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on ordonna des coupes extraordinaires pour la marine, et la manière dont il y fut procédé fit disparaître les plus beaux arbres dans les futaies de l'Etat et dans les bois des particuliers, sans que presque rien arrivât aux chantiers de la marine; la disette du bois de chauffage qu'on éprouva à Paris en 1793 fit faire aussi des coupes extraordinaires dont le produit fut vendu à vil prix; les délits étoient au comble et d'autant moins réprimés, que la misère causée la loi du maximum étoit plus grande (1). par

M. Rougier de la Bergerie met ensuite sous les yeux de son lecteur les renseignemens fournis par les administrateurs, les sociétés d'agriculture, les savans et agronomes d'un grand nombre de départemens, sur l'état affligeant des forêts, et les justes alarmes que cet état inspiroit pour l'avenir. Ces renseignemens nous montrent le génie de la destruction parcourant les forêts de la France pendant douze ans, et le fer et le feu sans cesse occupés à les anéantir.

Ici, on se plaint que la destruction des forêts a changé la température, augmenté la sécheresse et fait manquer les récoltes; là, les oliviers, privés de leurs abris naturels, dépérissent par le froid; ailleurs, les revers des montagnes sont sillonnés par des ravins et des torrens dévastateurs; les forêts, dans un autre endroit, ne sont plus que des bruyères et des garrigues; les châtaigniers dépérissent à mesure qu'on s'approche des montagnes; les rivières s'encombrent par les terres et les pierres qu'entraînent les eaux des collines; dans les pays vignobles, le merrain est rare et à un prix excessif; par-tout les habitans et les acquéreurs continuent les défrichemens, et l'autorité fait d'inutiles efforts pour les arrêter; les réquisitions pour les armées ajoutent aux efforts des particuliers pour faire disparoître jusqu'au dernier arbre; enfin, des incendies sont autorisés dans la Vendée et dans le midi de la France pour détruire les bois qui pouvoient servir de retraite aux hommes que l'on poursuivoit.

Néanmoins, dans cette même période, il fut fait des tentatives pour arracher le domaine forestier à la dévastation. On trouve dans l'ouvrage de M. de la Bergerie des rapports faits à la convention en l'an 4 et en l'an 5, où brillent, dans toute leur pureté, les principes de la conservation des forêts. L'auteur du second rapport, l'un des collaborateurs de Buffon, plaçoit les forêts au premier rang des objets qui devoient fixer l'attention de l'Assemblée. « Elles sont, disoit-il, dans la main du gouvernement un puissant moyen de crédit.

(1) M. de Perthuis, dans son Traité de l'Aménagement des bois, évalue ainsi les pertes faites par trésor public, depuis le commencement de la révolution jusqu'au consulat :

1o. Cinq cent mille arpens de bois aliénés, à 400 francs l'un, prix moyen, fonds et superficie.

le

200,000,000 fr.

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3o. 6 millions d'arbres épars sur les routes, etc.

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2o. Diminution sur le revenu des bois de l'état, par les doubles et triples coupes qui en ont fait baisser le prix.

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10,000,000

120,000,000

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» De leur conservation dépendent les succès de l'agriculture, du commerce, des manufactures et des arts, la marine, la navigation intérieure, les mines, toutes les commodités de la vie et notre existence même.

» Le domaine a perdu par des échanges onéreux et abusifs les plus belles forêts, que les usurpateurs se sont empressés de détruire, pour rendre impossible la réparation.

» Dans la révolution, des communes entières, par attroupemens...., et les gardes mêmes sont devenus les premiers dévastateurs des forêts. »

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Il évalue les besoins de la consommation des foyers et des usines à.... 8,333,320 cordes et le déficit à. 2,016,680 et il ne trouve plus de moyen de compensation que dans les mines et les tourbières. Les besoins de la marine sont évalués à sept millions de pieds cubes, et il fait observer qu'il n'existe plus de futaies que dans les bois du gouvernement. Il termine par des réflexions fortes contre le système des aliénations et contre le mode d'administration suivi à cette époque.

Mais la convention, plus occupée de détruire que de conserver, ne pouvoit apprécier la sagesse des observations qui lui étoient adressées.

La quatrième époque, assignée par M. de la Bergerie à l'histoire des forêts, nous présente encore des désordres, mais plus rares, moins désastreux. Le gouvernement consulaire adopte des mesures réparatrices; une administration spéciale est organisée; le désir de rétablir succède à la fureur de détruire, une meilleure surveillance réprime les délits; plusieurs lois remettent en vigueur les principes si long-temps oubliés de la conservation des forêts; l'impulsion des améliorations est donnée, et l'on voit les débris du domaine forestier se ranimer et promettre encore des ressources à la France.

Mais les désastres de 1812 à 1815 ramènent la dévastation au sein des forêts; les coupes extraordinaires qu'exige la défense des places de guerre; les gardes éloignés de leur poste pour faire un service militaire; les invasions de l'étranger; les délits commis par les habitans, etc., etc.; tout concourt à consommer la ruine de ce malheureux domaine, toujours en butte à la cupidité, toujours attaqué et toujours affoibli.

Terminons cet essai de l'histoire des forêts par l'exposé de celles qui nous restent pour faire face à tous nos besoins.

Les forêts appartenant à l'état, en 1808, pour tout le territoire dont la France étoit alors composée, présentoient une étendue de 2,321,802 hectares, et un produit de près de 50 millions.

La réduction du territoire, les restitutions et les aliénations ont réduit la contenance des forêts du domaine à environ 1,200,000 hectares, et celle des forêts communales à 2,000,000: ainsi le total des bois soumis à l'action du gouvernement est de 3,200,000 hectares. Un cinquième environ de cette masse est aménagé en futaie, demi-futaie et haut-taillis; le reste ne forme que de petits taillis.

Suivant l'exposé de la France en 1813, présenté au corps législatif, les bois appartenant aux particuliers n'auroient formé que le quart du sol forestier; car on estimoit que la France, possédant alors 8 millions d'hectares de bois, il n'y avoit dans cette masse que 2,000,000 hectares de bois de particuliers. Mais les restitutions qui ont été faites, et qui se montent à

600,000 hectares, et les aliénations, ont augmenté la proportion existante entre les bois des particuliers et ceux soumis au régime forestier, de telle sorte qu'aujourd'hui on compte que les bois possédés par les particuliers forment une consistance de 3,100,000 hectares; mais dans cette contenance, il y a beaucoup de landes, de bruyères et de terrains vagues, car le département des Landes seul est annoncé contenir 130,000 hectares de bois de particuliers, et il s'en faut de beaucoup que ces terrains soient réellement en nature de bois. Nous ferons la même observation sur plusieurs départemens du midi, tels que ceux de l'Allier, de l'Aveyron, des Bouches-du-Rhône, de la Dordogne, de la Gironde, de l'Hérault, de l'Isère, du Var, de la Vienne, etc., qui sont annoncés contenir ensemble environ 500,000 hectares de bois de particuliers, et dont plus de la moitié est consacrée au pâturage des bestiaux.

Observons encore que

les forêts destinées à passer du domaine de l'état dans la propriété des particuliers par suite des aliénations, éprouveront dans leurs aménagemens des altérations qui en affoibliront de plus en plus les produits en matièrės.

Mais en ne considérant que les contenances, telles qu'elles existent aujourd'hui, il y auroit :

Bois de l'état....

Bois de la liste civile, des princes, des communes et établissemens

publics......

Bois des particuliers....

Totaux......

1,200,000 hect.

.. 2,000,000
3,100,000

6,300,000 hect.

Si on déduit de cette masse les landes, bruyères, vides, clairières, chemins et carrefours, on aura une diminution qu'on peut, sans exagération, porter au dixième. Il ne resteroit de plein bois qu'environ 5,670,000 hectares.

Appliquons maintenant à cette masse de bois les calculs qui ont été faits pour connoître la quantité de cordes que produit un hectare par an.

Les bois de la France, de toutes les catégories, sont aménagés à 9, 10, 15, 20, 25 et 30 ans pour les taillis; à 40, 50, 60, 70, 80, 100, 150 et 200 ans pour les futaies et demifutaies.

Le terme moyen de l'aménagement, pour les taillis, est de 18 à 20 ans, et le terme moyen pour les futaies est de 70 ans.

Le cinquième des bois de l'état et des communes est en futaies; ce cinquième est, déduction faite des vides, de..

Le surplus forme une masse de taillis de..

Presque tous les bois des particuliers sont en taillis; ils forment, déduction faite des vides, une étendue de..

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576,000 hect.

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2,304,000

2,790,000

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D'après les évaluations de divers auteurs sur les produits des bois, que nous rapporterons à l'article AMÉNAGEMENT, et dont nous avons pris le terme moyen, on peut estimer que ce produit moyen, pour un hectare situé en fonds de qualité ordinaire et aménagé

20 ans, est de 20 cordes de bois pour cette révolution, et par conséquent d'une corde de par an.

bois

Il en résulteroit que la quantité ci-dessus de taillis, dont l'aménagement commun est supposé à vingt ans, produiroit annuellement 5,094,000 cordes de bois de toutes grosseurs et qualités.

Quant aux futaies dont le terme commun de l'aménagement est de 70 ans, leur produit seroit, d'après les calculs de M. de Perthuis, de 83 cordes (1) par hectare pour cette révolution de 70 ans, s'il y avoit en France autant de bois placés sur les bons que sur les mauvais terraius; mais comme il y a peu de bois de cette classe sur les terrains les plus mauvais, M. de Perthuis conseille d'ajouter un sixième aux produits moyens qu'il a trouvés; nous y ajouterons même un cinquième, parce qu'il s'agit ici de terrains assez généralement bons. D'après ces données, le produit d'un hectare à 70 ans, sera porté à 99 cordes, et par conséquent à une corde trois septièmes par an, ce qui donneroit annuellement, pour les 576,000 hectares de bois de cette catégorie, 822,858 cordes.

Ainsi, le total des cordes produites, par an, dans toutes les forêts de la France seroit d'environ 5,916,858 cordes.

Mais nous avons tout réduit en cordes, et il convient de faire la part des bois d'œuvre, de construction et autres ; nous ne nous écarterons pas de la proportion réelle, en admettant que ces bois forment au moins le trentième de toute la masse de bois produite : il faut donc soustraire de 5,916,858 cordes la quantité de 197,228 cordes, et par conséquent réduire la quantité de bois de feu à 5,719,630 cordes.

Or, nous avons vu que, d'après le compte rendu à la convention, les besoins de la consommation des foyers et des usines étoient de

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8,533,320 cordes.

5,719,630 cordes.

2,613,690 cordes.

Cependant, observera-t-on, le bois ne manque pas dans les chantiers; il y a même en ce moment surabondance. A cette objection, nous répondrons que le déficit est comblé, pour une partic, par les bois que produisent les émondes des arbres épars et des haies, par les combustibles minéraux, et, pour la plus grande partie, par les coupes extraordinaires qui se font depuis quelques années dans les bois restitués aux anciens propriétaires, dans reux des communes et dans les bois aliénés. Mais la différence entre le produit et la reproduction est toujours énorme. Ses effets, pour être retardés, n'en seront pas moins réels. Que l'on se rappelle d'ailleurs le prix excessif des bois avant 1815, c'est-à-dire, avant les époques qui ont fait anticiper les coupes; que l'on se rappelle aussi les disettes de combustible qu'on a éprouvées dans la capitale à plusieurs reprises, soit avant, soit pendant la révolution, et l'on ne doutera plus qu'il y ait une grande disproportion entre le produit et la reproduction, ou, ce qui est la même chose, entre les quantités de bois que l'on coupe et consomme, et celles qui se reproduisent.

(1) La corde dont il est ici question est celle dite de vente, de 5 pieds de hauteur sur 8 de couche, buche ayant 3 pieds 6 pouces de longueur.

TOME I.

5

la

Ajoutons une seule observation, que nous répéterons souvent dans le cours de cet ouvrage, c'est que plus il y aura de forêts en taillis, qui est le seul aménagement qui convienne à des particuliers sous le rapport pécuniaire, moins les produits en matière seront considé– rables, puisqu'un hectare de bois aménagé à cent cinquante ans, produit, dans cet espace de temps, deux cinquièmes de bois de plus qu'un hectare aménagé à trente ans, dans le même espace de temps. Donc, c'est à celui qui peut aménager les bois à longs termes, qu'il appartient d'en posséder le plus; donc, si les particuliers étoient seuls propriétaires de bois, les produits iroient toujours en diminuant ; donc, le déficit seroit toujours croissant; donc enfin, il faudroit, pour obtenir des produits égaux à ceux que donnent les bois de l'état et des communes, généralement aménagés à vingt-cinq et trente ans, compenser, par l'étendue des bois, le déficit résultant des aménagemens fixés à dix et quinze ans, qu'adoptent les particuliers, et prendre sur la terre culte cette augmentation de superficie. De là moins de récoltes, et peu ou point de bois de construction. Voyez les articles AMÉNAGEMENT et EXPLOITATION.

Coup d'œil sur les forêts du nord de l'Europe.

Après avoir jeté nos regards sur l'état des forêts de la France, voyons ce que fois et ce que sont aujourd'hui les forêts du Nord.

furent autre

כל

Forêt hercynienne. Pline nous dit que de son temps les forêts couvroient la Germanie, à l'exception des pays qu'il appelle les grands et petits Cauques, pays que nos historiens plaçoient dans la Nort-Hollande. « La forêt hercynienne, dit-il, située vers cette même partie du nord, est un amas de grands chênes qui n'ont jamais été coupés. Aussi anciens que le monde, ils jouissent encore, par une merveille ineffable, d'une sorte d'immortalité. L'auteur romain raconte ensuite des choses qui lui paroissent à lui-même incroyables, et qui le sont en effet, telles que la grosseur des racines de ces arbres, qui soulevoient la terre et formoient des éminences considérables, et l'élévation de ces racines, qui sortoient de terre et rejoignoient les branches, de façon à former des arcades assez spacieuses pour donner passage à des escadrons de cavalerie. Ces arbres de la forêt hercynienne, dit-il, sont presque tous glandifères, c'est-à-dire, de l'espèce pour laquelle les Romains ont eu de tous temps le plus de vénération (1).

Il paroît, d'après ce peu de mots, que Pline n'avoit que des notions très-incomplètes sur la forêt d'Hercynie, et il est probable que celles qui lui avoient été transmises sur les espèces d'arbres ne s'appliquoient qu'à quelques portions de cette immense forêt, car les arbres glandifères n'en formoient sûrement pas la majeure partie. On sait que la forêt du Hartz et la forêt Noire, qui sont de grandes sections de l'ancienne forêt d'Hercynie, sont principalement peuplées de pins et de sapins.

M. Trunck, auteur d'un ouvrage forestier allemand, publié à Fribourg en Brisgaw, en 1788, nous donne des renseignemens plus étendus sur la forêt d'Hercynie. Voici la description de cette forêt, que nous avons traduite de son ouvrage :

La forêt d'Hercynie, appelée par les romains Hercynia, du mot Harzhyn, ou plutôt

(1) Glandiferi maximè generis, quibus honos apud Romanos perpetuus. PLINE, liv. XVI, ch. 3.

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