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§ 1. Utilité de l'étude du droit canonique.

Depuis long-temps je conseille aux jurisconsultes, aux magistrats, à tous les hommes publics, de reprendre une étude jadis fort cultivée et qui depuis a malheureusement cessé de faire partie de l'enseignement dans les Facultés de droit: je veux parler du droit canonique.

Sans doute il ne s'agit plus des matières bénéficiales, dont la connaissance serait aujourd'hui sans utilité; mais ce qu'aucun jurisconsulte, aucun homme éminent dans l'État ne peut ignorer, ce qu'il ne lui suffirait pas de savoir imparfaitement, ce sont les principes sur la nature, le gouvernement, la hiérarchie de l'Église et sa discipline; l'histoire des usurpations incessamment renouvelées et toujours croissantes du pouvoir spirituel sur l'ordre civil, et l'histoire corrélative des obstacles et des barrières que nos pères y ont apportés. Il faut qu'il connaisse avec précision ce que la loi politique ne saurait entreprendre sans porter atteinte à la liberté religieuse; et réciproquement, qu'il sache bien ce qu'un roi, eût-il la piété de saint Louis, s'il a en même temps sa sagesse et sa fermeté, ne saurait négliger ni souffrir, sans manquer à sa propre dignité, à l'indépendance de sa couronne, à la protection qu'il doit aux citoyens. Ces principes importants, souvent controversés, rarement bien connus, doivent être étudiés, médités, à l'égal de nos autres lois politiques, sur lesquelles ils exercent tant d'influence. Une connaissance exacte du droit sera toujours le meilleur moyen de confondre l'usurpation et d'y résister avec succès.

Je sais qu'une philosophie qui en cela s'est montrée avec trop de présomption, et dont toutefois je ne prétends pas médire, s'est quelquefois persuadée qu'elle pouvait suffire seule à repousser les agressions de l'ordre spirituel contre l'ordre civil, et à maintenir la paix des religions dans l'État! mais évidemment elle s'abuse. Les arguments purement

a.

philosophiques, irrésistibles aux yeux des philosophes, n'ont pas la même puissance sur les hommes qui, par conviction, par habitude, ou même par respect humain, tiennent davantage aux croyances et aux pratiques de leur culte. L'ignorance, la mauvaise foi, ou seulement la prévention, accusent bientôt la philosophie d'athéisme, et ses seules doctrines ne font pas toujours autorité. En effet, je n'appelle autorité que ce qui est capable de faire impression sur l'esprit de ceux que l'on prétend convaincre; or, tel est l'avantage que procure la doctrine toute faite des libertés de l'Eglise gallicane. Ces libertés ne sont point une invention moderne; elles sont aussi anciennes que le christianisme parmi nous: elles ne constituent pas un privilége ou une exception; elles ne sont qu'un vestige de ce qui, dans l'origine, formait le droit commun de la chrétienté ; elles ont pour elles la sanction du temps, et celle des plus grands rois et des plus grands hommes que la France ait produits. Loin d'être opposées à la religion, elles en font en quelque sorte partie; sachez donc les connaître afin de pouvoir les invoquer à propos. Les tartufes ne pourront point vous appeler tisons d'enfer, athées ni même hérétiques, quand, démasquant l'hypocrisie qui trop souven recouvre un ambitieux désir de domination, et résistant à des entreprises menaçantes pour nos libertés et notre régime intérieur, vous pourrez dire à vos adversaires : Ce n'est pas un ennemi de la religion qui s'exprime ainsi, c'est Arnauld, c'est Pascal, c'est Pithou et Bossuet, c'est toute l'Église de France de 1682 qui vous dit : « Conservez ces » fortes maximes de nos pères, que l'Église gallicane a trou» vées dans la tradition de l'Église universelle ! »

Sur cette ligne imposante vous rencontrerez les plus saintes lois du royaume, tous les actes de la magistrature française, les réquisitoires des avocats-généraux; vous marchez avec la puissance qui s'attache à six siècles de précédents! Je ne cesse donc de le redire à mes contemporains Entrez dans cette étude, je vous y convie; elle est d'ailleurs pleine d'attraits, puisqu'elle se lie aux faits les plus curieux de notre histoire, aux questions les plus

élevées de notre droit public, à celles qui influent le plus puissamment sur la marche politique des affaires et sur la constitution de l'État.

§ 2. But de l'auteur en publiant cet ouvrage.

Il n'y a pas de sujet qui ait été plus savamment exploré dans tous les sens que le droit canonique. Les in-4o, les in-folios, les traités ex professo abondent sur toutes les parties de ce droit; les collections les plus riches et les plus étendues tout a été dit et publié. On peut en juger par le catalogue fort abrégé que j'ai fait imprimer à la fin de ce volume, sous le titre de Bibliothèque choisie: il ne contient que les principaux ouvrages, et ce n'est pas la dixième partie de ce qu'on aurait pu indiquer !

Mais, quelque restreint que soit ce catalogue, combien peu de bibliothèques, même parmi celles des ecclésiastiques, renferment les livres que j'ai signalés ! Et parmi ceux qui les possèdent, combien y en a-t-il qui les aient étudiés à fond?

Dans le désir que j'ai de voir cette étude reprendre faveur, et sachant bien qu'on a peu de dispositions de nos jours à se jeter dans les grandes lectures, j'ai voulu composer une sorte de Manuel de notre droit public ecclésiastique, où je ferais entrer les notions les plus générales, les plus importantes, les plus essentielles : un livre où tout serait substantiel; où le temps que j'aurais mis à réduire et à resserrer les matières, serait gagné au profit de ceux qui ne voudraient pas lire tout ce que j'ai lu pour faire un choix et n'offrir que des résultats.

Les hommes déjà instruits n'y trouveront rien qu'ils ne sachent d'avance; mais, en le lisant, ceux qui n'ont encore aucune notion du droit canonique en prendront une idée première, suffisante pour la plupart d'entre eux. Tous, j'en suis sûr, trouveront commode de voir concentré dans un petit volume (où l'imprimerie, entrant dans la pensée de l'auteur, s'est appliquée à rendre compacte ce que sa plume s'était efforcée d'abréger), un recueil où les maximes fondamentales de la science, appuyées sur les actes les plus

authentiques et les plus solennels de l'histoire et de la législation, sont réunies et classées de la manière la plus propre à en faciliter l'intelligence et l'emploi.

Indocti discant et ament meminisse periti.

§ 3. Caractère et définition des libertés de l'Eglise
gallicane.

Les libertés de l'Eglise gallicane sont du nombre des choses dont on parle beaucoup dans le monde, sans croire qu'il faille se donner la peine de les étudier pour les connaître. Il semble aux hommes superficiels que le nom comporte avec soi la connaissance de tout ce qui s'y rattache, et qu'il suffise à l'exercice de ces libertés de les alléguer vaguement par leur titre, sans être tenu de les définir et de les appuyer d'aucune démonstration.

D'autres se mettent encore plus à l'aise; et, dans le superbe dédain qu'ils affectent pour un passé dont ils ne veulent pas voir la liaison avec le présent, ils demandent d'un ton naïf, ce que c'est que les libertés de l'Eglise gallicane au dix-neuvième siècle?

Cette question, ce doute viennent peut-être de ce qu'en effet les mots libertés de l'Eglise gallicane ne rendent pas d'une manière assez complète et assez précise tout ce qui est renfermé sous ce titre. Pour en donner une juste idée, il serait plus exact de dire libertés gallicanes de l'Eglise et de l'Etat. Leur caractère en effet est de tenir tout à la fois : 1o aux relations extérieures de l'État avec le Saint-Siége considéré comme souverain étranger; 2o à notre droit public intérieur en ce qui touche la discipline ecclésiastique et la police des cultes; 3o au droit privé pour toutes les questions et les conflits qui peuvent intéresser les particuliers.

Or, si ces trois intérêts sont impliqués sous le titre traditionnel de libertés de l'Eglise gallicane, qui pourrait nier encore qu'elles ont conservé toute leur importance et leur utilité 1?

I Voyez le développement de cette pensée, ci-après, pages 123 et 124.

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