui s'est accompli. Parmi les causes matérielles, le perfectionnement et la multiplication des voies de communication ont eu une influence remarquable.

Jusqu'au xixe siècle les peuples semblent n'avoir eu qu'une idée confuse des bienfaits à attendre des voies de communication, et pendant les premières années de notre siècle l'énergie des peuples et les ressources de leurs budgets étaient réservées pour la guerre, la part attribuée aux travaux publics était réduite à la plus simple expression. Jusqu'au moment où commence la période qui fait l'objet du concours, pour se procurer des moyens de transport en quantité et en qualité qui répondissent aux nécessités d'une industrie florissante, les Etats modernes n'ont fait que de faibles efforts, et encore ceux-ci étaient intermittents. C'était tantôt un canal admirable comme le canal du Languedoc, tantôt un réseau des routes mal tracées, mal entretenues, comme celles de la France sous Louis XIV et Louis XV. Mais quant à un déploiement continu d'entreprises de communications destinées à activer de plus en plus les échanges entre les hommes, ou en d'autres termes, à favoriser la marche ascendante de la richesse, c'est ce qui ne se rencontrait nulle part en dehors de l'Angleterre.

Tel était l'état des choses sur le continent européen et en Amérique lorsque les peuples, rendus à eux-mêmes par la paix, se livrèrent avec ardeur, postérieurement à 1815, aux arts utiles et à la poursuite du bien-être par un travail honnête, infatigable et intelligent. A partir de là, l'urgence d'un système général de plus en plus parfait et de plus en plus complet de moyens de commu. nication se révéla à la sagacité des classes éclairées et à l'instinct des populations moins cultivées. On se mit à améliorer ce qu'on en avait, et tout ce qu'on possédait consistait à peu près uniquement dans des routes; à multiplier celles-ci dans les principales directions indiquées par le commerce. Puis on voulut des canaux et des rivières redressés et perfectionnés. Enfin, la vapeur apparut comme un moteur nouveau applicable au transport par eau d'abord, par terre ensuite, sous la figure du bateau à vapeur et de la locomotive du chemin de fer.

L'Académie, dans son programme du concours, avait particulièrement recommandé aux concurrents de traiter de cette force de la vapeur, afin qu'ils fissent connaître les services divers qu'elle rendait. Les peuples civilisés, voyant quelle était la puissance de ces nouveaux instruments, se passionnèrent pour en avoir. On peut juger de leur enthousiasme et de leur ardeur par ce fait que les chemins de fer ont absorbé jusqu'ici un capital, en France, de onze à douze milliards; en Angleterre, de dix-sept; l'Allemagne a dû dépenser autant sinon plus que nous.

Fait remarquable et qui montre avec quelle vigueur et quelle résolution les nations cultivées se consacrent aux labeurs productifs de la richesse sous toutes les formes, c'est qu'aussitôt que des moyens de transport nouveaux étaient créés ou que les anciens étaient perfectionnés, une clientèle importante accourait pour s'en servir. C'était une provocation directe à les multiplier et à les améliorer par un redoublement de soins et par des inventions nouvelles.

Si l'on fait l'histoire des divers moyens et voies de communication pendant le demi-siècle et un peu plus qui s'est écoulé depuis l'affermissement de la paix générale qui suivit 1815, on constate avec satisfaction, non seulement qu'il en a été imaginé et établi qui jusque-là étaient inconnus, mais encore que toutes les autres sans exception ont reçu des perfectionnements considérables, de manière à diminuer successivement les frais de transport et à en accroître la célérité.

C'est ainsi que, en France, la loi de 1836 sur les chemins vicinaux a ouvert pour ces chemins une ère nouvelle et a rendu aux habitants de nos campagnes un service incalculable. Ils étaient jusque-là bloqués chez eux pour ainsi dire, cette loi leur a rendu la liberté.

Cette observation s'applique aux routes ordinaires, aux canaux proprement dits, à la canalisation des rivières, au perfectionnement des grands fleuves, à la navigation maritime, à la télégraphie, qui est un des moyens de communication les plus remarquables et les plus utiles qu'aient jamais imaginé les hommes. Le progrès s'est manifesté aussi dans les lois et règlements auxquels sont soumises les diverses communications. Les peuples principaux ont concouru chacun à sa manière à ces inventions et à ces améliorations.

La France y en a eu sa bonne part. C'est ainsi qu'entre autres choses on est redevable à nos ingénieurs de l'invention de plusieurs barrages mobiles qui permettent d'améliorer à peu de frais la navigation des rivières; et celle non moins curieuse des énormes

blocs de béton dont on fait des digues à la mer, qui par leur volume et leur poids défient la fureur des flots soulevés par la tempête. De même l'Angleterre a montré les services que peut rendre le fer dans les grandes constructions, et depuis un nombre restreint d'années a trouvé le procédé de faire l'acier à vil prix, meilleur marché que le fer commun, d'où des conséquences indéfinies aux yeux de l'homme réfléchi. C'est elle aussi qui a donné au monde la locomotive, courant plus vite qu'un cheval de race dans les courses d'apparat, et qui dans l'exploitation des chemins de fer tient le premier rang d'une manière éclatante pour la plus grande utilité des voyageurs et du commerce. De même les EtatsUnis se sont distingués dans la navigation artificielle à l'intérieur des continents, et ont, dans la construction des chemins de fer, offert des modèles d'économie que l'Europe n'a pas assez remarqués.

Outre le devoir de dresser des relevés statistiques exacts des divers moyens de communication que possèdent les peuples civilisés et des résultats de plus en plus avantageux qu'on en retire, les concurrents avaient à discuter des questions de l'ordre financier et de l'ordre économique, concernant quelques-unes des voies de communication, et surtout les chemins de fer. Telle est l'appréciation des systèmes financiers adoptés pour la construction des lignes ferrées dans les différents Etats. Telle celle de l'application du principe général, cher à l'économie politique, de la concurrence à l'industrie des chemins de fer.

Une des recherches les plus intéressantes auxquelles les concurrents pussent se livrer était de comparer, tout spécialement pour les chemins de fer, dont l'usage est entré déjà si profondément dans la vie des peuples, les modes d'exploitation suivis dans les grands Etats. Il devait ressortir de là pour les différents peuples une sorte d'enseignement mutuel profitable à tout le monde.

Trois mémoires ont été présentés au concours. Le numéro 1 atteste que l'auteur est un homme intelligent, mais qu'il a très peu élaboré le sujet. C'est une œuvre tellement incomplète, que l'Académie ne pouvait à aucun degré l'admettre aux récompenses du

concours.

Le numéro 3 est une œuvre soignée, écrite avec élégance, où les exposés sont lucides et méthodiques; la statistique, celle des chemins de fer surtout, y est bien arrangée pour la commodité du lecteur. Il intéresse par un certain ensemble de chiffres bons à garder en mémoire. Mais, peut-être parce que le temps a manqué à l'auteur, les études auxquelles il s'est livré sont incomplètes et ses recherches, quoique dirigées le plus souvent par un bon esprit,

sont demeurées insuffisantes. En ce qui concerne les chemins de fer qui occupent la plus grande place dans son mémoire, il a négligé la comparaison entre les différents Etats, comparaison très propre à répandre de vives lumières sur le sujet et à instruire le lecteur avantageusement pour la Société elle-même, si ce lecteur est un publiciste ou un administrateur ou un membre d'une Assemblée législative. En ce qui concerne la navigation intérieure des Etats, il a médiocrement connu ce qui s'est fait même en France, et presque complètement passé sous silence le tableau si remarquable que présente en ce genre l'Amérique du Nord. Les principes financiers et les règles d'économie politique qui ont des rapports directs avec le sujet du concours paraissent l'avoir effrayé, et au lieu d'en entretenir mûrement le lecteur, il s'est dérobé.

Le mémoire numéro 2 est l'ouvrage d'un homme qui n'a épargné aucun labeur pour se bien renseigner sur les diverses faces du sujet du concours. Il a mis à contribution tous les peuples à peu près et surtout les Anglais et les Américains. Il a tracé le tableau des entreprises hardies de navigation intérieure conçues, exécutées ou projetées par les Etats et par les Compagnies dans l'Union américaine. Il s'est donné beaucoup de peine pour établir une comparaison impartiale entre la France et l'Angleterre, au sujet de l'exploitation des chemins de fer et des résultats obtenus de part et d'autre, et il a réussi à rendre cette comparaison concluante, de manière à déterminer la conviction du lecteur français ami du progrès. Il a examiné la question délicate des accidents quelquefois terribles par le nombre des victimes dont les chemins de fer et la mer sont le théâtre, et indiqué d'après les meilleures autorités les moyens destinés à y parer autant que possible. Il a mis un soin particulier à discuter les plans financiers adoptés pour la construction des chemins de fer. Il a habilement fait ressortir par des preuves de fait les puissants effets que rend le système de la concurrence convenablement introduit dans l'industrie des voies ferrées. S'il prête à la critique, c'est surtout par la longueur excessive de quelques-uns de ses exposés. Il semble avoir été mainte fois dominé par la crainte de ne pas donner assez de détails. C'est ainsi que, à propos de la canalisation de la France, il a fait la description de chacun de nos canaux, ce qui l'a conduit à donner à ce chapitre une longueur de 240 pages. C'est au delà du double de ce qu'il fallait. Du reste un pareil défaut est facile à corriger par le moyen de suppressions.

Par ces motifs, la section d'économie politique et finances et de statistique a l'honneur de proposer à l'Académie de décerner au numéro 2 le prix de 3,000 francs offert par le programme du con

cours. De plus, rendant justice aux qualités remarquables du mémoire numéro 3, elle propose de créer en sa faveur, sous la dénomination de second prix, une récompense de 1,000 francs à laquelle il sera pourvu par le moyen des fonds que l'Académie a en réserve. MICHEL CHEVALIER.

L'Académie ayant approuvé les conclusions du rapport, les plis attachés à chacun des mémoires sont décachetés, et ils apprennent que l'auteur du mémoire numéro 2 est M. Henri Lamane, membre de la Société d'économie politique, et l'auteur du mémoire numéro 3, M. Alfred de Foville, ancien auditeur au Conseil d'Etat, chef de bureau au ministère des finances.

L'AFRIQUE CENTRALE

SON EXPLORATION ET SA COLONISATION

SOMMAIRE: Les trois grandes traversées de l'Afrique centrale; voyages de Cameron, de Stanley, du major Serpa Pinto et leurs résultats. — L'exploration de l'Ogoouée voyage de M. de Brazza et ses résultats. Les ressources naturelles de l'Afrique et les routes actuelles pour y accéder. — Les routes nouvelles projets de Cameron et du D' Atherstone, la colonie du Cap, Natal, le Transvaal et les Boërs; le Meeting de Manchester et le projet d'une voie ferrée du Zanguebar aux lacs intérieurs. Le Portugal et son rôle dans la colonisation africaine. Les explorations françaises du Sahara. Le chemin de fer transsaharien.-Le Soudan et ses ressources. Le Sénégal et sa situation.

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Afrique centrale et colonisation, voilà deux mots qui, il y a une quarantaine d'années, auraient hurlé de se rapprocher. De même que les anciens, Cicéron, Pline, Strabon lui-même, les géographes modernes se représentaient encore l'intérieur de la grande péninsule comme une suite de déserts brûlants, à peine sillonnés, de loin en loin, par quelques maigres filets d'eau: de montagnes et de lacs il n'était pas question, et c'est tout au plus si le savant et consciencieux Adrien Balbi accordait au Soudan quelques-unes de ces nappes d'eau.

Et voilà qu'aujourd'hui, pour parler comme Livingstone, ce désert brûlé, ce sable aride, cette zone fabuleuse de l'Afrique tropicale est une région féconde qui ressemble à l'Amérique du Nord par ses grands lacs, et à l'Hindoustan par ses jungles, ses basses terres hu

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