Page images
PDF
EPUB

sous les noms de ces divers peuples. Au moyen âge et sous le règne des institutions féodales l'organisation judiciaire était à peu près la même chez tous les peuples de l'Europe, et nous ferons connaître celle de toutes les nations chrétiennes de cette époque en exposant les coutumes admises sur cette matière en France. Nous avons de même fait connaître les lois judiciaires des peuples modernes qui offrent des différences notables avec les lois francaises. Nous nous bornerons donc à exposer les questions générales que soulève l'organisations judiciaire, puis nous ferons connaître la législation francaise, ancienne et actuelle sur cette matière.

Questions générales.- Les questions générales que soulève l'organisation judiciaire sont relatives 1° à la nature même du pouvoir judiciaire et à sa distinction des autres pouvoirs publics; 2° à la nature, la division, la compétence et la hiérachie des tribunaux; 3 au caractère et à l'institution des juges. Nous les examinerons successivement.

Du pouvoir judiciaire en général.- C'est Montesquieu qui paraît avoir le premier formulé nettement la distinction des trois pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire. Cette distinction a joui et jouit encore d'une grande autorité, bien qu'elle ait été contestée quelquefois. On s'est demandé en effet si la charge de rendre la justice constituait un pouvoir proprement dit, distinct notamment du pouvoir exécutif. Cette objection s'appuyait notamment sur des raisons historiques, puisqu'en fait il est admis, dans la plupart des Etats modernes, que les juges sont institués par le chef du pouvoir exécutif et rendent la justice en son nom, el qu'en cette matière se trouve réalisé, dans la plupart des constitutions, le principe qu'on exprimait dans notre ancien droit fancais par la maxime: Toute justice émane duroi. Cette maxime était née, il est vrai, du triomphe de la justice royale sur les justices féodales. Mais elle n'en exprime pas moins un principe généralement admis dans le droit public des Etats de l'Europe moderne. La distinction en question n'est pas exacte, il est vrai, quand on attribue au mot pouvoir une acception de souveraineté. La faculté de rendre justice ne peut constituer en effet dans la société une puissance indépendante,une autorité distincte de la souveraineté législative et exécutive. Mais elle devient très-juste quand on considère le droit de rendre justice comme une des branches de la souveraineté, branche trèsspéciale el qui ne doit être confondue pi avec la puissance législative ni avec la puissance exécutive, et la charge de rendre justice comme une fonction spéciale aussi qui ne doit pas être aux mains de ceux qui reinplissent les fonctions législatives et exécuirices. Quelques courtes observations suffi1ont pour démontrer cette assertion.

Le droit de rendre justice est évidemment inhérent à la souveraineté, que cette so veraineté appartienne à un prince ou au

peuple. L'un des buts de la société étant d'empêcher les injustices que peuvent conmettre les particuliers les uns envers les autres, de réprimer les violences et les atteintes à la morale, il faut donc qu'elle possède aussi l'autorité nécessaire pour appliquer les lois qu'elle pourra faire aux cas individuels, et cette autorité constitue précisément le droit de rendre justice. Cette autorité est différente de la législation, puisqu'elle n'est que l'application des lois aux cas individuels, tandis que la première a pour objet la confection des lois mêmes. Elle est différente aussi du droit d'exécuter les lois, quoique à cet égard la confusion soit assez facile, puisque l'application de la loi aux cas individuels peut être considérée comme une exécution de la loi. Cependant la différence est très-réelle. L'exécution proprement dite suppose que l'action de la société ou de ses agents soit exigée directement, pour que la loi soit exécutée. Le maintien de l'ordre et la police, par exem. ple, appartiennent à l'exécution proprement dite, puisque les actes nécessaires pour accomplir ce but sont accomplis par les agents mêmes de l'autorité. Mais il est un certain nombre de lois qui se bornent à régler les relations des citoyens, à statuer des peines pour le cas où ils commettraient des actes criminels. Ici la loi ne suppose pas l'action de l'autorité publique; elle est exécutée par les citoyens mêmes et c'est seulement quand ils y contreviennent que l'autorité a besoin d'intervenir. Cette intervention est donc d'une nature toute différente de l'action directe, et c'est sur cette différence que repose la distinction du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif.

Le pouvoir judiciaire constitue donc une branche distincte de la souveraineté ; la question est de savoir s'il est utile que celui qui est investi de l'exercice de la souveraineté, réunisse en veraineté, réunisse en ses mains toutes les autorités à la fois, ou s'il est préférable que le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire forment antant de fonctions spéciales attribuées à des agents. distincts. Nous n'avons à examiner ici cette question qu'au point de vue du pouvoir judiciaire. Or il est généralement reconnu que celui-ci ne peut sans inconvénient se trouver aux mêmes mains que les deux autres. En effet, si le législateur appliquait lui-même la loi, celle-ci deviendrait incertaine: elle se modifierait suivant les circonstances, souvent suivant les passions et les intérêts du moment, et nul ne serait assuré de trouver une justice impartiale. D'autre part, si la force exécutive était. jointe au pouvoir judiciaire, le même inconvénient se représenterait d'un autre côté. Le juge, habitué à exécuter directement les ordres de l'autorité, aurait de la tendance à intervenir dans les affaires des citoyens comme agent du pouvoir, et n'aurait plus les caractères d'un arbitre; il n'aurait plus l'indépendance et le calme nécessaires qu'exige l'application de la loi.

On a reconnu depuis longtemps que le pouvoir législatif et le pouvoir judciaire n'étaient pas utilement réunis dans les mêmes mains, et bien que dans les Etats modernes de l'Europe la justice fût rendue au nom du prince, celui-ci depuis longtemps cependant ne jugeait plus par lui-même. Il est vrai que ce principe ne fut jamais appliqué bien rigoureusement, et en France, par exemple, le contrôle des lois que s'attribuaient les parlements et la juridiction du conseil du roi en formaient des dérogations positives. Quant à la confusion des pouvoirs exécutif et judiciaire, elle fut générale dans l'ancienne monarchie et elle l'est encore dans plusieurs Etats de l'Europe. Ce n'est que depuis la révolution française que la séparation absolue des fonctions judiciaires et des fonctions administratives est devenue un des principes les plus essentiels de notre droit public.

Compétence et juridiction. Toute organisation judiciaire suppose d'abord l'institution de tribunaux,c'est-à-dire d'autorités judiciaires composées d'un ou plusieurs membres et ayant une résidence fixe ou ambulatoire, et chargés de juger toutes les causes ou quelques-unes seulement. Ce sont ces dernières circonstances qui constituent la nature des tribunaux et déterminent leur compétence dont nous parlerons d'abord en nous réservant de traiter plus bas de leur composition.

Les juges établis au sein d'une société ne peuvent juger, en principe, que les individus de cette société, puisque la souveraineté de la société elle-même ne s'étend pas aux étrangers. Mais il est généralement admis, daus le droit public moderne, que, lorsqu'un individu vient habiter le territoire d'une nation étrangère, il se soumet aux lois de sécurité et de police de cette hation, et s'assujettit à ses tribunaux. Les immeubles qui font partie du territoire d'un peuple sont de même soumis à ses lois et à ses tribunaux, bien qu'ils puissent appartenir à des étrangers; ceux-ci sont, en outre, justiciables des tribunaux du pays dans lequel ils se trouvent, par une autre convention tacite qui résulte de la nature des choses, quand ils sont appelés devant ces tribunaux par un habitant du pays, citoyen ou étran

ger.

Mais dans tout Etat de quelque étendue, un seul tribunal ne suffirait pas pour juger toutes les causes. De là la multiplicité des tribunaux exigée par divers motifs, savoir: 1° L'étendue du territoire. Il est naturel qu'on proportionne les tribunaux au nombre des habitants et qu'on rapproche la justice des contribuables. On a donc presque toujours divisé les pays en circonscriptions territoriales, et établi dans chacune d'elles un tribunal chargé de décider les contestations qui s'y élèveraient. Cette division si naturelle n'a pourtant pas toujours été pratiquée, et il est des pays, comme l'Angleterre, qui offrent à ce sujet des exceptions remarquables. Le tribunal établi dans une

circonscription peut avoir son siége daus une localité déterminée de cette circonseription et y être sédentaire, ou se transporter d'un lieu à l'autre de ce ressort.

2o La nature des causes. Les causes offrant beaucoup de variétés, on a presque toujours jugé à propos d'établir des tribunaux différents, suivant les causes. Cette distinction a été fondée, surtout, sur les deux différences suivantes : D'abord, le plus ou moius d'importance des causes. C'est ainsi que certains tribunaux n'ont que le droit de juger les contestations dont l'objet est d'une valeur inférieure à une certaine somme, tandis que d'autres peuvent juger les causes, quel qu'en soit l'intérêt; que quelques-uns ne sont compétents que pour les contraventions peu importantes, les petits délits, les autres pour les crimes.'

En second lieu la matière, c'est-à-dire la spécialité de la cause. Certains tribunaux connaissent des matières civiles, d'autres des matières criminelles, d'autres des matières commerciales, d'autres des matières administratives, etc., etc. Quand les matières forment de grandes classes qui comprennent beaucoup d'espèces de causes comme celles que nous venons d'énumérer, on en tient compte, ordinairement, dans l'orgnisation générale de la justice, et il en résulte autant de classes particulières de tribunaux. Mais dans ces classes mêmes on établit souvent des tribunaux dits spéciaux, parce qu'ils ne connaissent que de causes d'une espèce très-restreinte; tels sont, en France, les cours des prises, les tribunaux des prud'hommes, etc.

C'est aussi à raison de la spécialité des causes que l'on établit quelquefois des tribunaux exceptionnels, c'est-à-dire qui n'ont qu'une existence momentanée, et qui sont créés en vue de circonstances exceptionnelles, pour juger les causes motivées par ces circonstances. C'est en matière politique que l'histoire offre le plus fréquemment des tribunaux de ce genre.

3° L'état des personnes. Dans les sociétés où les habitants sont divisés en plusieurs classes, il existe ordinairement des tribunaux distincts pour chaque classe.

4° Les degrés de juridiction. Afin d'assurer aux parties les meilleures garanties de justice el d'impartialité, on a établi souvent une hiérarchie de tribunaux, une cause pouvant être portée, sur l'appel des parties, à un tribunal supérieur, après avoir été jugée par un tribunal inférieur. Chez les peuples anciens, c'était le plus souvent le peuple lui-même qui jugeait dans les tribunaux; il u'y avait ordinairement qu'un degré de juridiction, et l'appel était impossible; mais il se retrouve dans l'antiquité même, chez les nations qui possèdent une hiérarchie administrative, et notamment dans l'empire romain, et dans tous les Etats modernes à partir de la décadence du système féodal. Ces degrés de juridiction peuvent être plus ou moins nombreux, et il s'est trouvé quelquefois qu'une cause, avant

d'être jugée, dut parcourir cinq ou six juridictions diverses. La question de savoir s'il était, en général, utile d'admettre plusieurs degrés de juridiction a été très-débattue. On invoque surtout, en faveur de cette institution, les garanties plus grandes que présentent aux parties ce contrôle des tribunaux inférieurs exercé par des tribunaux supérieurs; la nécessité de tribunaux supérieurs composés des hommes les plus éminents par leur savoir et leur probité, et auxquels sont portés, toujours par suite de la faculté de l'appel, les causes réellement importantes, tandis que les autres s'arrêtent pour la plupart au premier degré. La principale raison qu'on objecte, dans l'opinion contraire, c'est la longueur des procès, dont les divers degrés de juridiction sont la cause inévitable. Mais cet inconvénient est sensible surtout quand les degrés de juridiction sont trop multipliés, et quand toutes espèces de causes sont susceptibles d'appel. Il devient beaucoup moins grave quand les degrés de juridiction sont très réduits; quand, par exemple, ils ne sont qu'au nombre de deux, comme en France aujourd'hui, et que les causes d'un intérêt majeur seulement en sont susceptibles. Quand ces causes sont très-importantes il disparaît même tout à fait, puisqu'il est avantageux alors qu'elles soient débattues le plus mûrement possible.

5 Le contrôle judiciaire. Les degrés de juridiction constituent par eux-mêmes un contrôle judiciaire. Mais on a jugé utile quelquefois d'en établir un autre, créé plutot atin d'assurer l'uniformité de la jurisprudence et le respect des formes imposées par la loi, que de rendre justice aux parties elles-mêmes. On a atteint ce but par la création de tribunaux de révision et de cassation, auxquels sont portées les causes après qu'elles ont parcouru tous les degrés de juridiction, et qui ont pour mission, non de juger de nouveau ces causes, mais d'examiner si, dans les jugements antérieurs, la loi a été appliquée comme elle devait l'être, et si les formes prescrites ont été observées. Si, en effet, ce jugement ne se trouve pas dans ces conditions, le tribunal de révision ou de cassation se borne à le casser, et à renvoyer la cause à un tribunal ordinaire autre que celui qui l'a jugé la première fois.

Les divisions dont il vient d'être question donnent lieu aux règles de juridiction et de compétence. La juridiction est la puissance de juger donnée à un magistrat; elle est naturellement restreinte dans les limites territoriales et aux matières assignées à son tribunal. D'autre part, le tribunal n'est compétent que pour ces matières et dans ces limites territoriales. Plus souvent, cependant, le terme de juridiction ne s'étend qu'à la circonscription territoriale, de même que celui de ressort, qui en est à peu près synonyme, et les questions de compétence s'élèvent surtout à raison des personnes et des matières déférées à un tribunal. La

compétence territoriale s'établit, d'ailleurs, par différentes circonstances; c'est ordinairement le domicile du défendeur, la situation de l'objet litigieux, le lieu où a été passé le contrat contesté, le lieu où il doit être mis à exécution, le lieu où a été commis un crime ou délit, etc., qui déterminent la circonscription du tribunal compétent pour une cause à raison du territoire

Le terme de ressort s'emploie aussi pour indiquer les degrés de juridiction, et le mot d'instance tant que la cause est pendante; ainsi l'on dit d'un jugement, qu'il est rendu en premier ou dernier ressort, et d'un procès, qu'il est engagé en première ou seconde instance.

Composition des tribunaux. Le droit de juger étant une des branches essentielles de la souveraineté, c'est à ceux qui exercaient la souveraineté qu'il a été attribué à l'origine, aux rois dans les Etats monarchiques, au peuple dans les sociétés démocratiques. Ce n'est que plus tard qu'on en a fait une fonction spéciale: mais cette fonetion a toujours conservé quelques-uns des caractères qu'elle avait à l'origine, et toujours la justice a été rendue, soit par des juges représentant la personne du roi, ou le chef de l'Etat dans les républiques, et conservant en partie la dignité et les honneurs dus à l'autorité suprême; ou bien à des citoyens presque toujours choisis au sort dans la masse de la population et représentant cette population même. Les juges de la première espèce constituent les magistrats, ceux de la seconde les jurés.

La distinction des tribunaux composés de magistrats et de ceux formés de jurés est donc un produit de l'histoire; mais aujourd'hui que la fonction judiciaire est considérée purement comme une fonction sociale semblable à toutes les autres, cette distinction a soulevé une grave question théorique. Est-il préférable que la justice soit confiée à des magistrats pour lesquels cette fonction devient une profession, ou bien que l'on abandonne le jugement de toutes les causes au bon sens des citoyens? La solution affirmative de cette question tendrait à mettre entre les mains des jurés qui, chez beaucoup de nations modernes, sont appelés à juger les causes criminelles, toutes espèces de causes, et à supprimer plus ou moins complétement la magistrature. Il est très-vrai que l'institution du jury offre de grands avantages au point de vue politique, puisqu'elle forme, jusqu'à un certain point, une garantie pour les citoyens contre des magistrats agents du pouvoir, et c'est pour cette raison qu'elle a été si vivement réclamée dans les temps modernes. Dans les causes criminelles, en outre, elle n'offre pas de grands inconvénients, puisqu'il ne s'agit là que de juger des questions de moralité vis-à-vis desquelles tout honnéte homme est compétent. Mais il n'en serait pas de même des causes civiles qui supposent la connaissance du droit, et que ne peuvent juger pertinemment que les hom

mes que leurs études en ont rendus capables; pour ces sortes de causes one magistrature sera toujours indispensable, hors les cas où les parties consentiront à se faire juger par arbitre, c'est-à-dire à remettre la décision de leur contestation à une personne qu'elles ont choisie elles-mêmes.

L'organisation des tribunaux composés soit de magistrats, soit de jurés, offre quelques questions de détail que nous nous contenterons d'indiquer. Vaut-il mieux qu'un tribunal soit composé d'un seul magistat, comme cela a lieu en Angleterre, ov de plusieurs, comme en France? Quel est le meilleur mode de nomination des magistrats? Est-ce l'élection ou la nomination par l'autorité supérieure? Seront-ils nommés à vie ou à temps, ou pour une durée indéfinie, mais avec la faculté, pour ceux qui les ont nommés, de les révoquer? Leurs fonctions seront-elles gratuites ou salariées?

A ces questions se rattache aussi la distinction des magistrats proprement dits, qui sont appelés à rendre les jugements, et des magistrats du ministère public, qui représente la société dans les causes, et dont Ja mission consiste, dans les causes civiles, à donner son avis en certaines matières, dans les causes criminelles à poursuivre et à faire juger les accusés.

Des questions analogues se présentent sur les jurés, sur les conditions de capacité, d'âge, etc., que l'on doit exiger d'eux; la uanière de les tirer au sert, la gratuité de leurs fonctions, leur nombre, la majorité à laquelle ils porteront leur décision, etc. En outre, comme dans les institutions actuelles une place est réservée aux magistrats dans les tribunaux composés de jurés, il en résulte d'autres questions relatives aux rapports qui doivent exister entre le jury et la magistrature.

En fait, ces questions ont été résolues presque toujours en vertu des idées politiques dominantes aux époques où ces institutions ont été créées ou réformées. Nous allons faire connaître quelle a été cette solution en France.

L'organisation judiciaire avant 1789. Au moment de l'établissement de la nationalité française, l'organisation judiciaire resta ce qu'elle avait été dans les derniers temps de l'empire romain. Les magistrats municipaux continuèrent à rendre justice dans les cités. Les comtes et les dues remplissaient les fonctions des préfets et de leurs vicaires, et des recteurs des provinces de l'empire. Une modification importante s'opéra néanmoins dans l'origine : c'est que tandis que sous la domination romaine, Jes magistratures militaires et les magistratures civiles étaient complétement séparées, elles furent réunies sous les Francs. Une autre modification fut introduite: c'est que peut-être à l'exemple de l'usage admis probablement dans les cités où les magistrats municipaux ne jugeaient qu'avec l'as.sistance d'un certain nombre d'assesseurs,

le comte français rendait ses jugements aux époques où il rassemblait autour de lui le plaid ou l'assemblée des fonctionnaires et des hommes d'armes de son cauton, et avec l'assistance d'hommes choisis parmi ces hommes d'armes, qui s'appelaient alors seabins (d'où échevins), rachimbourgs, boni homines, etc.

. Cette organisation judiciaire fut développée et complétée sous Charlemagne. Chaque comte tenait régulièrement ses plaids auxquels étaient tenus de se rendre les bénéficiaires et les vassaux. Dans ces plaids l'on jugeait les causes civiles et criminelles. Le jugement n'était valable que s'il avait été porté par le comte sur l'avis des pairs de l'accusé ou du défendeur, c'est-à-dire, des hommes de même classe et de même rang que lui. Les missi dominici qui parcouraient périodiquement les provinces, tenaient des assises extraordinaires où les procès étaient vidés selon les mêmes formes.

Cette organisation subsista quand la féodalité se fut établie, avec cette différence fondamentale, que la justice ne fut plus rendue par des fonctionnaires publics au nom du roi, mais par les seigneurs de tous les degrés de la hiérarchie féodale en leur propre nom et en raison des fiefs qu'ils possédaient. Les fonctions publiques étant devenues héréditaires en effet, ainsi que les fiefs qui y étaient attachés, tous les attributs de l'autorité publique devinrent jusqu'à un certain point des propriétés particulières. Le droit de rendre justice était de ce nombre, et il put être transmis, cédé, vendu suivant les règles féodales. Dans l'origine la possession même d'un fef supposait le droit de rendre justice; plus tard cependant la justice fut considérée comme étant indépendante du fief et comme résultant d'une concession spéciale de l'autorité souveraine, et ce fut là même une des voies par lesquelles ce droit important revint à la royauté.

Les droits de justice accordés à chaque seigneur n'étaient pas cependant les mêmes, et il y avait à cet égard une grande variété de droits. On distinguait en général la justice en haute, moyenne et basse. Mais les termes n'étaient pas parfaitement définis, el ces trois espèces de justice emportaient suivant les coutumes des droits plus ou moins étendus. La haute justice donnait droit de condamner pour toutes sortes de crimes capilaux; la moyennne justice ne permettait que de juger les délits non capitaux: cependant le seigneur moyen-justicier pouvait pendre le larron; la basse justice ne s'étendait qu'aux infractions de police. Pilori, échelle, carcan et peintures de champions combattant en l'auditoire, sont marques de haute justice, dit Loisel. Les procès qui se terainaient par un duel judiciaire étaient de la compétence de la haute justice, et c'est ce que marquaient les champions combattants que les seigneurs prenaient pour insignes de leur droit. En matière civile, la justice haute et moyenne embrassait toute

espèce de cause; la justice basse connaissait des cens, des routes et des droits féodaux. On appelait aussi la moyenne et basse justice grand et petite voierie, mot que les uns font venir de la surveillance sur les chemins accordée aux seigneurs, d'autres de vénerie, garde, protection. C'était au seigneur moyen-justicier qu'il appartenait de déterminer les poids et mesures, de donner des tuteurs et des curateurs, de connaître des inventaires et partager les biens vacants; les épaves, etc., appartenaient au haut-justicier. Il était de principe que la justice était patrimoniale, d'où il résultait qu'elle pouvait être vendue. Un seigneur qui possédait les trois justices pouvait aussi vendre la moyenne et la basse, et il arrivait ainsi que dans un même lieu il y eût trois seigneurs justiciers à la fois. La justice était rendue toujours en présence, et sur l'avis des pairs de l'accusé. Les frais étaient à la charge du seigneur. Mais il profitait aussi des amendes, des confiscations, etc.

Les jugements rendus par les tribunaux féodaux n'étaient pas susceptibles d'appel. Ils ne pouvaient être attaqués que par le mode spécial du défi, qui était une sorte de prise à partie des juges.

A côté de ces justices seigneuriales subsistaient les tribunaux ecclésiastiques dont la compétence était très-étendue (voy. CLERGÉ), et les tribunaux municipaux des

communes.

La justice royale n'était au x11° siècle que la première des justices seigneuriales. Mais successivement elle devait absorber toutes les autres.

Le roi tenait deux sortes d'assises fécdales, celle des pairs du royaume tout entier, celle du domaine immédiat de la couronne. Cette dernière justice était présidée par le sénéchal, le premier des grands officiers de la couronne. Mais le domaine étant très-étendu, le roi nommait des prévôts, placés sous l'autorité du sénéchal qui tenaient des assises dans les différentes localités. Les autres grands fiefs étaient de même divisés en prévôtés semblables, et quand ces fiefs tirent retour à la couronne, cette institution s'y trouva toute établie. L'établissement des baillis qui eut lieu en 1190, développa bientôt cette organisation. Il est probable que l'on envoyait des commissaires royaux en tournée pour l'information ou le jugement de certaines affaires, par exemple, des plaintes élevées contre les officiers inférieurs. Les baillis furent des commissaires de ce genre, mais établis à poste fixe dans une circonscription déterminée, qu'on nomma baillage; on leur attribua immédiatement le jugement des crimes les plus graves; on leur reconnut aussi le droit de juger en seconde insLance les causes jugées déjà par les prévôts. Les prélats et les barons du domaine du roi, qui avaient droit de justice, ne purent voir d'un bon ceil cette juridiction nouvelle qui empiétait nécessairement sur la leur. Ces empiétements devaient devenir de plus

en plus considérables, à mesure que le pouvoir royal s'étendait et grandissait, et ce fut en attribuant nécessairement aux baillis, qui, dans les provinces du Midi, portèrent le nom de sénéchaux, toutes les affaires de la compétence de la haute et de la moyenne justice, et en restreignant cette compétence aux causes purement féodales, que l'administration centrale parvint à absorber peu à peu les justices seigneuriales, et à créer des institutions judiciaires uniformes pour toute la France.

Ce furent les légistes, les hommes qui avaient étudié les lois et coutumes, et dont le conseil était indispensable dans ces tribunaux composés de nobles illettrés, qui préparèrent cette transformation de l'ordre judiciaire. D'abord simples conseils dans la cour du roi, ils en furent bientôt membres. Ce furent eux qui, d'abord, inventèrent les cas royaux, c'est-à-dire les causes assez importantes pour que le tribunal du roi seul pat les juger. Ce furent eux aussi qui donnèrent au tribunal du sénéchal de Paris l'importance qu'il ne tarda pas à acquérir. « La cour du sénéchal, dit M. Dareste (Histoire de l'administration), appelée aussi tribunal du Châtelet, vit surtout croître son importance depuis le règne de saint Louis. Le sénéchal, qui portait dès lors plus communément le titre de prévôt de Paris et de premier bailli de France, eut une compétence privilégiée. Outre une juridiction analogue dans la ville à celle des prévôts, et dans le bailliage à celle des baillis ordinaires, il fut le juge des personnes qui obtinrent le droit de lui soumettre les causes directement, droit qu'on appela de garde gardienne. Le Châtelet ne fut pas seulement le premier des tribunaux ordinaires, il fut encore appelé le propre siége de nos rois, dont les prévôts de Paris représentaient spécialement la personne. Il eut un sceau aux armes royales avant toutes les autres

cours. >>

L'institution du parlement compléta cette organisation judiciaire. Nous avons dit, à l'article FRANCE, comment se forma celle cour suprême, en même temps que les états généraux. Elle naquit naturellement du conseil du roi, de la cour des pairs du royaume, quand les hommes de loi eurent été adjoints aux prélats, aux grands vassaux et aux grands officiers de la couronne.

« Quand le conseil siégeait en cour de justice, en parlement, dit M. Dareste, des légistes auxquels on donnait le nom de gens du roi étaient appelés pour assister les prélats et les barons. On cite une ordoir nance tirée des Olim, et attribuée à saint Louis, comme le plus ancien témoignage de la composition du parlement. Il comprenait, outre sept membres honoraires, trois hauts barons, trois prélats, dix-huit chevaliers et dix-sept clercs, auxquels étaient adjoints vingt légistes pour prononcer les arrêts. Au reste il n'eut d'existence distincte et ne fut à tout jamais séparé du conseil qu'après l'an 1302.

« PreviousContinue »